Les dernières performances du secteur enregistrées en 2017 et 2018 ne doivent pas faire oublier les maux dont souffre l’industrie touristique depuis quelques années.
Après une série de fluctuations économiques, associées à une série d’attaques terroristes, le secteur touristique, qui a représenté jusqu’à 6% du PIB du pays, a vu sa part chuter jusqu’à moins de 3% pour remonter en 2017 et 2018 au-delà de 4% des richesses créées.
…mais quelle crise ?
Aujourd’hui, le diagnostic est clairement posé et partagé par l’ensemble des professionnels du secteur : le tourisme tunisien, considéré pendant plusieurs décennies comme secteur stratégique par excellence, pâtit de son positionnement majoritairement low-cost, de la dominance du tourisme balnéaire, de la fermeture de nombreuses unités, du faible renouvellement de l’offre, de la recette par touriste figurant parmi les plus faibles au monde, du retard dans l’implémentation de l’open sky, du surendettement des unités, de la facturation en dinars pour les clients étrangers…Mais afin que le tourisme retrouve son lustre, il faut passer à l’action avec une vision claire, une stratégie bien réfléchie et une bonne dose de détermination. C’est avec ces mots que le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, René Trabelsi, qui se veut être rassurant et convainquant, a dressé le bilan du secteur et en a dégagé les principales tendances, lors d’un récent déjeuner-débat, consacré à ce secteur stratégique et ses perspectives pour un meilleur avenir, organisé à l’initiative d’Alumni IHEC Carthage.
Trabelsi indique qu’au cours des dernières années, le secteur est passé par des difficultés quand des actes terroristes ont frappé certains sites touristiques. Actuellement, la situation s’améliore grâce à un effort sécuritaire important pour éradiquer ce fléau qui nous frappe dans le cœur et qui menace tous les pays du monde sans exception. Après l’attaque de 2015 qui a fragilisé l’image du pays en tant que destination touristique, le gouvernement a bien compris qu’il faut combattre le terrorisme. Aujourd’hui, il a réussi à honorer son engagement et à réacquérir la confiance des Européens qui annoncent un retour en force en Tunisie. Mais pour avancer avec des pas sûrs et plus solides, il faut éviter de répéter les fautes commises par le passé pour préparer le terrain aux futures générations. «Certains n’ont pas envie de voir la Tunisie avancer. Mais le tourisme a un grand avenir prometteur et viable. Tous les atouts existent pour y parvenir et réussir ce pari à condition d’agir vite et ensemble et de consentir de réels efforts pour rendre au tourisme ce qui est au tourisme», précise le ministre.
Un chantier en cache un autre
Pour René Trabelsi, un travail énorme, important et très long devrait être effectué. Tout d’abord, il faut dépasser l’un des défauts majeurs du tourisme tunisien qui est la saisonnalité. Pendant cette période de sommeil (entre les mois du novembre et mars), des hôtels ferment leurs portes et un nombre important de personnel reste au chômage alors que le pays a d’autres atouts comme le tourisme culturel, médical, sportif, de thalasso, de chasse, saharien… «La Tunisie peut proposer toutes les formes du tourisme et peut accueillir tous types de clientèle. Dans ce cadre, on a demandé aux tour-opérateurs des pays où il fait très froid chez eux de venir passer leurs vacances hivernales en Tunisie. On a commencé, également, à contacter des équipes sportives, notamment ceux de rallye, pour encourager le tourisme saharien et sportif. Cette tentative commence à apporter ses fruits et on a reçu un feedback positif et encourageant dans son ensemble. A cet égard, un programme riche a été mis en place pour encourager ces activités. Par ailleurs, la semaine écoulée on a eu la confirmation que l’émission ‘’Ne touche pas à mon poste’’ de Cyril Hanouna va être basée sur le désert tunisien. A partir du mois de mai, la majorité de l’émission sera filmée entre le désert de Tozeur et Tataouine», explique le ministre.
