Les fichiers de la police grouillent, aujourd’hui, d’actes troublants et sensationnels. L’innovation, avec un grand I
Plus le monde avance, plus l’imagination de l’être humain devient fertile, en ce sens que toute mode, si révolutionnaire soit-elle, fait la route certes, mais finit par passer le témoin à une autre plus «in». Hélas, cette glorieuse réalité, qui est tout à l’honneur de l’homme des temps modernes, a fait tache d’huile dans les cercles fermés de l’insécurité et du terrorisme. A titre d’exemple, parlons cambriolage pour évoquer une avancée fulgurante de l’innovation dans les méthodes pratiquées aujourd’hui par ses adeptes. Basée sur des fichiers de la police, l’enquête que nous avons menée à ce propos en est une parfaite illustration. Elle nous révèle, en premier lieu, une constatation majeure, à savoir que les cambrioleurs ne sont plus en panne d’idées. Changeant constamment de modus operandi, en vue de réaliser des opérations plus performantes, moins risquées et plus rapides.
Armes de destruction massive
Tout commence par l’étude du marché qui se modernise de plus en plus. Quittant les sentiers battus, fuyant le style classique et rétro qui a fait son temps, le cambrioleur d’aujourd’hui ne passe plus hasardeusement à l’action. Il va falloir, d’abord, visiter le théâtre de l’opération à maintes reprises. Muni de son portable, il ne se lasse pas d’épier le lieu, de jour comme de nuit, pour superviser, tel un espion discret, le mouvement tout autour. Une fois les précautions prises, il programme sa descente. Jour J, heure H, il est là, prêt à passer à l’assaut final, fort de son arsenal plein d’outils de travail : tournevis, chalumeau, barre de fer, perceuse, tronçonneuse, lampe,marteau, couteau, etc. Grâce à ces «armes de destruction massive», le tour est joué. Si le butin est léger mais précieux, deux gros sacs suffisent pour le transporter à bord de la vespa de son complice qui l’attend dehors.
Si au contraire l’opération est plus musclée sous forme d’un cambriolage total, un… camion de déménagement en bonne et due forme sera loué, après avoir rassuré son propriétaire qu’on a changé de domicile !
Une fois le forfait accompli avec réussite, le gibier est acheminé jusqu’au domicile (généralement un garage) de la bande qui se chargera, le lendemain, de son écoulement dans des milieux bien ciblés où se bousculent des preneurs parmi les contrebandiers et autres clients passagers. Il y a aussi d’autres stratagèmes non moins diaboliques, tels que :
1- Les «visites spéciales», lorsque la bande mobilise l’un des siens pour camper le rôle d’agent représentant l’Etat (Steg, Sonede, Télécom, municipalité, Institut national de la statistique…). Son rôle consiste à se présenter dans les villas de haut standing dans le cadre d’une mission officielle. L’occasion est donc propice pour découvrir les quatre coins du domicile et son contenu. L’opération de ciblage terminée, décision est prise pour y revenir un jour afin de faire main basse sur les objets visés.
2- L’apport de la… gent féminine, puisque la plupart des bandes comptent dans leurs rangs des filles triées sur le volet. Chargées d’appâter la future victime, celles-ci sont investies de missions diverses. Telle cette pseudo SDF qui frappe à la porte d’une maison et qui se met, dès qu’on lui ouvre la porte, à pleurer, priant le maître ou la maîtresse de céans de lui donner à boire et à manger et de se reposer à l’intérieur. Soit le temps qu’il faudra pour découvrir le domicile et étudier l’opportunité de son cambriolage. Ces «entraîneuses» font également mouche en mode de filles de joie qui font la tournée des restaurants et hôtels à la recherche d’une proie facile parmi les coureurs de jupons. Une fois la victime apprivoisée autour d’une table bien arrosée, l’évasion s’achève en queue de poisson dans le domicile du prince charmant. Car, c’est justement là que la sirène de la bande passe à l’action, soit en droguant son compagnon, soit en lui partageant un dernier verre jusqu’à… l’irruption du boss and co. Et en deux temps trois mouvements, la victime est muselée et son domicile vidé de son contenu.
3- Le look trompeur, puisque les cambrioleurs d’aujourd’hui usent de faux profils : circulation en voiture de location et en vespa, coupe de cheveux branchée, élégance vestimentaire, lunettes noires et le sourire en sus!
Jusqu’où ira l’audace ?
Toutes ces méthodes rusées et troublantes témoignent assurément d’une audace extraordinaire. Pour un policier au fait de ce dossier, «c’est la diversification du modus operandi qui intrigue et inquiète le plus, car nous avons désormais affaire à des pros qui changent régulièrement de tactique, en y introduisant des apports sophistiqués inspirés des films d’action occidentaux». Notre interlocuteur ajoute, avec un brin d’étonnement frisant la fatalité, que «le problème est tel qu’on met parfois des mois, voire plus, pour identifier et arrêter l’auteur ou les auteurs d’un vol avec effraction, tellement le phénomène prospère et gagne en efficacité, tout en perdant beaucoup de ses maladresses d’antan». Aveu d’échec? Constat d’impuissance sécuritaire? Nul ne sait. Mais jusqu’où ira-t-on?
Mohsen ZRIBI