Il n’arrête pas de rouler sa bosse un peu partout et de prendre son bâton de pèlerin à la tête de la barre technique d’une équipe à une autre. Prochaine destination : Al Nasr Club de Dubai, aux Emirats Arabes Unis qu’il va coacher pour la saison 2019-2020. Car l’ancien et sobre arrière du Stade Nabeulien a une faim inextinguible d’apprendre, d’emmagasiner les expériences et de découvrir d’autres cultures de handball. Rappelez-vous : quelques mois après l’exploit de Faouzi Benzarti, qui conduisit le 21 décembre 2013 les Marocains du Raja en finale de la coupe du monde de football, un autre technicien tunisien a disputé la finale de la coupe du monde dans le sport numéro 2 du pays, le handball, à la tête d’Al-Sadd du Qatar. «Un titre africain ou arabe, c’est bon pour une récupération à des fins politiques. Notre objectif doit se situer au niveau du gotha mondial», insiste-t-il.
Mongi Bennani, vous êtes, avec l’entraîneur de football Faouzi Benzarti qu’on ne présente plus, le seul technicien tunisien à avoir conduit une équipe en finale de coupe du monde. Vous devez sans doute en tirer beaucoup de fierté, non ?
En effet,cela n’arrive pas tous les jours dans la carrière d’un coach. En septembre 2014, à la tête d’Al-Sadd du Qatar, j’ai accédé en finale de l’IHF SuperGlobe, la coupe du monde des clubs de handball. Nous avons disposé de l’Espérance de Tunis en phase de poules, puis des Allemands du SG Flensburg Handewitt, champions d’Europe en demi-finales. Nous n’avons plié que face à Barcelone en finale. Bien évidemment, cela représente un moment privilégié dans la vie de chaque technicien.
Vous veniez alors de quitter l’EST pour partir vers la grande aventure dans le Golfe ?
Oui, j’ai décroché trois titres avec l’Espérance de Tunis: championnat et coupe de Tunisie, en plus du championnat arabe. La culture de ce club veut que chaque joueur doit jouer pour les titres dès le plus jeune âge. J’ai pris par la suite la direction technique de l’EST où je chapeautais pas moins de 13 entraîneurs. Une charge colossale, au fond.
Comment viviez-vous le derby tunisois ?
A l’unisson avec mes joueurs, j’étais convaincu qu’il fallait s’imposer même dans un derby amical. La rivalité était telle que la tension montait dès que nous avions en face le frère ennemi tunisois. En tant qu’entraîneur, j’ai gagné trois derbies sur quatre, concédant une fois le nul.
Revenons au début. Dites-nous : comment êtes-vous venu au handball ?
J’étais gardien de but de football dans mon quartier Boughedir, à Nabeul où la tradition était partagée entre le hand et le basket. Ces deux sports doivent énormément à la ville des Potiers. Moncef Selmane, notre maître de sport à l’Ecole Larbi Zarrouk, m’a fait signer dans l’équipe «benjamins» de handball du SN qui traine un passé glorieux remontant aux années 1960-70. Et c’est Noureddine Ben Ameur qui m’a convoqué en 1982 pour la première fois en sélection cadets après avoir assisté à un derby entre le lycée technique de Nabeul et le lycée de Hammamet dans le cadre des championnats scolaires. J’ai joué mon premier match international cadets contre l’Algérie (10-10). J’ai réussi trois buts. Pas mal pour un arrière dont la première qualité est d’offrir des assists.
Vos parents vous ont-ils encouragé à faire du sport ?
Mon père Hassen, commerçant, me disait qu’un jour, je serais entraîneur comme Sayed Ayari. Quant à ma mère Aroussia, elle vivait intensément les derbies lorsque j’entraînais le club sang et or.
Quels furent vos entraîneurs ?
Moncef Selmane, Abdellatif Gherib et Aounallah chez les jeunes. Fethi Mechaâl, Lotfi El Behi, Moncef Ben Amor, Hamadi Azzam, Fethi Chakroun, Brahim Agrebi, Hafedh Zouabi et le Polonais Tom chez les seniors.
