C’était en 2015, le pays sombrait effroyablement dans un désastre économique, un gouvernement de technocrates a été mis en place pour sauver ce qui reste des meubles ; pour la première fois une femme a été nommée à la tête du tourisme. Une jeune, bardée de diplômes, cheffe de projet chez Mercedes-Benz, consultante en stratégie… qui a donné ses preuves là où elle a exercé son métier de coach, notamment en Allemagne où elle résidait. A cette époque, le tourisme était malade pour ne pas dire agonisant. Dynamique, pleine de bonne volonté et d’idées riches, Amel Karboul a vite fait de reprendre, ce que depuis longtemps ses prédécesseurs ont essayé sans grands résultats : la diversification du produit. Au sud-ouest pour encourager le tourisme saharien, on la voit grimper sur un palmier, devant ses équipes éberluées. Elle détonnait, ses actes inhabituels choquaient l’establishment. Soit ! Quelque temps plus tard, la ministre donne un autre coup dans la fourmilière, elle est à Cap Angela, dans la région de Bizerte, la route qui y menait fut bitumée pour l’occasion, un convoi de responsables régionaux et quelques journalistes sont partis à la découverte du site. Des tentes dressées, un déjeuner fastueux et un discours appétissant au programme de la visite. Celle-ci avait pour objet le projet d’exploitation touristique du site. Cap Angela est le point le plus septentrional de l’Afrique, un atout naturel, la beauté de la plage et l’emplacement devaient être habillés d’un discours adéquat et l’affaire aurait été ficelée. Sa situation géographique l’appelait à devenir une destination de choix.
Un exploit de marathonien
En Afrique du Sud, près de la ville du Cap, le cap Agulhas, dit cap des Aiguilles, est le point le plus méridional du continent, à force de promotion, d’histoires extraordinaires, de bateaux d’esclaves échoués, ce site est un lieu quasi mythique, il est aussi le point de repère officiel pour marquer le passage de l’océan Atlantique à l’océan Indien. C’est un endroit qui attire naturellement beaucoup de touristes, à coups de promotions multiples, les Sud-Africains en ont fait une destination de valeur sûre et non périssable. Quant au dossier du projet de développement de Cap Angela, (tout comme des dizaines d’autres) sitôt annoncé, préparé, sitôt il fut archivé et… oublié. Huit ans plus tard, ce n’est pas un ministre ni un haut responsable, encore moins un événement local qui nous renvoie au bon souvenir de ce dossier chargé de projets motivants (escapades en montagne, plongée sous-marine, restaurants etc), mais c’est un sportif anglais qui remet le couvert. Incroyable ! Son coup de force a dépassé les frontières, le 22 avril 2023, Russ Cook est au cap Agulhas (les Aiguilles) cité plus haut, il a pour projet de traverser l’Afrique et de rejoindre Cap Angela. Le coup de starter est donné, le suspense commence. Le héros de 27 ans a traversé 16 pays africains avec les difficultés qu’on imagine, son état physique, les intempéries, les mauvaises routes, le vol de ses effets et de son téléphone ; les postes, frontières, etc, bouclant plus de 16.000 kilomètres en 352 jours. Cette traversée du continent a permis à Cook de récolter 800.000 euros au profit de deux associations caritatives. Dimanche 7 avril 2024, 16h40, Cook arrive à Cap Angela, escorté par quelques dizaines de ses compatriotes, venus volontairement célébrer la prouesse, des Tunisiens aussi ont participé à l’arrivée de Cook, en signe de solidarité. La performance est inédite, Cap Angela figure sur les médias, de Libération à Sky news, de la BBC au Daily Telegraph, sans parler des réseaux sociaux. Quelle publicité ! Une manne pour ce bout de terre. Un responsable du tourisme ou des sports s’est-il déplacé pour accueillir le brave coureur, lui décerner un certificat de «citoyen d’honneur de Bizerte», l’encourager par une médaille, un discours, un infime geste de congratulation ?
Personne, Nobody. Aucun représentant officiel n’était présent, hélas.
