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Sécurité alimentaire : La Tunisie est-elle à l’abri?

Il y a, aujourd’hui, absence totale d’un cadre juridique constituant une forme de dissuasion contre le vol et le transfert illégal des ressources génétiques
Le développement du concept Produits du terroir, visant la valorisation et la conservation des ressources génétiques, ne semble pas être une approche durable si des mesures d’accompagnement ne sont pas entreprises, selon une étude présentée, mercredi dernier, à l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites) par Dr Chahine Karmous. Du coup, c’est notre sécurité alimentaire qui se trouve menacée. Des produits du terroir tunisien ont déjà disparu et d’autres sont en voie d’extinction. La durabilité de l’agriculture, voire même de la vie sur terre, est strictement dépendante de la biodiversité. Une comparaison de la biodiversité entre 1998 et 2009 a permis de mettre en évidence une diminution très importante des espèces végétales de 709%. Les quantités importées de semences sont estimées à 26000 tonnes/an d’une valeur de 97,3 Millions de Dinars en 2013 et les semences tunisiennes ne représentent que 5% de l’ensemble des semences contre 25% en 2004 et 65% en 1975, dévoile cette étude dans laquelle son auteur s’est penché sur le rôle de la Banque nationale des gènes (BNG) dans la conservation de la diversité biologique et la sécurité alimentaire en Tunisie.

Dégradation de la biodiversité, adieu gombos de La Marsa et pommes de Sbiba

En dépit des différentes conventions internationales que la Tunisie a signées et des différentes lois mises en place et qui ont conduit à la création de la Banque nationale des gênes (BNG), plusieurs espèces et variétés se trouvent aujourd’hui menacées de disparition. Cette tendance à l’extinction est très inquiétante, car elle touche toutes les espèces, tous les milieux et tous les continents à un rythme de plus en plus accéléré ces dernières années.

A La Manouba, mûrier, figuier et caroubier sont en voie d’extinction. A l’Ariana, c’est le fameux «ward Ariana» qui est menacé de disparition. Les gombos de La Marsa, les fraises de Ouechtata, la poire de Beni Hassen (Moknine),  l’abricot caninos de Hajeb Laâyoun et Chbika, la pomme de Bouhajla et Chrarda, la pastèque et le melon – variété locale à Médenine, sont aussi sur la même liste. Pour ce qui est des produits disparus, l’étude fait état de la pomme de Sbiba, la pastèques ‘Djeji’ de Sidi Bouzid, le carroube à Kalaa Kebira, la poire de Radès et bien d’autres produits.

Les efforts de la BNG ont permis la collection et la conservation de près de 40 mille variétés. A ce propos, il faudra  remonter aux années soixante, explique Dr Chahine Karmous. En effet, la Tunisie recevait, à cette époque  des semences hybrides céréalières améliorées du Programme d’aide alimentaire mondial (PAM). Ces semences ont été distribuées aux agriculteurs tunisiens qui, peu à peu, se sont débarrassés des semences autochtones. Depuis, les paysans ne disposaient plus de variétés locales, et le marché a été inondé par des semences importées, plus chères et plus exigeantes.

Les entraves dans la filière semences et plants

Le circuit de distribution des semences certifiées est  assuré essentiellement par les collecteurs de céréales de consommation. Toutefois, les producteurs de semences n’ont pas encore bien entamé une phase de développement de leur propre circuit de commercialisation et de leur technique de marketing permettant de dynamiser le marché.

Dans ce même contexte, la politique des prix demeure encore peu cohérente en rapport avec le développement du marché des semences certifiées de céréales. A ce jour, le ministère de l’Agriculture fixe le prix de vente des semences certifiées commercialisées par deux coopératives à un niveau inférieur aux coûts théoriques de leur production. L’écart est couvert par un budget de subvention visant l’encouragement à l’utilisation des semences certifiées. Par ailleurs, les semences certifiées produites par les sociétés de multiplication sont vendues à des prix libres supérieurs de l’ordre de 15 à 30% par rapport aux prix fixés.

Evoquant les entraves dans la filière semences et plants, le conférencier pointe du doigt une  absence de stratégie nationale intégrée pour ce secteur du fait de l’absence d’une structure pouvant être chargée de la mission du suivi des indicateurs de performance. Faut-il aussi rappeler que le rôle de la direction générale de protection et de contrôle de la qualité des produits agricoles relevant du ministère de l’Agriculture se limite au contrôle sur place et à celui des opérations d’importation et d’exportation, et ce, en l’absence de services, au sein des commissariats régionaux, chargés de telles tâches. Par ailleurs, il est à signaler que les mécanismes de promotion du secteur demeurent insuffisants.

Impact de la dégradation de la diversité biologique en Tunisie.

Erosion génétique, perte irréversible de variétés locales et potentiellement porteuses de gènes d’intérêt agronomique, dépendance vis-à-vis de l’importation de semences et la liste est encore longue. L’étude démontre la perte de la fertilité des sols, les déséquilibres écologiques, l’augmentation de la dépendance pour les pesticides, l’appauvrissement des petits agriculteurs ainsi que le risque d’exode.

La stratégie nationale de préservation de la diversité biologique s’articule autour de trois principaux axes, à savoir la conservation et l’utilisation de la diversité biologique, la compréhension des pressions éventuelles qui s’accentuent sur la diversité biologique qui sont liées à des facteurs anthropiques et la prise de conscience de la nécessité et de l’enjeu de la préservation durable de la diversité biologique.

Menace de perte irréversible de plusieurs espèces

Depuis sa création, la BNG a essayé de conserver le patrimoine génétique végétal, animal et celui des micro-organismes conformément aux conventions internationales que la Tunisie s’est engagée à respecter.  La Tunisie a également réussi, à travers la BNG, à récupérer pas moins de six mille gènes d’espèces de graines spoliés se trouvant dans des Banques de gènes étrangères

Malgré ces efforts, plusieurs espèces n’ont pas à ce jour été préservées, ce qui constitue une menace réelle de perte définitive et irréversible de plusieurs espèces et variétés. Il y a absence totale d’un cadre juridique constituant une forme de dissuasion contre le vol et le transfert illégal des ressources génétiques. De plus, un manque de coordination a été noté entre les différentes structures de recherche et la BNG. A cet effet, un très grand nombre de travaux de recherche et d’évaluation ont été conduits sur la base de ressources génétiques et collections propres aux laboratoires sans collaboration directe avec la BNG.

Les efforts d’amélioration génétique des espèces de grandes cultures sur la base de ressources génétiques locales sont insignifiants. Plus grave encore, la majorité des variétés inscrites sont des variétés étrangères introduites même pour le blé dur.

La préservation du patrimoine biologique constitue une garantie pour les générations futures, c’est pourquoi il faudra se pencher plus sérieusement sur les moyens  à même d’assurer la sécurité alimentaire par le biais de la conservation de la biodiversité en Tunisie. Le rôle de la société civile dans la conservation des ressources génétiques doit être soutenu pour assurer la pérennité des écotypes locaux, préconise l’étude.  Un système national d’évaluation, de caractérisation et de suivi des ressources génétiques doit impérativement voir le jour.

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