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Marché des médicaments : de l’approvisionnement à la distribution

Le manque d’approvisionnement en médicaments se fait sentir de plus en plus ces dernières années. «La pénurie est observée tant au niveau de l’hôpital public, avec les signaux d’alerte émis par les médecins hospitaliers qui manifestent leur désarroi face à une situation inédite et inquiétante, que du côté des officines, dont certaines instances syndicales publiaient des listes de médicaments introuvables sur le marché (près de 170 références en juillet 2018)», affirme l’Agence de notation tunisienne PRB Rating dans sa première analyse sectorielle du mois de mai 2019 sur le marché des médicaments en Tunisie.
Cette pénurie n’est pas considérée comme un événement ponctuel, mais elle s’inscrit désormais dans un processus progressif. La crise s’est déclenchée en 2017 en l’absence de mesures radicales et efficaces qui s’ajoutaient aux multiples défaillances et divers facteurs défavorables, menant à la plus grave pénurie de médicaments enregistrée dans le pays.

Monopole d’importation
Faut-il rappeler que la filière des médicaments est gérée par plusieurs structures dont les structures d’approvisionnement avec la Pharmacie centrale de Tunisie qui détient le monopole d’importation des médicaments et qui est supposée garantir la distribution et la disponibilité des médicaments (stock de sécurité) sur tout le territoire, notamment au sein des établissements sanitaires publics (2.352 centres de soins publics: établissements publics de santé (23), hôpitaux régionaux (35), hôpitaux de circonscription (110), groupements (28), centres de soins de base (2156), auxquels s’ajoutent les 6 cliniques gérées par la Cnss. Le secteur public est présent aussi dans la production de médicament, via la Siphat, filiale à 68% de la Pharmacie centrale de Tunis.
Dans l’ensemble, la Pharmacie centrale a été particulièrement pointée du doigt dans ce contexte de pénurie, son rôle atypique d’importateur exclusif du médicament, sa place centrale et exclusive également dans l’approvisionnement des structures de santé publiques et para-publiques et enfin sa responsabilité dans la gestion des stocks de sécurité du pays ont motivé cette mise, simpliste, à l’index.
De même, la situation financière difficile de la Pharmacie centrale et ses conséquences sont en partie à l’origine des défaillances cumulées dans le financement du système de santé. Elle a, en effet, «subi, l’ensemble des défaillances des autres chaînons du dispositif d’approvisionnement et de distribution des médicaments».

Production locale
Les indicateurs montrent que le marché des médicaments en Tunisie totalisait 2,3 milliards de dinars en 2017, avec 47,4% d’importations de la Pharmacie centrale (monopole) et 52,5% comme production locale de médicaments. La Pharmacie centrale est le fournisseur exclusif des établissements sanitaires publics et parapublics, que ce soit pour les médicaments importés ou ceux produits localement. 76% des médicaments «hospitaliers»proviennent des importations, donc de la Pharmacie centrale de Tunis (PCT) et 24% proviennent des producteurs locaux qui passent par la PCT. Selon l’analyse de la PBR Rating, «l’essentiel du marché du médicament est écoulé à travers le circuit de distribution privé». Le volume des ventes de médicaments à travers les officines et les établissements privés (prix publics) s’élèvent à 1,705 MD (75%). Les ventes de médicaments à travers le secteur hospitalier public sont de l’ordre de 575 MD (25%).
«La PCT est par conséquent chargée de l’approvisionnement de 47,5% du marché du médicament dans son ensemble en Tunisie et 100% de l’approvisionnement du secteur public. De même, le secteur privé écoule 75% des ventes de médicaments. Il joue le rôle principal de la distribution de médicaments à travers les 1.500 officines pharmaceutiques à travers la République. Des officines qui se fournissent auprès d’une soixantaine de grossistes répartiteurs».

