Un numéro spécial intitulé «Archives et Histoires» se focalisant sur «Les textes fondateurs de la modernité en Tunisie (1846-1879)» a été récemment publié par les Archives nationales de Tunisie. Ce document «spécial», d’une importance capitale aussi bien pour les chercheurs que pour le public, a été conçu par Karim Ben Yedder, chercheur aux Archives nationales, et présenté par le directeur général de l’institution, le Pr Hédi Jallab.
L’objectif primordial de ce travail fort intéressant, qui témoigne de notre histoire et de notre mémoire, «est de valoriser notre institution qui regroupe des fonds et des documents historiques dont nous sommes si fiers, tant ils fondent l’Etat moderne tunisien. Ces documents sont conservés dans leur forme originale au sein de nos Archives nationales depuis sa création en 1874 par Kheireddine Pacha, soit 7 ans avant le Protectorat», affirme Hédi Jallab. Qui, dans la présentation générale de ce numéro, définit la modernité et explique les facteurs du mouvement de modernisation et de réformes que la Tunisie a connu au XIXe siècle. «La modernité étant un concept utilisé afin de spécifier les caractéristiques communes aux pays les plus avancés dans les domaines du développement technique, politique, économique et social». Et d’ajouter : «La modernité est une notion multidimentionnelle, couvrant des réalités à la fois diverses, complexes et parfois même contradictoires.
Nonobstant ses prétentions universelles, la modernité reste substantiellement un phénomène historique. C’est bien pourquoi d’ailleurs, on peut la réduire à un modèle civilisationnel paru en Occident sous l’influence de facteurs économiques, notamment la révolution industrielle, de mutations culturelles, telle que la réforme religieuse appelée «Protestantismes», et de facteurs philosophiques dont particulièrement le mouvement intellectuel appelé «Le siècle des lumières».
Documents choisis
Les textes fondateurs de la modernité en Tunisie concernent plusieurs aspects des domaines de l’Etat et de la société dès l’année 1846, date de l’abolition de l’esclavage à l’époque d’Ahmed Bey.
Promulgués sur une période de 30 ans (1846-1879), les textes témoignent de l’effervescence qui a caractérisé ce flux moderniste que la Tunisie a connu et qui touche, notamment, à l’organisation du pouvoir politique, ses institutions, sa relation avec les habitants du pays entre sujets et étrangers, ainsi que l’organisation du pouvoir judiciaire, l’institution pénitentiaire, outre les services publics, entre éducation, santé et municipalités.
Bref, «la modernité se caractérise, selon Hédi Jallab, par cette capacité qu’ont les sociétés modernes, contrairement à celles traditionnelles, à créer, changer et garantir un environnement propice à l’accumulation des expériences et du savoir».
En ajoutant que «la rationalité étant, par ailleurs, l’un de ses fondements dans les domaines de la pensée, la politique et l’économie».
Et cette modernité a trouvé, dès la fin des années 1830, un écho auprès de l’élite tunisienne et «c’est dans un contexte de flux et de reflux avec l’empire ottoman, et à l’ombre de l’expansion des Etats européens et dans le cadre d’une prise de conscience du danger et de la nécessité de la réforme, que l’Etat tunisien, écrit H. Jallab, a élaboré et promulgué une série de textes de lois pouvant être considérés comme le fondement de la modernité politique et administrative en Tunisie.
Les documents historiques, présentés et décryptés, en arabe et en français, par le chercheur Karim Ben Yedder, sont illustrés par des clichés et instantanés des textes originaux.
– Parmi les documents les plus importants qui ont été choisis, citons le texte de l’abolition de l’esclavage (26 janvier 1846) qui représente selon le chercheur «une avancée importante sur la voie de la modernité. Promulgué par Ahmed Bey, ce texte de loi représente un couronnement d’un processus d’une durée de cinq ans et un pas important sur la voie du progrès».
Le texte de loi du Pacte fondamental (Ahd Al Amen) promulgué le 9 septembre 1857, et qui consacre la proclamation des droits et représente le noyau de la législation constitutionnelle de la Tunisie moderne, proclame, dans son article premier : «La sécurité à l’ensemble des sujets et des habitants du Royaume».
– Le décret loi de la création du conseil municipal de la Ville de Tunis (29 août 1858) qui est la première institution moderne d’organisation de l’espace public urbain et son contrôle sous nos cieux.
– La promulgation du «Destour» tunisien par Mohamed Sadok Bey le 26 avril 1861, une Constitution moderne qui consacre la séparation des pouvoirs.
– La loi sur le code pénal, les codes traditionnels et autres lois judiciaires (20 juillet 1860) concernant les institutions pénitentiaires (5 mais 1874)
– La création du collège Sadiki, en février 1875, qui consacre l’éducation, moderne et rationnelle, ainsi que l’éveil des Tunisiens quant aux avantages du savoir et de la connaissance.
– Le décret loi de la création de l’hôpital Sadiki, le 19 janvier 1879, qui scelle le rôle et la responsabilité de l’Etat qui doit assurer les services de santé publique aux Tunisiens.
Toutes ces lois et d’autres ont favorisé la modernisation de l’administration et de la société tunisienne au cours d’un siècle difficile pour la Tunisie qui a connu et souffert, outre des catastrophes naturelles, de l’expansion et de la colonisation occidentale.
Ce numéro spécial de 294 pages sera mis en ligne sur le portail web des archives nationales, ce qui sera profitable à tous les lecteurs et chercheurs férus d’histoire.
Enfin, le Pr Hédi Jallab annonce déjà la prochaine publication d’un autre numéro spécial portant sur «Les droits de l’homme en Tunisie au XIXe et au XXe siècle». A suivre donc.
Samira DAMI