«Concerto Malaga» au festival International de Musique Symphonique d’El Jem : Mille et une nuances d’Espagne

Serait-ce l’éternelle séduction de la musique espagnole ou juste l’attrait naturel de cette ville belle et humble… Voûte étoilée et brise douce de ce soir de juillet et Colisée somptueusement éclairé, la troisième soirée du Festival international de musique symphonique d’El Jem s’annonçait particulièrement bien.

Un air de fête spontanée et joyeuse habille El Jem, comme si la ville se préparait chaque semaine à ce rendez-vous amoureux, avec un public de fidèles et de néofidèles. Soir de grande affluence à voir ces dizaines de bus garés au pied du Colisée. Une foule joyeuse multilingue se presse vers les portes millénaires de l’Amphithéâtre romain… Serait-ce l’éternelle séduction de la musique espagnole ou juste l’attrait naturel de cette ville belle et humble… Voûte étoilée et brise douce de ce soir de juillet et le Colisée somptueusement éclairé, la troisième soirée du Festival international de musique symphonique d’El Jem s’annonçait particulièrement bien. Il est 22h00… Gradins et chaises investis par les mélomanes, le «Concerto Malaga» devancé par sa renommée, était attendu avec un programme riche et passionnément espagnol. L’orchestre à cordes « Concerto Malaga», avec ses sept violons, ses deux violoncelles et une contrebasse, dirigés par José Gil de Valdéz (premier violon), était accompagné de deux solistes de renommée internationale, le pianiste et compositeur américain Kimball Gallagher et le saxophoniste Ulrich H. Brunnhuber. « Concerto Malaga », groupe de jeunes musiciens andalous qui se sont donnés pour mission depuis 1996 de réhabiliter la musique classique espagnole et lui redonner sa juste place comme un des grands chapitres de l’histoire musicale occidentale. De Falla, Albéniz ou Granados Turina… Certes, le succès populaire de la guitare ou du « Canto Jundo » et du flamenco des gitans a un peu estompé la richesse et la créativité de cette musique qui a pourtant influencé toute la musique moderne européenne et latino-américaine.
Exit donc toute idée reçue sur un folklore espagnol caricatural. Ici, on est bien loin des « Olé » des castagnettes, des mélodies simplistes à 3 accords de guitare et des robes à pois des danseuses sévillanes. Au programme, figurent les plus grands compositeurs espagnols de l’âge d’or du « Classica » ibérique : Joaquín Turina , Isaac Albéniz, Manuel de Falla.
Plongée en pleine terre espagnole, avec, pour premier acte, une très belle interprétation de La Oraciondel Torero , de Joaquin Turina, un opus émouvant et solennel inspiré des prières des toreros avant la corrida. La suite, tout aussi ensoleillée et aussi émouvante, s’est faite avec le concerto numéro 2 de Frédéric Chopin avec au piano Symbole Gallagher en tandem accordé avec «Concerto Malaga». Le soliste est stupéfiant, son jeu est libre et élégant, fidèle à la virtuosité qu’on lui connaît. Le soliste a en effet déjà joué plusieurs fois en Tunisie dans le cadre du projet éducatif Tunisair qu’il a initié dans 88 lycées et qu’il dirige avec le saxophoniste Ulrich H. Brunnhuber. La soirée ibérique s’est poursuivie avec un des plus grands compositeurs classiques espagnols de la fameuse école du XIXe siècle, Enrique Granados, avec l’Intermezzo de « Goyescas ». Cette œuvre, inspirée des tableaux de Goya, est une véritable fresque où se mêlent les lumières de l’Espagne, les rythmes et les harmonies populaires espagnoles aux mélodies romantiques de cette fin du XIXe siècle et des influences françaises du compositeur. La sérénade espagnole de Joaquim Malats a enchanté le public. Initialement écrite pour une guitare classique, sa transcription par l’orchestre de corde est un bijou de virtuosité. Le voyage espagnol s’est poursuivi avec l‘emblématique Isaac Albéniz, faisant escale à « La Caleta » au sud de l’Andalousie (Rumores de la Caleta (Malagueñas), Recuerdos de Viaje) puis, Grenade (Granada Serenata de la Suite Española) avant d’atterrir à Séville avec «Sevilla Sevillanas», extraite de la Suite Española.
Frais et joyeux, un air de jazz s’est subtilement glissé dans le programme de cette deuxième partie de soirée pour rappeler l’influence de l’Espagne sur cette musique américaine, tant par les synchronismes que par la liberté et la chaleur qu’elle dégage. Le saxophoniste a interprété un « It Dont Mean a Thing If it Aint Got that Swing » endiablé et énergique de Duke Ellington qui a enflammé et surpris agréablement le public d’El Jem bercé par les sérénades espagnoles. La musique de Duke Ellington porte en elle une part de ce fameux mélange qui la rapproche de la musique espagnole : les racines africaines et américaines s’y mêlent aux musiques latines, orientales, indiennes…
Magistrale et en guise de fin, « Concerto Malaga » a consacré 3 temps à Manuel de Falla, maître absolu de la musique espagnole classique. Il a su révolutionner la musique espagnole en mélangeant subtilement l’art populaire et la symphonie. Trois morceaux choisis parmi les plus connus du compositeur « Dance Of The Miller » (Farruca) extrait du ballet “El Sombrero de TresPicos » (le tricorme), une « Danse Espagnole » extraite de «La Vida Breve» et « La Danse rituelle du feu » extraite du ballet « El Amor Brujo ». La soirée, empreinte des couleurs ibériques, a révélé une part de la richesse de la musique classique espagnole. Musique passionnée, chaude, colorée qui, tour à tour, prend la forme d’une danse, d’une peinture ou d’un poème symphonique. Elle porte en elle ses histoires et ses géographies multiples : arabe, grecque, égyptienne, juive, indo-européenne.
Le voyage espagnol a pris fin laissant un public conquis par ces tableaux musicaux, par l’émotion qu’ils dégagent et la sensualité passionnée de la Costa del Sol, terre d’origine du «Concerto Malaga». Après une standing-ovation reçue avec émotion et gratitude, le « Concerto Malaga » a offert un dernier morceau de soleil espagnol, mêlé à l’histoire arabo-andalouse « Memories from Alhambra » de Francisco Terraga, comme un pont dressé depuis le passé commun.
L‘Espagne plus proche, que jamais sera au rendez-vous, demain mercredi 24 juillet, avec l’orchestre de chambre de l’île de Minorque.

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