Le drame survenu au cours du week-end dernier ne peut laisser personne indifférent. La mort de plusieurs ouvrières agricoles dans le gouvernorat de Sidi Bouzid lors d’un accident de la circulation a soulevé, de nouveau, la question de l’organisation du transport dans ce domaine.En même temps, nous avons assisté, comme d’habitude, à des prises de position éhontées et opportunistes de la part de certaines parties.
Si tout le monde considère que les conditions de transport de ces ouvriers agricoles sont indignes, l’exploitation de ce drame par des hommes politiques, des syndicalistes, etc est beaucoup plus indigne. Le moment était très mal choisi pour les règlements de compte sur le dos de gens misérables et qu’on contribue à rendre plus misérables, encore, par des comportements «primitifs» et sous-développés.
Irresponsabilité
C’est facile d’accuser, surtout, l’Etat d’être le responsable en se cachant derrière des propos populistes et hypocrites. Seulement, ces gens qui ne ratent aucune occasion pour défoncer des portes ouvertes savent que de tels accidents ont existé depuis des décennies et existeront encore quelles que soient les mesures que l’on prendra. Où étaient-ils, ces gens-là, durant ces longues années (et, notamment, avant 2011) ? Pourquoi étaient-ils si muets et n’en avaient soufflé mot ? Et, pourquoi, aujourd’hui, ils sautent sur n’importe quelle occasion pour déverser leur haine infinie contre des autorités qui, en fin de compte, ne font que ce qui est possible dans une conjoncture rendue impossible par ces mêmes détracteurs.
Les responsables, sans vouloir prendre parti en leur faveur, ne sont pas restés les bras croisés. Des mesures ont commencé à être appliquées, particulièrement, en arrêtant les contrevenants et en dressant des amendes assez conséquentes pouvant atteindre les 700 dinars pour ce transport illicite de voyageurs. Mais la problématique est qu’il y a des obstacles de plusieurs natures qu’il faut prendre en considération. Si on frappe trop fort, la réaction sera tout aussi proportionnelle. Les agents de sécurité (la Garde nationale) usent de tout le tact nécessaire pour ne pas entrer en conflit permanent et ouvert avec les transporteurs. Car en cas de conflit, ce sont les syndicats qui, aujourd’hui dénoncent ces moyens de transport, qui monteront au créneau pour dire que ce sont les autorités qui empêchent ces pauvres citoyens d’aller à leur travail et gagner leur vie. Ils ameuteront les foules pour «dénoncer un gouvernement qui ne fournit pas des postes d’emploi et qui empêche les gens de travailler». Tout le monde connaît ces scénarios à l’avance. En outre, on peut se demander ce que font ces organisations qui appartiennent au secteur agricole (Synagri et Utap) ? Qu’ont-ils fait pour aider ces personnes victimes de l’exploitation ? N’est-ce pas des agriculteurs qui en profitent ? D’un côté, on voit des «représentants » des agriculteurs qui défendent bec et ongles les intérêts corporatistes et, de l’autre, on les voit tourner le dos aux pauvres ouvriers qui ne reçoivent pas un salaire égal à leurs peines. Il est vrai que ce phénomène n’est pas nouveau et qu’il profite aussi bien aux particuliers (agriculteurs et autres exploitants agricoles) qu’aux syndicalistes (dont beaucoup sont des exploitants). C’est normal qu’ils ne se sentent pas, directement, concernés et qu’ils vont, même, jusqu’à enfoncer le clou en rejetant la responsabilité sur le gouvernement. Or, tout le monde est responsable. A commencer par ceux qui critiquent et dénoncent. Ces derniers feraient mieux d’apporter leurs contributions afin de résoudre ce problème. Car profiter de cette tragédie pour l’utiliser comme un tremplin politique c’est, carrément, ignoble.
Don d’une journée de salaire
Il faudrait, néanmoins, reconnaître que certains agriculteurs ont le sens des responsabilités et traitent de façon plus ou moins humaine les personnes qui travaillent dans leurs champs en leur octroyant des aides en nature (des quantités des produits agricoles récoltées) en plus de la paie journalière. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de ces ouvriers trouve son compte dans ce genre d’activités faute d’autres ressources.
Ces détracteurs n’ignorent pas que c’est grâce à l’exploitation de ces gens que de nombreux producteurs agricoles s’enrichissent. En parallèle, on voit l’Utap et le Synagri qui se plaignent des conditions « catastrophiques » de l’agriculture, de l’endettement et de tous les autres maux pour mieux soutirer des fonds à l’État sans contrepartie. Pourtant, on ne les a jamais vu demander aux agriculteurs de respecter les droits des nombreux travailleurs agricoles. Au lieu d’apporter des réponses et des solutions à la détresse de ces populations, on ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Ne serait-il pas mieux que ces syndicats et organisations professionnelles (Utap, Synagri, Ugtt) mettent la main à la pâte en faisant le vrai geste concret : chaque responsable offre une journée de salaire, au moins, pour les familles des victimes. C’est mieux que de crier sur les toits qu’on va faire telle ou telle action pour «défendre» ces «misérables» ou organiser des grèves. Ces agissements sont plus préjudiciables que les drames que nos concitoyens subissent. C’est, aussi, plus sincère. Malheureusement, cette exploitation sans limites d’êtres humains profite aux propriétaires des domaines agricoles sans avoir aucun impact sur la baisse des prix. Pis encore, ces organisations corporatistes ne cessent de demander des avantages et des augmentations sur les prix à la production. C’est le cas, dernièrement, pour le lait, les céréales, etc.
Qu’en sera-t-il si, un jour, on demande aux agriculteurs d’adopter des grilles de salaires bien déterminées pour les travailleurs agricoles ? Ce sera le prétexte qui enflammera le prix de tous les produits agricoles. Car, en Tunisie, on ne répercute que les augmentations. Aussi, faudrait-il analyser de la manière la plus élaborée possible cette question, somme toute, très délicate. Les mesures à prendre doivent tenir compte de plusieurs paramètres. Il ne faut pas croire qu’en offrant des conditions de transport «dignes», des salaires et une couverture sociale et sanitaire qu’on va résoudre le problème. Des traditions existent depuis plusieurs années et il est important de ne pas les omettre. En y touchant on risque de faire s’effondrer tout un système et les répercussions s’en feront sentir au niveau des prix de tous les produits agricoles.