Certaines travaillent et rentrent chez elles alors que d’autres sont des femmes de ménage couchantes qui passent la majeure partie de leur temps au sein de la famille qui les emploie. Ce sont ces dernières qui sont les plus exposées à des situations humiliantes et traumatisantes.
Il était une fois une jeune femme nommée Cendrillon qui avait pour fonction de nettoyer la maison sous l’œil gravement méchant de la maîtresse de maison. Cendrillon représente l’archétype des femmes de ménage. Leurs histoires se ressemblent sur plusieurs points sauf que leur vie n’est pas un conte de fées… Loin de là.
C’est ce qu’a révélé l’étude sur le thème «Les employés de maison : le cheminement, le vécu et statut et situation sociale», présentée par deux sociologues, à savoir Moez Ben Hamida et Lassaâd Laabid. Il s’agit d’une étude pionnière. C’est la première recherche qui s’intéresse aux femmes travaillant en tant qu’aides-ménagères en Tunisie. Il était temps !
Cette étude, comme le signalent les deux conférenciers, brosse un état des lieux de la situation des femmes de ménage en se référant à des témoignages de femmes appartenant à cette catégorie sociale et qui souffre de la précarité.
Il est vrai que c’est un archétype vu de loin, mais en «zoomant» un peu plus sur ces femmes et jeunes filles, nous nous apercevons qu’il n’est pas possible de les mettre toutes dans le même sac. Une catégorisation s’impose. Les femmes de ménage ont été classées sur la base du critère de l’hébergement.
Certaines travaillent et rentrent chez elles alors que d’autres sont des femmes de ménage couchantes qui passent la majeure partie de leur temps au sein de la famille qui les emploie. Il n’y a pas une grande différence, dites-vous ! Pourtant, comme le mentionnent les sociologues, ce sont les gouvernantes couchantes qui sont les plus exposées à des situations humiliantes et traumatisantes.
D’autres critères doivent être pris en considération comme le niveau des études, le statut social, l’âge… Tous ces éléments ont une influence sur le comportement des femmes face à des situations délicates. Par exemple, une jeune femme qui a des enfants à nourrir réagirait différemment à une insulte comparativement à une femme sans responsabilités familiales parce qu’elle n’a pas le luxe de se désengager sur un coup de tête.
Mais ce qui est sûr, c’est que ces femmes-là ont un point commun : le besoin d’argent. Toutefois, les objectifs sont différents. Certaines ont vécu un changement de situation du jour au lendemain. Elles se sont retrouvées sans revenu (c’est le cas des orphelines de naissance) et ont besoin de travailler pour vivre, tandis que d’autres ont besoin d’une source de revenu pour subvenir aux besoins de leurs enfants et leur garantir une bonne éducation. Certaines le font pour pouvoir terminer leurs études… Beaucoup d’entre elles avouent que si ce n’était pas le besoin d’argent, elles ne travailleraient pas comme aide-ménagère.
Cette recherche dégage à la fois le vécu de ces femmes et leur ressenti par rapport à ce vécu, il s’agit de deux points essentiels. Il y a les femmes qui ont un vécu positif dans le sens où la famille qui les emploie devient comme une vraie famille pour elles, alors que d’autres ont vécu des situations négatives et traumatisantes. La plupart n’ont pas de vécu positif comme le montrent les témoignages de femmes de ménage qui attestent avoir été victimes de violence à maintes reprises.
Il ne s’agit pas de la violence physique seulement, mais aussi de la violence verbale et surtout psychique sans oublier la violence sexuelle. Ces abus ont été signalés dans des témoignages de gouvernantes couchantes qui ont été victimes d’agressions physiques, verbales, d’humiliation, de harcèlement sexuel… La famille se permet de frapper, humilier, menacer, manipuler, violer, insulter… Tout est permis ! Toutes ces formes de violence sont alimentées par le sentiment de supériorité.
Maltraitance ou esclavage ?
La liberté n’est pas ressentie comme une évidence pour les gouvernantes qui se trouvent obligées d’accepter ce qu’elles ne le feraient pas dans d’autres circonstances. S’agit-il d’une nouvelle forme d’esclavage ? Ces femmes ne sont pas concrètement à vendre certes, Dieu merci ! Mais elles sont à la merci de l’hôtesse de maison qui exploite la personne et la considère comme un objet qui lui appartient.
Elle la prive de repos, la dénigre, la prive de son salaire…
Une psychologue présente à la conférence a expliqué que ce genre de relation permettait à tous les membres de la famille de faire une sorte de catharsis et déblayer tous les traumas, mal-être et problèmes psychiques sur l’aide-ménagère. D’ailleurs, un témoignage définit ce travail comme un travail de «misère, de bassesse et de quelqu’un qui t’utilise à sa guise».
Il est vrai que ce n’est pas le cas de tout le monde. Il faut dire que les deux sociologues ont bien mis en évidence les personnes qui sont satisfaites et qui ne sont pas gênées par ce travail.
Des gouvernantes bien traitées, ça existe !
Pas de baguette magique pour les cendrillons des temps modernes
Aux yeux de la loi, le métier d‘aide-ménagère est considéré comme un emploi à part entière. Beaucoup de lois qui existent dans le but de protéger ces femmes ne sont pas appliquées. C’est un des emplois pour lequel l’employeur n’est pas obligé de faire signer un contrat, ni de déclarer à la Cnss la personne qu’il emploie vis-à-vis de laquelle il n’a aucune obligation juridique.
En réalité, les aides-ménagères ne sont pas suffisamment protégées par la loi. Il existe bien des entreprises qui font les choses dans les règles de l’art, mais elles sont peu nombreuses. Le nombre des gouvernantes qui travaillent sans aucune assurance sociale ni protection juridique dépasse celui des femmes qui travaillent dans un cadre bien précis.
Vous penserez peut-être qu’elles ignorent leurs droits, l’ignorance juridique étant un fait. Toutefois, c’est surtout l’incapacité de ces femmes à dénoncer la maltraitance qui pose problème. En effet, elles peuvent être menacées si elles disent quoi que ce soit, surtout en cas de viol. «Ma femme ne te croira jamais de toutes les façons». «Si tu parles, tu ne seras pas payée et on te mettra à la porte »… Dévoiler au grand jour sa souffrance n’est pas une option.
Pour ces cendrillons-là, les fées ne tapent jamais à la porte et leurs problèmes ne peuvent pas disparaître sur un simple coup de baguette magique.
Mais si nous mettons en place un programme de protection des gouvernantes, cela sera tout aussi magique ! C’est d’ailleurs ce qui manquait à la recherche. Elle englobe tout ce qu’il faut, mais elle reste un travail descriptif qui n’a pas été appuyé par des solutions. Quelques recommandations à la fin ont été émises, mais sans plus.
La recherche aurait été plus complète si les femmes avaient répondu à la question : de quoi avez-vous besoin pour vous épanouir dans votre métier?
E.G.