L’autre enjeu qui se pose est celui de l’environnement. Malheureusement, en Tunisie cette question reste un problème de culture. Depuis quelques années, le Tunisien a laissé tomber cette histoire de propreté et n’est pas conscient que le pays doit être propre par et pour les Tunisiens eux-mêmes. Mais ce phénomène a pris plus d’ampleur après la Révolution. C’est pourquoi un travail énorme s’effectue actuellement avec le ministère de l’Environnement pour trouver des solutions et des fonds nécessaires pour résoudre ce problème. «On a demandé, également, au ministère de l’Education la possibilité d’intégrer un cours sur l’importance de la propreté et de l’environnement pour incarner cette culture sur le terrain et atteindre les objectifs de performance attendus», souligne Trabelsi.
Le ministre est revenu, également, sur l’image de la destination. L’industrie du tourisme et de l’hôtellerie tunisienne a traversé quelques années difficiles et de nombreux efforts ont été déployés par tous pour rapprocher l’image de la destination de ce qu’elle avait coutume d’être car cette image a un effet sur les attentes futures des touristes. «Outre les touristes qui sont de retour, des investisseurs, notamment américains et des pays du Golfe, ont annoncé leur intention d’investir dans le désert dans des résidences médicalisées. Donc, la demande existe et bientôt on verra le recyclage des hôtels abandonnés, qui vont devenir des résidences médicalisées, ou bien de nouvelles constructions. C’est un créneau important, capable de créer de nouveaux postes d’emplois, notamment, dans les rangs des infirmiers et du cadre de santé car il y a une moyenne de deux personnes qui peuvent s’occuper d’un retraité», explique-t-il.
L’importance de l’événementiel
Trabelsi compte beaucoup sur l’événementiel pour promouvoir la destination Tunisie. Son département travaille, actuellement, sur des projets de partenariat avec les différentes manifestations sportives, où il y a de grandes vedettes étrangères. « L’une d’entre elles peut publier des vidéos ou des photos sur son réseau social, suivi par des milliers voire des millions de fans. On peut, donc, profiter de leur réseau social pour encourager les fans qui les suivent à venir en Tunisie. Cette méthode est beaucoup moins coûteuse qu’une campagne publicitaire dans un pays européen», souligne-t-il.
Le ministre annonce, également, que son département travaille sur le retour des croisières. Outre le port de la Goulette, le port de Zarzis accueillera désormais les grands paquebots de croisière. « Ce créneau ramène une clientèle importante qui dépense une moyenne de 500 dinars pendant quelques heures, ce qui pourrait donner une bouffée d’oxygène au secteur touristique et celui de l’artisanat qu’on doit protéger car ce dernier emploie 350.000 personnes dont 85% sont des femmes».
Dans le même sillage, il ajoute qu’en 2018, les Américains ont décuplé leurs investissements dans l’artisanat. C’est pourquoi un travail énorme se fait dans ce sens pour trouver des plateformes capables de regrouper toute la production de l’artisanat pour la vendre à ces clients, ce qui fait entrer énormément de devises et crée un grand nombre d’emplois notamment dans les régions intérieures.
En ce qui concerne le marché asiatique, Trabelsi indique que plus de 35 mille Chinois ont visité la Tunisie en 2018, un chiffre en augmentation continue. Cette gamme a des habitudes particulières pour ses voyages pouvant faire plusieurs destinations à la fois, ce qui rend l’absence de lignes aériennes directes un facteur moins handicapant pour aborder ce marché. « Ce sont des ‘’voyageurs’’ qui veulent découvrir le patrimoine des pays. A titre d’exemple, un groupe venu en Tunisie est allé à la découverte de la plus ancienne huilerie à Sfax. Donc, l’avenir c’est d’avoir des voyageurs passionnés par la découverte du proche et du lointain.
D’où la nécessité de travailler sur le secteur des voyageurs qui ont un pouvoir d’achat énorme, contrairement au tourisme balnéaire», souligne-t-il.
Pour l’open sky, il affirme que la Tunisie est prête pour l’ouverture de ciel. «Le blocage au niveau du Brexit ne concerne pas seulement la Tunisie, mais tous les Européens. L’open sky, qui sort du classique, va certainement amener de nouvelles clientèles».