Laboratoires étrangers
Concernant l’industrie pharmaceutique tunisienne, elle compte 35 unités de fabrication de médicaments réparties entre unités filiales de laboratoires étrangers et d’autres gérées par des investisseurs tunisiens. Le leader du marché officine ne dépassant pas les 10% de parts de marché. Néanmoins, «la production locale de médicament parvient désormais à couvrir plus de la moitié des besoins du marché du médicament, avec un taux de couverture de 52,5% en 2017». La couverture a évolué au cours des cinq dernières années, moyennant un décalage de croissance entre importations et production locale, soit +2,5% /an et +7%/an.
Par ailleurs, l’enveloppe des investissements mobilisés pour le secteur pharmaceutique a atteint 720MD en 2018. Les exportations sont en hausse, à raison de +18% /an, orientées essentiellement vers les pays du Maghreb.
Selon la même source, le marché boursier tunisien compte trois sociétés du secteur pharmaceutique, à savoir, Àdwya, Unimed et Siphat. La société Siphat, à titre d’exemple, a réalisé un chiffre d’affaires de 45,7 MD en 2018, soit une évolution de 10% par rapport à 2017. Sa production est destinée essentiellement au secteur hospitalier qui absorbe 68% des ventes. Les exportations sont peu significatives, représentant 3% du chiffre d’affaires.
Concernant sa rentabilité, «la société affichait une aggravation de ses déficits depuis 2010 et jusqu’en 2017 ( les comptes de 2018 ne sont pas encore publiés). Déficitaire, elle n’a pas pu payer ses créances et financer son outil de production. La structure financière de cette société industrielle, filiale de la Pharmacie centrale, est fortement fragilisée».

Objectifs de rentabilité
Sa dette nette a atteint 18,3MD dont 6MD de compte courant associé fourni par la Pharmacie centrale, que cette dernière a totalement provisionnée dans ses comptes. «Le positionnement particulier de la Siphat rend ses performances peu comparables avec les autres acteurs du secteur. Elle ne semble pas s’inscrire dans les mêmes objectifs de rentabilité et subit des contraintes d’une gouvernance «publique» dans un environnement sectoriel concurrentiel en forte mutation».
C’est dire que l’industrie pharmaceutique locale, qui affiche des réussites dans le secteur privé, se trouve dans une situation difficile pour le secteur public, «subissant un contexte macroéconomique délicat et un retard indiscutable en matière de réformes». D’où la nécessité d’établissement d’un dialogue approfondi entre le secteur privé et public afin d’améliorer et privilégier davantage l’offre locale de médicaments. La présente analyse du PBR Rating identifie les ambitions du secteur pharmaceutique privé qui sont focalisées sur l’augmentation du nombre des employés qui sera porté en 2023 à 11.500 contre 9.000 en 2017, des volumes d’investissements dans les capacités de production de 720 à 900 MD, avec la mise en place de 5 nouvelles unités de production. Il s’agit, également, de mettre en œuvre un outil développé qui permet de relever davantage le défi de l’exportation avec comme objectif de porter le montant des exportations de 164MD en 2018 à 520MD en 2023.
Enfin, l’on recommande de multiplier les capacités de production additionnelles qui permettront d’améliorer le taux de couverture de médicaments par la production locale pouvant atteindre 62% en 2023 contre 52,5% en 2017.

