Non, vous ne l’aurez pas, Tunis, celui de la poésie, de l’insouciance, des cafés au goût de cramé sur les terrasses, des ruelles pisseuses et mystiques, celui du vacarme, celui des jeunes, impétueux, insolemment heureux, qui pérorent sur l’avenue, celui du chapati quatre bactéries et des innombrables «le roi du poulet», celle de la rue du Caire, celui où l’on va en pèlerinage, celui des bars «malfamés» où Tunis se fait et se refait au gré des rôts, celui des salles de cinéma où des jeunes disent en ricanant en voyant une scène osée «Ya weldi baddel el Rai Uno w rajj3elna Tounes», celui des vendeurs de CD gravés, celle des oiseaux qui se sentent aussi chez eux, qui te chient à la gueule en gazouillant, celui des belles brunes au cou inoubliable, celui des barbelés qui ne nous font pas peur, celui des fous qui crient en courant, celui des graffitis un peu partout.
Tunis, ce bercail, ce nombril du monde, est invincible, éternelle, comme une douce symphonie où le mézoued s’invite, comme le mélange harmonieux de «Harissa bel mayonnaise», Tunis comme un organe sans lequel le corps ne vit plus. Tunis où la poésie est embusquée à chaque coin de rue, vous n’aurez pas sa peau ! Baghdadi, ses chiens et les chiens de ses chiens n’y pourront jamais rien. Du sang béni qui coule sur le bitume, il poussera des fleurs, désinvoltes, qui mangent du lablebi à 8h30 du matin ; un plat de 3 dinars 900 chaque jour, qui prennent la vie du bon côté et ne tournent jamais le dos au soleil. Tunis ne dépérira pas.
Tunis l’imperturbable, à jamais debout, même s’il donne l’impression de vaciller.
Tiens bon, Tunis, tiens bon!
On vit un jour triste qui laisse présager des lendemains incertains, qui dit des rumeurs assassines, mais l’on sait aujourd’hui plus que jamais, aujourd’hui comme toujours, que nulle fatalité n’aura raison de ce petit pays, verrue géographique sur le nez du monde, nombril de l’univers malgré tout.
Petit pays, tu n’as d’autre choix que d’être grand et de le demeurer.
Khalil Behi