Les femmes constituent une réserve sous-utilisée de compétences dont nous avons besoin pour compenser la pénurie des gens de mer. Toutefois, face à cette prolifération du nombre de femmes à bord, on assiste dans le monde entier à une prise de conscience croissante concernant la violence et le harcèlement à bord des navires, y compris le harcèlement sexuel, les actes d’intimidation et les agressions sexuelles, qui viennent s’ajouter à des conditions de travail déjà difficiles pour ces femmes.
Si autrefois la seule présence féminine à bord était la figure de proue, les femmes font aujourd’hui leur entrée dans les transports maritimes, phénomène certes encore peu courant mais qui va en s’amplifiant.
Près d’une trentaine de siècles plus tard, la mer est de nouveau prise d’assaut par de hardies navigatrices que sont les femmes. On les retrouve désormais dans les courses à voile, capitaines à bord des patrouilleurs, officiers à bord des car-ferries pour passagers, à quai opérantes dans des postes clé de la logistique.
En effet, même si le phénomène est récent, les femmes travaillent depuis longtemps sur les paquebots et ce depuis 1945. Depuis, elles sont de plus en plus présentes sur les cargos et autres navires marchands. «Depuis cinquante ans, le nombre de femmes employées sur les navires de commerce et de croisière augmente constamment», fait observer Cleopatra Doumbia-Henry, directrice du Département des activités sectorielles du BIT.
Selon elle, «les femmes ne représentent que 1 à 2% du 1,25 million de marins recensés dans le monde». Cependant, «elles constituent 17 à 18% des effectifs des navires de croisière. 94% des femmes marins travaillent dans le transport de passagers (dont 68% sur des ferries et 26% sur des bateaux de croisière) et 6% dans le transport de marchandises (porte-conteneurs, pétroliers, etc.). Quant à leurs emplois, certaines sont capitaines, chefs mécaniciens ou officiers. Mais, dans l’ensemble, les femmes font partie du personnel hôtelier des navires qui transportent des passagers», souligne-t-elle. Parmi celles-ci, 51,2% sont originaires de pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde), 23,6% de l’Europe de l’Est, 9,8% d’Amérique latine et d’Afrique, 13,7% de l’Extrême-Orient et 1,7% de l’Asie du Sud et du Moyen-Orient.
Harcèlement et autres agressions
Face à cette prolifération du nombre de femmes à bord, on assiste dans le monde entier à une prise de conscience croissante concernant la violence et le harcèlement à bord des navires, y compris le harcèlement sexuel, les actes d’intimidation et les agressions sexuelles, qui viennent s’ajouter à des conditions de travail déjà difficiles pour ces femmes.
D’ailleurs, pour soutenir les actions encourageant les femmes à pénétrer le domaine maritime, le Secrétaire général de l’OMI, M. Arsenio Dominguez, a déclaré à Londres que «Nous restons inébranlables dans notre engagement à créer un environnement de travail sûr et respectueux à bord. Reconnaissant qu’il s’agit non seulement d’un impératif moral, mais aussi d’une nécessité pratique pour la croissance durable du secteur, nous nous engageons à prévenir et à combattre les actes d’intimidation et le harcèlement dans le secteur maritime. Notre objectif commun est clair : répondre aux attentes des gens de mer, du secteur, des administrations et du grand public en faisant en sorte que le secteur des transports maritimes soit exempt de toute forme d’agression». Pour sa part, le directeur du Département des politiques sectorielles de l’OIT (Sector), M. Frank Hagemann, a souligné à ce propos qu’il est «essentiel que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour résoudre les problèmes qui peuvent amener les gens de mer expérimentés à quitter la mer ou dissuader les jeunes femmes d’embrasser la profession. Toute forme d’actes d’intimidation et de harcèlement, ou de violence et de harcèlement, est en contradiction directe avec le concept même de travail décent. Il doit y avoir une tolérance zéro à l’égard de ce type de comportement». A cet effet, le Secrétaire général de l’OMI encourage les États membres, dans son message, à agir pour que «les femmes puissent être formées au même titre que les hommes dans leurs instituts maritimes et acquièrent ainsi le haut niveau de compétence exigé pour travailler dans le secteur».
D’ailleurs, l’OMI agit en faveur de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes en octroyant des bourses à des femmes, en leur permettant d’accéder plus facilement à des formations techniques de haut niveau dans le secteur maritime des pays en développement et en créant un environnement favorable à l’identification et à la sélection de femmes, par l’intermédiaire des autorités dont elles dépendent, pour une évolution de carrière dans les administrations maritimes, les ports et les établissements de formation maritime.
Le Groupe de travail tripartite entre en action
A cet effet, une réunion du Groupe de travail tripartite mixte OIT/OMI qui comprend des représentants des gouvernements, des propriétaires de navires et des gens de mer, s’est tenue récemment au siège de l’OMI à Londres (Royaume-Uni), afin de discuter de futures mesures possibles à prendre pour prévenir et traiter ce grave problème, notamment par le biais de la législation, des mécanismes et des politiques, ainsi que d’une formation renforcée.
