Mis à l’épreuve du pouvoir local, nos élus municipaux, installés depuis une année, se sont trouvés face à une réalité du terrain beaucoup plus complexe qu’ils ne le pensaient. Car la gestion des affaires courantes n’est pas une sinécure. Cela dit, faire participer le citoyen et chercher à travailler en réseau avec d’autres communes partenaires semble un choix incontournable. Sur cette lancée, le passage en Tunisie de M. Christian Laine, maire de Lescar, a été fructueux, dans la mesure où il a inauguré à Testour une nouvelle étape de coopération intercommunale. La Presse a profité de sa visite pour lui poser quelques questions sur l’expérience tunisienne en matière de pouvoir local. Interview.
Tout d’abord, en quoi consiste essentiellement la convention que vous avez signée avec la commune de Testour ? Et quelles en sont les motivations ?
En accord avec le maire de Testour et le gouverneur de Béja, nous avons décidé d’apporter notre concours à un vaste projet de coopération décentralisée concernant la collecte, le tri, le recyclage et le traitement des déchets émis par la ville de Testour et les localités environnantes.
Pour réussir ce projet, il ne s’agit pas seulement de résoudre des problèmes techniques mais d’accompagner les habitants dans un changement de culture et de pratiques.
Pour Lescar, notre engagement dans la coopération décentralisée est une évidence de solidarité internationale et dans le cas précis avec la Tunisie qui vit avec courage l’expérience de la démocratie. C’est un vaste partenariat autour de l’association franco-tunisienne de Lescar que nous avons initiée avec le concours de l’agglomération Pau-Pyrénées, le département des Pyrénées Atlantiques, la région nouvelle Aquitaine, l’hôpital de Pau, l’université, etc.
Avez-vous une idée sur l’expérience du pouvoir local en Tunisie, un an après les municipales 2018?
Le changement de culture, de pratique, d’état d’esprit, de regard qu’impose la démocratie demande du temps et de l’apprentissage et en référence à mes récents contacts avec mon collègue de Testour et avec cette principale référence, il me semble que les nouveaux maires ont pris avec courage la mesure des responsabilités qui sont les leurs mais également que le rapport au peuple n’est jamais simple tant les attentes sont nombreuses.
D’après vous, quelle est la clé de voûte de l’approche communautaire participative ?
Il y a tendance chez les jeunes démocraties à penser que tout est devenu possible, mais la gouvernance communale ne peut être l’addition des demandes personnelles et particulières. Porter un regard collectif, communautaire s’apprend. Il y a donc nécessité de travailler sur des méthodes, voire des règles d’expression et d’écoute car le risque est réel que la parole du plus fort domine sans l’écoute attentive qui doit être portée aux minorités et aux exclus.
Alors oui, il y a de bonnes pratiques de gouvernance locale. Si le débat, le partage en font bien évidemment partie, la décision majoritairement partagée dans un intérêt collectif en est également un élément d’importance. La démocratie, c’est l’art de rendre possible ce qui est utile à tous.
En tant que maire de Lescar, région où la gestion des affaires locales ne date pas d’hier, comment voyez-vous nos premiers pas sur la voie de la décentralisation?
Au regard de l’expérience de Testour, je suis résolument optimiste et aujourd’hui mon collègue tunisien rencontre, après un an de mandat exactement, les mêmes problèmes que moi après 11 ans de pratiques dans un pays qui vit en démocratie depuis 300 ans.
La règle démocratique qui vise le communautaire aura toujours face à elle les intérêts particuliers et leur pression.
Durant votre mandat à la tête d’une mairie, quelle propre définition donneriez-vous de ce concept (décentralisation) encore émergent pour nous ?
La décentralisation, c’est initialement un transfert des pouvoirs d’Etat en faveur de personnes morales de droit public distinctes de lui, lesquelles bénéficient d’un pouvoir et d’un budget propre.
Cela ne doit pas être confondu avec la déconcentration qui consiste pour l’Etat à se rapprocher des territoires tout en conservant ses prérogatives et ses responsabilités.
Quelle perception portez-vous sur la démarche du développement local sous nos cieux et quelles difficultés, selon vous, doit-on parer en urgence?
Le terme de développement local parle de lui-même et le développement d’un territoire est réussi lorsque l’ensemble de ses habitants en est bénéficiaire mais je parlais précédemment d’apprentissage. Il faudra que la population tunisienne comprenne que le développement passe bien évidemment par ce que je reçois, mais également parce que j’apporte, ce que je donne à la collectivité et le travail que nous allons mener en matière de gestion des déchets va être une formidable expérience en ce sens car il devra impliquer tous les habitants de Testour, y compris les enfants. Soit le gain à l’issue de la démarche ne sera que le résultat des efforts qui auront été au préalable mis en œuvre par tous.
Ne nous y trompons pas, la démocratie est un chemin parsemé d’embûches dont les principales relèvent de la gestion des ego et de la capacité à gérer le collectif, s’opposant à la corruption et à la gestion des intérêts personnels.
Testour, une des 350 communes tunisiennes aujourd’hui à l’épreuve du pouvoir local, pensez-vous qu’elle est en mesure de gagner cet enjeu? Et comment ?
Je vous le confirme, je suis résolument confiant pour Testour, d’abord parce que j’ai pu apprécier la qualité d’engagement de son maire qui a compris que la réussite passe par l’ouverture, le dialogue et la coopération. Les Tunisiens ont une culture du débat, il faut qu’ils développent la culture de l’écoute et la bataille sera gagnée.
Propos recueillis par Kamel Ferchichi