Certains anciens cadres issus de la Direction générale des services spécialisés (Dgss) ont confié que les deux responsables sécuritaires ont commis, de façon non intentionnelle, «une bourde» dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et n’ont pas respecté certaines règles élémentaires. Ils ont payé très cher le prix de leurs contacts avec un homme d’affaires, Chafik Jarraya, connu pour ses étroites relations avec des milices libyennes soupçonnées de terrorisme
Le verdict est tombé la semaine dernière dans une affaire qui a connu plusieurs rebondissements au point que la défense de l’un des accusés n’a pas hésité à déposer plainte auprès d’une instance onusienne basée en Suisse. Les deux hauts cadres sécuritaires Saber Laajili, ancien directeur de la brigade antiterrorsite d’El Gorgani à Tunis, et Imed Achour, ex-directeur général des services spécialisés, ont retrouvé la liberté suite à l’annulation par la Cour de cassation de l’ordonnance de la chambre d’accusation militaire se rapportant au « complot contre la sûreté de l’Etat ». Cette décision concerne deux autres accusés, à savoir l’ancien ministre de l’Intérieur Najem Gharsalli, actuellement en fuite, et l’homme d’affaires Chafik Jarraya, qui est toujours maintenu en détention en raison de son implication dans une autre affaire.
L’affaire a fait couler beaucoup d’encre et a poussé 26 députés à signer une pétition au début du mois de février dernier appelant à la remise en liberté immédiate des deux détenus Imed Achour et Saber Laajili. Du côté du ministère de l’Intérieur, certains cadres ont avoué ne rien comprendre suite à l’implication de ces deux responsables dans cette affaire et selon un dossier d’accusation contrastant avec leur dévouement indéfectible envers le pays. Le comité de défense de Saber Laajili n’a pas hésité à déposer plainte en septembre 2018 devant le groupe de travail sur la détention arbitraire relevant du Conseil onusien des droits de l’Homme basé à Genève.
Certains observateurs, et même une députée, ont dénoncé le caractère « politisé » de cette affaire qui visait en prime l’homme d’affaires Chafik Jarraya qui était en étroit lien avec des personnes influentes en Libye, notamment l’énigmatique et très controversé Abdelhakim Belhaj qui entretenait des relations avec certains dirigeants islamistes en Tunisie et qui fait aujourd’hui l’objet d’un mandat d’arrêt émanant du procureur général de Tripoli.
Pour ne pas se perdre dans les méandres du monde hermétique du renseignement, certains anciens cadres issus de la Direction générale des services spécialisés (Dgss) ont confié que les deux responsables sécuritaires en question ont commis, de façon non intentionnelle, «une bourde» et n’ont pas respecté certaines règles élémentaires à ce niveau. Et pour cause, ces contacts avec Jarraya, qui avait tous les atouts d’un manipulateur invétéré qui touchait à la contrebande et se souciait comme d’une guigne de la sécurité de l’Etat.
Une erreur monumentale certes mais qui ne pouvait aucunement aboutir à une accusation aussi grave que celle de la haute trahison. Qualifié comme pièce maîtresse dans cette affaire, et se croyant au-dessus de la loi, Chafik Jarraya s’est enlisé, de par les relations douteuses qu’il entretenait avec des parties libyennes impliquées dans le terrorisme et le trafic d’armes, dans un terrain marécageux, entraînant avec lui les deux responsables sécuritaires. Ils ont payé très cher le prix de leurs contacts avec un homme d’affaires connu pour ses étroites relations avec des milices libyennes soupçonnées de terrorisme.
Un mandat de dépôt a été émis à l’encontre de l’ancien directeur général de la Dgss, Imed Achour, jeudi 2 novembre 2017 par le procureur près le tribunal militaire de Tunis. Quant à Saber Laajili, il a été arrêté le 30 mai 2017. Les contacts entrepris avec Jarraya ont fait basculer le destin des deux hommes et ont déclenché l’affaire en question sur laquelle planent toujours plusieurs zones d’ombre. Deux ans après, ou presque, ils sont lavés de cette accusation. Mais, selon certaines sources averties, l’enquête va être reprise par la justice civile.
Samir Dridi