On doit à Sofian El Fani le César de la meilleure photo pour le film «Timbuktu» de Sissako, les très belles images des films de Kéchiche, de «L’esquive» jusqu’à la Palme d’Or de «La vie d’Adèle». Très jeune stagiaire sur «Star Wars» et «Le Patient Anglais» tournés dans le Sud tunisien, il tourne maintenant partout dans le monde, en France, aux Etats-Unis, aux Emirats, en Guyane, en Italie, au Moyen-Orient, au Canada, en Belgique, en Algérie et au Kosovo. Le dernier film sur lequel il a travaillé est «It must be heaven» de Elia Suleiman en sélection officielle au festival de Cannes 2019.
Vous êtes le directeur de la photographie sur le nouveau film de Elia Souleiman, «It must be heaven» en compétition officielle à Cannes . Comment était la collaboration avec ce réalisateur particulier ?
C’est plutôt un réalisateur qui fait un cinéma particulier ! Lorsque Elia Souleiman m’a contacté pour la première fois il m’a dit « une collaboration sur un film c’est comme un mariage. Nous devons mieux nous connaître d’abord et après on verra. Si tout va bien on va rester une longue période ensemble». On s’était rencontré à Paris pour faire les premiers repérages et la lecture du scénario et là on a compris qu’on était sur la même longueur d’onde.
C’est un film qui a pris beaucoup de temps…
Déjà le réalisateur à travaillé sur ce film pendant deux ans avant de commencer le tournage. Et comme c’est un tournage qui se déroule dans trois pays différents : la Palestine, le Canada et la France, ça a pris beaucoup plus de temps. Dans chaque pays il y a une nouvelle préparation et une redéfinition de la direction du tournage tout en gardant le même dispositif, bien sûr. Le dispositif de Elia Suleiman est différent. C’est une chorégraphie pas facile à installer mais qui prend beaucoup de temps. Ça parait simple à l’écran mais très compliqué à réaliser
Vous avez travaillé avec des auteurs comme Abdellatif Kechiche, Elia Souleiman et Abderrahmane Sissako pour ne citer que ceux-là. Est-ce que vous trouvez assez de marge avec eux pour mettre une touche de créativité ?
Ce sont des personnalités assez fortes et exigeantes dans leur travail. C’est à dire qu’ils ont une vision assez précise de ce qu’ils veulent obtenir mais ils laissent de la place à la recherche et c’est là où ça devient intéressant pour moi. Pour ma part j’essaie d’interpréter ce qu’ils veulent et je leur donne des propositions qu’ils acceptent généralement. Oui ! j’ai toujours eu de la marge côté création tant que je reste dans l’esprit du film.
Vous avez fait quatre films avec Kechiche, dont un en tant que chef opérateur ; «La vie d’Adèle». Qu’avez-vous tiré de cette expérience ?
Kechiche c’est un autre style ! J’ai appris comment travailler avec des acteurs, être attentif et sensible à leur jeu et intégrer tout ça dans une narration filmique. Cette méthode de travail nécessite une grande confiance entre le chef opérateur et le réalisateur. Sincèrement, j’ai appris beaucoup de choses avec lui .
Vous avez aussi défini votre propre style de caméra à l’épaule…
Je l’ai fait avant mais avec Abdellatif c’était le dispositif qui a fait qu’on pouvait travailler de cette manière-là : la caméra était toujours à la recherche d’une émotion ou d’une vérité convaincante. De plus, en filmant de cette manière je me sens beaucoup plus libre et les comédiens aussi. Avec cette technique tout le monde travaille en chœur et c’est comme une chorégraphie qui se met en place. Mais c’est quelque chose qui demande également beaucoup de travail. C’est aussi une autre manière de faire du cinéma.
Certaines prises de vue comme celle du Lac dans le film «Timbuktu» sont de véritables réussites. Comment faites-vous pour réussir ce genre de plan ?
C’est un plan que j’avais choisi… j’avais trouvé l’endroit et Sissako a été tout de suite réactif et avait aimé l’idée. Quand je travaille avec des réalisateurs qui me font confiance et qui me mettent dans une atmosphère où je peux proposer des choses et donner libre cours à mon imagination j’arrive à ce genre de plan.
Avec les Américains ça se passe de la même façon ?
Lorsque j’ai travaillé avec la HBO c’était différent, c’était assez limité… les producteurs américains sont sur le plateau et interviennent dans le travail du réalisateur. C’est un peu plus cadré. C’est une machine lourde où il y a beaucoup d’argent et où le temps est compté…
Vous rêvez de faire un film particulier ?
Je n’ai pas quelque chose de particulier mais je rêve de faire des films intéressants où le réalisateur peut m’enrichir et me permet d’évoluer en m’offrant une collaboration créative.
Y a-t-il des réalisateurs avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Matteo Garonne par exemple… mais en général j’aimerais travailler avec des réalisateurs qui ont un univers et qui m’offrent de nouvelles expériences . J’aimerais bien aussi faire des films qui défendent la cause des gens du Sud… ce sont des films qui me touchent aussi…