Se déployant sur 600 pages, richement illustré, «Le sérail des beys de Tunis» a demandé à son auteur, El Mokhtar Bey, une trentaine d’années de travail et de recherches.
Il avait 10 ans lorsque son grand-père Ahmed Bey II, qui a régné entre février 1929 et juin 1942, décède. Jeune prince portant sur les photos Nichan Eddam (l’ordre du sang), qui était uniquement dédié à la famille beylicale, El Moktar Bey se souvient bien de tous les détails de la vie du sérail. En 1957, lorsque la République est proclamée le 25 juillet à la séance inaugurale de l’Assemblée nationale constituante de l’époque, jeune étudiant en droit à Paris, il écoute ulcéré un véritable pugilat contre le règne des husseinites. Qualifiés publiquement de traîtres et de voleurs, il se promet à lui-même de rectifier un jour ou l’autre une vérité historique sur ces souverains, qui ont dirigé le pouvoir en Tunisie pendant deux siècles et demi (1705-1957).
Ce vœu pieux est devenu dernièrement réalité. El Mokhtar Bey, Docteur d’Etat en droit et en science politique et ancien avocat de la Cour d’appel de Paris, vient de publier un ouvrage en trois parties, intitulé : « Le sérail des beys de Tunis ». Le tome I de l’ouvrage porte le titre : « De la souveraineté et de la dignité beylicales ». Dans quelques mois, il mettra en vente le second tome : « Du Salamlik ou des beys au pouvoir ». Puis le troisième volume : « Du haramlik ou des beys dans l’intimité ».
Gros de 600 pages, très richement illustré, « Le sérail des beys de Tunis » a demandé à son auteur une trentaine d’années de travail et de recherches. Les sources documentaires, El Mokhtar Bey les a puisées dans les archives de sa famille, ses propres archives à lui, des interviews aux derniers témoins de la dynastie husseinite, les archives publiques et les publications diverses.
Adoption du principe de l’hérédité du trône
Husseïn Ben Ali, dont le père est d’origine crétoise, devient, presque malgré lui, selon l’auteur, bey de Tunis en 1705. « Husseïn entreprit d’affirmer et de conforter son autorité souveraine par le maintien des structures traditionnelles cependant domestiquées, exprimant ainsi un conservatisme politique nécessaire à l’ordre public et à la paix sociale qui le préoccupaient constamment, d’une part, l’arabisation et l’«autochtonisation » des institutions d’autre part, et l’adoption du principe de l’hérédité du trône dans sa famille, enfin », écrit El Mokhtar Bey.
Dans l’exercice du pouvoir beylical, la collecte des taxes «el mahallè » revêt une importance capitale. Cette opération représentait également, selon l’auteur, «un gouvernement itinérant». «Puisque le bey en personne ou le cadhi el mahallè… rendait justice aux plaignants, réglait les problèmes administratifs, rétablissait l’ordre public».
Instituer l’hérédité du trône dans sa famille relevait d’autre part pour le premier monarque husseïnite d’une volonté d’affranchissement du sultan ottoman. Désormais la légitimité juridique du roi relève uniquement de son appartenance à la maison husseïnite.
Symboles, esthétique et raffinement
Ressemblant à un magnifique album de la famille beylicale à travers les siècles, le livre démontre la splendeur des palais husseïnites, la magnificence de leurs costumes brodés d’or, la multiplicité de leurs médailles, ordres, armoiries, sceaux…Tous symboles d’un pouvoir basé entre autres sur l’esthétique et le raffinement.
On apprend dans le livre que seul le bey régnant devait lâcher sa barbe, symbole de force, de courage et de virilité. Le bey du camp, l’héritier présumé du bey, devait porter nécessairement une barbe en collier que dessinait à son investiture le barbier du palais. L’auteur fait remarquer : «Lamine Bey déposé le 25 juillet 1957 par l’Assemblée constituante, qui abolit la monarchie et proclama la République, conserva sa barbe de monarque jusqu’à sa mort dans son petit appartement en location du 11 rue Fénelon à Tunis, le 2 octobre 1962».
Mais au Royaume de Tunis, tout n’allait pas à merveille, le constate El Mokhtar Bey. Il énumère les raisons de la chute de la dynastie : « la » mameloukisation» du pouvoir, la dérive fiscale de certains souverains, l’ouverture incontrôlée ou insuffisamment contrôlée du pays à la modernité, l’inconscience de certains gouvernants, l’agressivité de sujets étrangers, de surcroît, annexionnistes, et après 1881, la politique anti-consensuelle et isolationniste des autorités françaises, qui, pour gouverner à leur guise, ne se préoccupant que de la légitimité juridique des monarques, les coupèrent du peuple… ».
Vivement les deux prochains tomes de cette encyclopédie consacrée aux beys de Tunis, et particulièrement le dernier sur le harem et ses intrigues.