12h00, au centre hospitalo-universitaire de prise en charge des malades d’Alzheimer à l’hôpital psychiatrique Razi. L’atmosphère est calme. Une vingtaine de patients dont les visages couverts de rides dénotent un âge avancé, patientent dans le hall qui fait office de salle d’attente. Pas de bruit. Un environnement qui rompt, à vrai dire, avec le milieu hospitalier et tout ce qui le distingue allant des relents d’éther à la tension qui, habituellement, règnent dans les couloirs des hôpitaux. En effet, le centre baptisé également « Pavillon d’Alzheimer » est dédié à la prise en charge des patients atteints de démence, tous types confondus. Il est le premier centre de prise en charge en Afrique et dans le monde arabe. Outre les prestations de services de consultation, de contrôle et de soins qu’il offre, ce centre hospitalo-universitaire est doté d’un laboratoire de recherche. Créé en 2010 grâce à une aide financière octroyée par un donateur, le pavillon d’Alzheimer est d’une superficie assez modeste et compte au total une dizaine de pièces réparties entre cabinets de consultations et chambres d’hospitalisation, outre le laboratoire de recherche. « L’architecture intérieure du centre a été conçue d’une manière semblable à celle d’un domicile. C’est fait exprès. L’objectif étant de mettre le malade à son aise et minimiser ainsi ses réactions agressives qui surgissent à chaque fois qu’il se sent en danger en raison d’un changement d’environnement ou d’entourage ressenti », nous confie Mme Imen Kacem, professeure en neurologie à l’hôpital Razi. Le staff médical du pavillon Alzheimer assure le suivi et le contrôle médical de 5 mille patients par an venant des quatre coins de la Tunisie. Le nombre quotidien de consultations externes peut dépasser la trentaine. Il offre également des séances d’ergothérapie et d’apprentissage. « Ce sont des séances qui s’inscrivent dans le cadre du suivi de l’évolution de la maladie », explique la neurologue. Ouvrant délicatement la porte d’une chambre située au milieu du couloir qui longe le pavillon, Pr Imen Kacem nous fait pénétrer dans un espace serein. Une musique douce joue en sourdine. Au bord d’une table ronde, sont assis trois hommes et une femme accompagnés de deux jeunes assistantes. Pinceaux à la main, ils s’attellent tous à reproduire un dessin figurant sur l’écran d’un ordinateur portable. Ne semblant point perturbés par la présence des intrus, les sujets n’en ont cure. « Ne vous inquiétez pas, ils sont présents d’esprit. Le fait qu’ils bénéficient de cette séance d’apprentissage, c’est que leurs facultés cognitives sont encore fonctionnelles », nous rassure la neurologue.
Des recherches sur le facteur génétique de la maladie
Si le nombre total des malades d’Alzheimer en Tunisie s’élève à 60 mille, un autre état de fait nous a donné des sueurs froides : en effet, la Tunisie compte la cohorte la plus importante du monde de patients atteints d’Alzheimer précoce, révèle Pr Kacem. Et le terme précoce fait référence à un âge jeune qui peut concerner même des quadragénaires. Le centre effectue des recherches sur le facteur génétique de la maladie pour en déceler les causes. Jusque-là, aucun résultat concluant n’a été publié, toutefois les recherches sont sur la bonne voie, nous informe-t-on. « Nous sommes en train de réaliser des études scientifiques sur un gène spécifique « epsilon E », susceptible de se muter et causer, de facto, le déclenchement de la maladie. Nous sommes en train d’établir une banque de gènes à partir des prélèvements effectués auprès des malades que nous suivons au centre », explique Pr Kacem. Elle ajoute : «On a remarqué que les Tunisiens sont devenus plus sensibilisés quant aux symptômes de la maladie d’Alzheimer. De surcroît, les efforts déployés pour former et sensibiliser davantage les médecins de première ligne — les médecins de famille — commencent à porter leurs fruits. Toutefois, le diagnostic demeure tardif ».
Professeur Riadh Gouider, chef du service neurologie à l’hôpital Razi, abonde dans le même sens que Pr Kacem. « En Tunisie le retard du diagnostic de l’Alzheimer est estimé aux alentours de 3 ans. Ce qui est assez avancé. Ceci est dû à plusieurs raisons, notamment l’idée ancrée dans notre société que la démence chez les personnes du troisième âge est quelque chose de normal ».
La Tunisie est en train de vivre une transition démographique
Que reflète le dédoublement du nombre des personnes atteintes d’Alzheimer dans un intervalle de temps assez court (6 ans) ? En réponse à notre question, Pr Gouider explique que l’augmentation du nombre des malades d’Alzheimer dénote tout simplement le vieillissement de la population tunisienne. En effet, il s’agit d’une transition démographique et épidémiologique qui s’accompagne d’une intensification des facteurs de risque à l’instar du diabète et de l’hypertension. Cependant, avec les problèmes qui minent le secteur de la santé publique, les préparatifs pour une telle transition, notamment un plan d’action Alzheimer, ont été relégués au second plan. Pr Gouider, se voulant responsable et concis, explique : « Il est de notre devoir de demander aux autorités de tutelle un meilleur soutien et davantage de collaboration. Mais nous sommes tout à fait conscients des enjeux et défis majeurs auxquels les autorités font actuellement face ».
Le problème avec cette démence, c’est qu’elle affecte non seulement le sujet en question mais également toute sa famille. À des stades avancés, les besoins du malade sont dramatiques. Sa prise en charge nécessite parfois 3 à 4 auxiliaires de vie.
Des difficultés à la prise en charge
« C’est une maladie qui change tout dans la famille », affirme le neurologue. En sachant que les frais des soins non pharmacologiques comme l’ergothérapie, l’orthophonie, l’infirmerie, etc. ne sont pas remboursables par la Cnam et que l’Alzheimer n’est pas une APCI (Affection prise en charge intégralement), on peut facilement conclure que la prise en charge d’une personne qui en est atteinte nécessite des sommes exorbitantes. De surcroît, sur le plan financier il est impossible aux familles tunisiennes de disposer d’accompagnateurs. Les centres d’accueils spécifiques sont inaccessibles. « Généralement les proches des malades recourent à des congés de maladie longue durée pour les accompagner. Ce qui est en train de détruire des carrières professionnelles tout entières », souligne Pr Riadh Gouider. Il a fait savoir que jusque-là, on n’a pas instauré un cahier des charges spécifique permettant de structurer les centres d’accueil spécifiques. Et pourtant, paradoxalement, l’Alzheimer est une maladie à forte employabilité, soutient-on.
Quant à l’information relatée dans les médias relative à l’invention d’un vaccin contre l’Alzheimer, Pr Gouider affirme: « Les recherches sur le vaccin n’ont pas encore abouti à des résultats concluants. Les résultats préliminaires ont démontré son efficacité, toutefois ce vaccin est potentiellement mortel ».