La Tunisie demeure le lieu le plus sûr pour la majorité des Libyens qui ont choisi de quitter provisoirement leur pays, mais sommes-nous bien préparés pour gérer ce flux migratoire eu égard aux défis sécuritaires ?
La recrudescence ces derniers mois des combats sous l’effet de l’offensive menée par les forces du maréchal Haftar a accéléré les mouvements de déplacement de milliers de familles vers des pays plus sûrs, dont la Tunisie. L’Organisation des Nations unies (ONU) a annoncé que le nombre de Libyens qui ont fui les zones de combats dans la capitale Tripoli s’est élevé à 18 mille personnes. L’absence d’un cessez-le-feu et de tout compromis entre les belligérants laisse planer le doute quant à une solution à court ou moyen terme susceptible de faire régner l’ordre dans ce pays voisin. Selon le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, Ghassan Salamé, «la Libye est sur le point de sombrer dans une guerre civile qui pourrait mener à une fracture permanente», ce qui n’est pas sans incidences graves sur la Tunisie.
De plus en plus de morts et de blessés
Depuis le début du mois d’avril dernier, les combats entre les forces du maréchal Haftar et ses rivaux ont fait 454 morts et plus de 2.154 blessés, selon un rapport publié par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les bombardements ont fait aussi plus de 66.000 déplacés en Libye, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ce chiffre est revu à la hausse par Ghassan Salamé, qui parle de 75.000 personnes déplacées.
Le flux migratoire des familles libyennes vers la Tunisie a depuis pris de l’ampleur et suit une courbe ascendante. Plus les combats font rage, moins les familles sont rassurées et plus elles ont tendance à fuir l’enfer d’un conflit qui ne fait que perdurer sans espoir d’un retour à la normale. La Tunisie demeure le lieu le plus sûr pour la majorité des Libyens qui ont choisi de quitter provisoirement leur pays. Mais le plus souvent le provisoire a tendance à durer et plusieurs familles ont débarqué dans notre pays pour quelques jours ou quelques mois depuis la chute du régime de Kadhafi, mais en fin de compte elles ont préféré rester en Tunisie, refusant retrouver les scènes désolantes des combats entre les factions libyennes.
L’absence de chiffres officiels pose problème
Selon la dernière étude préparée en 2016 par le bureau de Tunis de l’OIM et l’Observatoire national de la migration de Libyens en Tunisie, le nombre des Libyens résidant en Tunisie serait de 8.772 en 2014, d’après le dernier recensement national de la population réalisé au début de l’année 2015 par l’Institut national de la statistique (INS). Nos frères Libyens sont principalement concentrés dans le Grand Tunis (34,7 %), le centre-est (29,3 %), le nord-est (16,8%), le sud-est (15,5 %) et le sud-ouest (3,4 %). Ils sont également répartis entre quartiers aisés et défavorisés, mais 55,6 % des Libyens résident dans des quartiers modernes plutôt aisés et 44,4 % dans des quartiers périphériques populaires.
La direction générale des frontières et des étrangers relevant du ministère de l’Intérieur ne publie plus depuis un bon bout de temps des statistiques relatives au mouvement des citoyens libyens au niveau des frontières tunisiennes (entrées et sorties), ne facilitant pas la tâche aux médias et organes d’études spécialisés. Les chiffres avancés sont éloignés de la réalité et se contredisent même. Certains parlent de plus d’un million, d’autres de plus de cinq cent mille. Toujours est-il utile de le signaler : l’absence de ces statiques rendra difficile, sinon impossible, la capacité de réaction de nos institutions en cas de persistance du flux migratoire vers la Tunisie.
Plusieurs dizaines de blessés dans nos cliniques
Toutefois, nous croyons savoir que le nombre de Libyens qui sont entrés ces derniers mois en Tunisie a nettement augmenté en raison de la grave détérioration de la situation sécuritaire dans ce pays. Des dizaines de citoyens blessés durant les conflits prennent la direction des cliniques tunisiennes à Sfax et dans le Grand Tunis (région du Lac, El-Manar) dans la discrétion totale. Rien ne filtre concernant l’identité de ces malades et leur nombre. Certains Libyens blessés sont déjà fichés et se sont fait arrêter par nos services spécialisés après leur entrée sur le territoire national. Mais c’est tout de suite la réplique de la part de leurs alliés qui n’hésitent pas à enlever un ou plusieurs citoyens tunisiens et confisquer leurs passeports en guise de représailles. Selon une source du ministère de l’Intérieur, plus d’une centaine de Tunisiens ont vu leurs passeports confisqués par des groupes armés depuis la chute du régime de Kadhafi.
Durant ces derniers mois, les attentes au niveau du poste frontalier sont de plus en plus longues, nous fait savoir la même source sécuritaire. Des fois, il faut s’armer de patience car le passage de nos frontières nécessite une dizaine d’heures d’attente en raison des mesures de contrôle renforcées prises par la partie tunisienne.
Une communauté sans problèmes
Si la conduite de la majorité des ressortissants libyens est sans reproche, il n’en est pas de même pour quelques éléments perturbateurs qui n’hésitent pas à perpétrer des crimes choquants comme la défenestration de deux filles tunisiennes au quartier Ennasr en 2014.
En général, l’intégration de la communauté libyenne dans la société tunisienne se fait normalement en raison des quatre libertés accordées à nos voisins libyens en rapport avec le droit de circulation, de résidence, de travail ainsi que de l’installation quoique d’autres familles vivent dans la précarité et sont dépourvues de ressources financières. Les unités sécuritaires restent toutefois très prudentes en raison des règlements de comptes qui peuvent avoir lieu sur le sol tunisien entre les factions libyennes pro et anti-Kadhafi, nous souligne une source policière.
En outre, la Tunisie semble beaucoup plus sécurisée, notamment suite à la finalisation du système de surveillance électronique de nos frontières dans le sud-est du pays. Un système qui a déjà fait ses preuves en matière de contrôle avancé de la ligne frontalière entre les deux points névralgiques de Ras Jedir et Dhehiba.
Le ministre de la Défense avait expliqué en avril dernier que son département est en état d’alerte maximum pour lutter contre l’hydre terroriste, la contrebande et le crime organisé ainsi que l’émigration clandestine. Il a appelé à la vigilance et a souligné que toutes les dispositions sécuritaires ont été mises en place pour accueillir les ressortissants libyens et d’autres nationalités qui fuient de plus en plus les combats dans ce pays voisin en direction de la Tunisie en quête de sécurité.