Poids de la compensation
À ceux-ci s’ajoute le processus d’octroi des autorisations de mise sur le marché (AMM), dont la durée doit être révisée et ramener à 12 mois conformément aux standards internationaux, au lieu de 24 et 36 mois. «Ce gain de temps et de visibilité devrait avoir un impact sur l’élargissement des investissements et l’offre de médicaments produits localement et accélérer aussi les performances à l’export». L’analyse indique que le dialogue public-privé semble s’établir sur la réforme de processus complexes et spécifiques au système du médicament tunisien: la fixation du prix et la compensation. L’analyse affirme que le système de compensation des prix génère une perte sèche pour la Pharmacie centrale qui se chiffre à 210MD en 2018. «Cette subvention du prix du médicament en Tunisie est assumée intégralement par la Pharmacie centrale qui ne dispose d’aucun soutien financier pour l’y aider. Avec l’accroissement du poids de la compensation, fortement corrélé à la dépréciation du dinar face à l’euro, la rentabilité opérationnelle de la Pharmacie centrale se dégrade d’une année à l’autre. À 3,3% en 2017, la marge brute dégagée par l’activité s’effondre à 41 MD». L’importation des médicaments par la Pharmacie centrale est destinée aux deux circuits de distribution, le circuit public (52%) et le circuit privé (48%). Le nombre de références importées par la Pharmacie centrale pour le secteur public est de 930 et de 1.300 pour le secteur privé. En mai-juin 2018, la pénurie du médicament importé a concerné 365 médicaments destinés au secteur hospitalier public, soit 39,3% du total et 444 médicaments destinés au secteur officinal privé, soit 34,2% du total.

Mécanismes de financement
La pénurie a davantage été marquée sur le secteur public: 1/3 des médicaments en rupture en moyenne au cours des années 2017 et 2018. Le secteur privé a été touché aussi: 26% des médicaments manquants en 2017, 28% en 2018. La rupture dans le secteur privé a atteint son pic au cours du deuxième trimestre de 2018.
En somme, les raisons de la plus grave pénurie de médicaments en Tunisie s’articulent autour de cinq causes dont les remèdes sont pour la plupart identifiés: les mécanismes de financement du circuit public de médicament (Pharmacie centrale, Cnam et hôpitaux), le manque de visibilité et les défaillances de planification des besoins en médicaments, les capacités de production locales: défaillance de certains producteurs, réactivité insuffisante…, le non-respect des niveaux minimum de stocks par les chaînes de distribution privée: grossistes et officines et les irrégularités du marché: surconsommation, contrebande…
«Ce décalage public-privé s’explique principalement par le volet financier. Pour les importations «officinales», la Pharmacie centrale ne joue qu’un rôle d’intermédiaire entre le fournisseur et le client final (distributeur privé) qui honore ses engagements de paiement. Ce sont les opérateurs privés qui ont permis à la Pharmacie centrale d’assurer la viabilité et la pérennité de son activité durant cette période».

Situation des impayés
La réduction de la pénurie a commencé en avril-mai 2018, période ayant enregistré en même temps la prise de mesures visant l’amélioration de la visibilité sur la situation financière (trésorerie) de la Pharmacie centrale. Des mécanismes de remboursement régulier de la Cnam et du secteur hospitalier ont été notamment mis en place. De même, la Pharmacie centrale a eu accès à des lignes de financement de l’ordre de 400MD auprès d’un pool bancaire. Ces mesures sont de nature à améliorer la visibilité sur l’évolution de la solvabilité de la Pharmacie centrale permettant une reprise progressive de l’approvisionnement. Par ailleurs, le rétablissement de la situation des impayés de la Pharmacie centrale vis à vis de ses fournisseurs est prévu pour le troisième trimestre 2019. En définitive, l’analyse montre que la crise du médicament n’est toujours pas résolue. «Les ruptures de stock conjoncturelles sont des systèmes graves et persistants, des problématiques désormais structurelles: la mauvaise gouvernance du système de santé et les déséquilibres financiers qui en découlent». Le secteur privé demeure le pilier de la filière du médicament en Tunisie. Les 3/4 des médicaments sont écoulés à travers le circuit de distribution privé et la production nationale de médicament couvre 52,5% des besoins du pays. L’industrie pharmaceutique est un secteur prometteur pouvant générer des investissements conséquents et appuyer la compétitivité à l’export qui représente 17% de la commercialisation nationale des médicaments produits en Tunisie. «Dans un marché local exigu et un contexte macroéconomique national difficile, le développement des exportations favorisera la consolidation rapide du secteur et des gains importants pour la balance commerciale en Tunisie».

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