Après trois jours de délibérations, le Groupe de travail tripartite mixte OIT/OMI s’est mis d’accord sur plusieurs recommandations à soumettre au Comité de la sécurité maritime de l’OMI lors de sa prochaine réunion en mai 2024 (MSC 108) et au Conseil d’administration du BIT en temps voulu.
Terminologie harmonisée
Le Groupe de travail tripartite mixte a recommandé l’utilisation de la terminologie «violence et harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, les actes d’intimidation et les agressions sexuelles» dans les instruments et recommandations pertinents de l’OMI et de l’OIT, afin de refléter leur pertinence dans le secteur maritime et a recommandé d’examiner une série actualisée d’amendements au Code de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille. Il s’agit de prescriptions minimales obligatoires pour la formation de familiarisation en matière de sécurité et pour la formation et l’enseignement de base pour tous les gens de mer.
Le projet d’amendements garantit que les gens de mer possèdent les connaissances et la compréhension élémentaires concernant la violence et le harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, les actes d’intimidation et les agressions sexuelles, ainsi que de la manière de prévenir les incidents et d’intervenir.
Mesures pour les administrations et les compagnies maritimes
Dans le même sillage, le Groupe de travail tripartite mixte a recommandé d’envisager l’adoption de mesures, applicables aux administrations et aux compagnies maritimes du monde entier, pour lutter contre la violence et le harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, les actes d’intimidation et les agressions sexuelles.
Ces mesures soutiendraient la mise en œuvre des prescriptions de l’OMI en matière de sécurité de la gestion et de l’exploitation des navires en mer et comprennent : l’intégration de politiques et de procédures pertinentes dans les systèmes de gestion de la sécurité, y compris la prise en charge des victimes et la protection contre les représailles; en plus d’établir les objectifs supplémentaires de gestion de la sécurité pour la compagnie, y compris l’évaluation des risques et la mise en place de mesures de protection; précisant que les systèmes de gestion de la sécurité doivent garantir le respect des règles et règlements obligatoires en la matière, y compris les prescriptions nationales, et que les recommandations élaborées par les organisations du secteur des transports maritimes sont respectées ; répartir les responsabilités entre les cadres supérieurs et les administrations des entreprises pour traiter les cas signalés, et fournir des ressources requises pour réagir, y compris des soins médicaux et un soutien en matière de santé mentale pour les victimes ; et assurer la formation et la familiarisation des gens de mer et du personnel à terre désigné aux politiques de la compagnie et à leur mise en œuvre.
Destituer les auteurs de ces actes
Enfin, le Groupe de travail tripartite mixte a recommandé de charger le sous-comité de l’élément humain, de la formation et de la veille d’examiner la proposition d’inclure une nouvelle prescription dans la règle I/5 (Dispositions nationales) de la Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille. Cette prescription impliquerait la suspension ou la résiliation des brevets de tout marin condamné pour agression sexuelle, ce qui aurait pour effet de destituer les auteurs de ces actes.
Le Groupe de travail tripartite mixte a aussi recommandé qu’en coordination avec l’Organisation mondiale de la santé, les mesures prises à la suite de sa réunion soient prises en compte lors de la modification du Guide médical international de bord, troisième édition, ou lors de la révision des guides médicaux nationaux et du secteur.
Campagne de sensibilisation internationale
Le lancement d’une campagne internationale conjointe OIT-OMI, avec le soutien des États membres de l’OIT et de l’OMI, des gens de mer, des propriétaires de navires, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, afin de sensibiliser le public à cette question, a aussi été évoqué. Il s’agit d’encourager les gouvernements à lancer des campagnes nationales en collaboration avec les partenaires sociaux et d’autres organisations nationales.
Le Groupe de travail tripartite mixte a demandé aux secrétariats de l’OMI et de l’OIT d’étudier les moyens de collecter des données, de manière appropriée, sur la violence et le harcèlement, y compris le harcèlement sexuel, les actes d’intimidation et les agressions sexuelles dans le secteur maritime.
Un environnement social normal
En effet, la présence des femmes à bord des navires crée un environnement social plus normal, ce qui est d’autant plus important que les conditions d’existence des marins ont changé ces dernières années. Les effectifs embarqués sont moins nombreux et passent moins de temps à terre. La présence de femmes au sein de l’équipage réduit le sentiment d’isolement dont souffrent souvent les marins. En outre, de récentes études sur le travail dans le secteur maritime font état d’une pénurie croissante de certaines catégories de marins, et d’officiers en particulier. C’est pourquoi les femmes constituent en plus une réserve sous-utilisée de compétences dont nous avons besoin pour compenser cette pénurie.