Accueil International Facebook lance sa monnaie privée “Libra” : Paris et Londres suivent avec prudence

Facebook lance sa monnaie privée “Libra” : Paris et Londres suivent avec prudence

En lançant sa monnaie privée «Libra», Facebook relance les craintes de ceux qui redoutent un nouvel affaiblissement des pouvoirs des Etats face aux Gafam et aux multinationales. Le gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre Mark Carney et le ministre de l’Economie et des finances Bruno Le Maire n’ont pas affiché d’hostilité de principe à «Libra», mais ont réclamé des garde-fous pour éviter de voir grandir une monnaie sans contrôle public. Si le projet Libra est un succès, «il deviendra instantanément systémique et devra être soumis aux meilleures normes de régulation», a déclaré hier M. Carney, qui a promis de suivre «très attentivement» la situation. «S’il s’agit d’un instrument de transaction, pourquoi pas» a déclaré de son côté Bruno Le Maire. Mais une société privée «ne peut pas et ne doit pas créer une monnaie souveraine qui pourrait être en concurrence avec les monnaies des Etats”, a-t-il ajouté.
M. Le Maire a demandé aux gouverneurs des banques centrales de préparer un rapport pour le G7 finances qui se tiendra à Chantilly mi-juillet, «sur les garanties qui doivent être apportées sur cette monnaie numérique pour qu’elle soit envisageable”.
Un député socialiste français, Jean-Michel Mis, a résumé dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale les craintes face à Libra. La monnaie Facebook «pourra passer les frontières géopolitiques et pourra être transférée sans frais partout dans le monde via Messenger et Whatsapp», a-t-il rappelé.
Au delà des risques liés au blanchiment ou au financement du terrorisme, «l’interrogation la plus cruciale est celle de notre souveraineté, celle de voir une puissance monétaire en capacité d’influencer les marchés et de contourner les Etats», a-t-il souligné. «Ce sujet n’est pas technologique, mais éminemment politique», a-t-il ajouté. Pour l’économiste Nathalie Janson, enseignante à l’école de commerce Neoma, la lancement de Libra est bien un nouveau grignotage des pouvoirs des Etats, même s’il ne faut pas en exagérer l’importance.
En cas de succès, Libra pourrait encourager les consommateurs à se tourner vers d’autres cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’éther, estime-t-elle.
«Ce sera potentiellement un pas décisif pour renforcer la confiance» dans les cryptomonnaies, qui aiment à se poser en alternative aux monnaies nationales, a-t-elle déclaré à l’AFP.
Libra «moins contestataire» que le bitcoin Mais Libra elle-même est «moins contestataire» que le bitcoin, souligne-t-elle.
A la différence du bitcoin, Libra ne coupe pas le lien avec les monnaies nationales, puisque sa valeur sera indexée sur plusieurs devises, dont le dollar et l’euro. «Elle n’a pas vocation à remettre en cause les monnaies nationales», puisque sa valeur est garantie par les réserves en devises que détiendront les gestionnaires du système, Facebook et ses partenaires, explique-t-elle.
De fait, Jacques Favier, historien, spécialiste de la finance, et grand défenseur du bitcoin, ne reconnait pas Libra comme l’une des «monnaies décentralisées» qu’il souhaite voir émerger, pour réduire la dépendance à des Etats mal gérés et piètres décideurs. Libra pourra peut-être s’imposer dans les zones ou les banques sont rares, voire inexistantes, comme dans les pays émergents, concède-t-il.
Au delà d’un risque de remplacement des monnaies nationales, Libra représente peut-être surtout une nouvelle captation d’activités économiques par Facebook, qui renforce encore la puissance politique du géant américain.
Facebook et ses partenaires dans la gestion de Libra détiendront des réserves correspondantes en monnaies nationales, rappelle Nathalie Janson. «Que se passera-t-il» si des consommateurs se détournent de Libra et si des grandes quantités de monnaies nationales «réapparaissent sur les comptes de dépôt»?, ajoute-t-elle.
En tout cas, la nouvelle expansion de Facebook «ne fait que renforcer notre détermination à réguler les géants du numérique», a déclaré Bruno Le Maire.
«Nous refusons les monopoles, nous voulons une économie de marché dans laquelle la concurrence peut fonctionner à plein, dans le numérique comme dans les autres secteurs», a-t-il souligné.

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