Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre français, président de la Fondation Leaders pour la Paix, à La Presse : «Si l’argent est le nerf de la guerre, la femme est le nerf de la paix»

C’est une réflexion stratégique sur le rôle des femmes dans les processus de développement, de démocratie et de paix, que la Fondation «Leaders pour la paix» proposait à cinquante femmes tunisiennes. Ce PeaceLab, conçu selon un module original, s’attachait à dégager des idées innovantes, plaçant la femme au cœur de ce processus. M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre français, président de la fondation «Leaders pour la paix» à l’origine de ce projet, a bien voulu répondre à nos questions.

Voici venu le temps de tous les dangers, y a-t-il moyen de garder espoir en un monde de paix ?
Tous les matins, je ne vois et n’entends que de mauvaises nouvelles. Les inquiétudes des Suédois sur la Russie, de la Russie sur l’Otan, l’Europe qui se déconstruit, le terrorisme toujours présent, le changement climatique…Deux seules lueurs dans ce sombre tableau, deux bonnes nouvelles tout de même : l’émergence des femmes dans la politique, et la conscience de la planète sont deux phénomènes largement partagés dans l’ensemble du monde.
La situation internationale est particulièrement préoccupante, notamment pour l’espace intercontinental euro-africain pris en étau entre l’Amérique et la Chine de manière très préoccupante.

Revient-on à la «logique» des blocs et de la guerre froide ?
Guerre froide au niveau commercial qui commence à être chaude au niveau de la parole. L’important pour moi est que le continent euro-africain comprenne que son destin est commun et prenne conscience de son potentiel de force commune. Est-ce une chance ? La dialectique sino- américaine crée une force de résistance par défaut. L’Europe a avancé par nécessité d’union au lendemain de la guerre. Cette instabilité sino-américaine apporte une énergie pour construire une force nouvelle. Il faut le savoir : il n’y a pas d’avenir heureux au Nord si le Sud est malade, et pas d’avenir heureux au Sud si le nord est malade. L’avenir de nos petits-enfants dépend de notre capacité de faire exister dans le monde une force euro-africaine.

Ne percevez-vous pas des réticences au niveau de la montée des populismes ?
Non pas une réticence, mais une préoccupation qui mobilise l’Europe du Nord et de l’Est face aux ambitions russes. Et qui la distrait donc des préoccupations sud euro-africaines.
Mais le populisme est une pulsion, une colère, l’exploitation d’une humeur populaire. C’est une vision à courte échéance, qui ne peut être durable. Ce n’est en aucun cas une solution.  On ne construit pas avec des humeurs. La bataille est une bataille de pensée, de raison, une bataille à long terme

La fondation «Leaders pour la paix» a aujourd’hui suffisamment de recul pour juger de son action ?
Nous participons de manière positive à l’élaboration d’une pédagogie pour la paix. Nous arrivons à faire passer l’idée que, tout comme il y a des écoles de guerre, il est essentiel de créer des écoles pour la paix. C’est un travail pédagogique d’investissement culturel et stratégique. Là est la première idée à implanter dans ce travail pour la paix.
La deuxième idée étant de conforter la place des femmes dans ce travail. Car comme le disait une participante à notre « Peace-Lab », si l’argent est le nerf de la guerre, la femme est le nerf de la paix.

Le peace  Lab de Tunis est le troisième que tient cette université pour la paix, après Paris et Abidjan. Peut-on déjà en mesurer l’impact? Et déjà annoncer la prochaine ?
A Tunis, nous avons adopté pour un module de travail différent. Nous avons réuni 50 femmes dont l’expertise en ces sujets est très forte, autour de six tables, avec, à chaque table, un homme témoin. A ces femmes, des enseignantes, des juristes, des responsables d’ONG, on a imparti des temps de réflexion courts et concis, leur demandant chaque fois d’aller à l’essentiel. Chaque table devait dégager une idée et une méthodologie innovante, la structurer, lui trouver un slogan, en définir le processus. L’idée nous en a été proposée par le philosophe Michel Serres qui vient, hélas, de disparaître. Le résultat a été stimulant. La prochaine rencontre aura lieu au Vietnam, au mois de décembre prochain, sur le thème de «La sécurité en Asie». Il y aura également une  rencontre programmée à Genève sur le thème «Investissement et paix». Nous essaierons d’établir une charte vertueuse pour les investissements de reconstruction après les guerres. Car c’est souvent du non- respect des traités de paix que se rallument les conflits que l’on croyait apaisés.

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