Quelle était votre idole ?
Samir Abassi, l’homme à tout faire du CS Hammam-Lif puis de l’EST.
Avez-vous reçu des propositions pour jouer avec d’autres clubs ?
L’AS Hammamet a voulu m’engager alors que j’étais encore cadet. Je n’ai pas donné de suite à la proposition car ç’aurait été pécher contre la tradition qui voulait alors qu’un joueur soit celui d’un seul club durant toute sa carrière. Et puis, au SN, je me sentais très bien. Mon club était encore bien plus fort que l’ASH. Nos dirigeants suivaient en même temps notre scolarité. L’un d’eux, Dr Samir Bouaouina, auquel je dois beaucoup, assurait des cours à l’intention des joueurs avant les séances d’entraînement.
Quel est votre meilleur souvenir ?
La finale mondiale avec Al-Sadd contre le Barça. Je citerais également nos belles saisons parmi l’élite du temps où Noureddine Aounallah était revenu au Stade Nabeulien. Avec Kerkenni et Khaled Ben Salah, nous pratiquions un jeu de grande qualité. En 1997, le SN a terminé quatrième de la Nationale A. On a même battu l’ESS (33-30).
Et le plus mauvais ?
Mon problème cardio-vasculaire découvert alors que j’étais étudiant à l’Institut supérieur des Sports à Ksar Saïd. Cela m’a condamné à arrêter ma carrière à seulement 27 ans. Je préparais déjà une carrière d’entraîneur.
Comment analysez-vous la crise du handball à Nabeul, un des bastions historiques de la petite sphère en Tunisie ?
A Nabeul, la forte concurrence à la limite déloyale du basket reste vive. La balle au panier a drainé les meilleurs sportifs de la ville, a pris les grands dirigeants et les plus grosses parts du budget du club, la plus grande part du public, aussi. A croire qu’à Nabeul, il n’ y a de place que pour le basket, ce qui est faux. De plus, les grands cadres techniques issus du SN ont émigré vers le Golfe: Moncef Ben Amor, Lotfi El Behi, Fethi Mechaâl…
Que représente le SN pour vous ?
Tout simplement ma vie. J’y ai passé 18 superbes saisons. J’y ai pratiqué le plus beau hand grâce à Ben Amor. Mechaâl a fait de moi le capitaine d’équipe. Avec Brahim Agrebi, j’ai appris ce qu’est le professionnalisme. Hamouda Fray m’a inculqué la touche académique. Tout ce que j’ai réussi comme entraîneur, j’aurais aimé le vivre avec le SN.
Comment trouvez-vous le handball tunisien aujourd’hui ?
Les mêmes maux vécus par le football produisent les mêmes effets en handball. Les résultats priment. On change d’entraîneur comme on change de chemise. Souvent, on engage des techniciens manquant de formation, d’anciens joueurs hâtivement recyclés comme entraîneurs. Les meilleurs joueurs partent à l’étranger.
On y va de plus en plus jeune. Les moyens manquent terriblement. Il y a également une crise de dirigeants qui oublient leur vocation d’éducateurs. Chaque saison, le niveau technique de la compétition régresse.
Pourtant, la Tunisie est championne d’Afrique en titre ?
Cela ne veut pas dire grand’chose. N’oublions pas que nous avons battu lors de la finale de la dernière édition 2018 une sélection égyptienne en fin de cycle. Nous sommes encore loin du top. Un titre africain ou arabe, c’est bon pour une récupération à des fins politiques. Notre objectif doit consister à rejoindre le gotha mondial. Il faut toujours viser le palier supérieur.
Parlez-nous de votre famille
J’ai épousé en 1991 Sonia, ancienne handballeuse de Mégrine et prof d’EPS. Nous avons trois enfants : Hassen, 27 ans, directeur commercial installé au Qatar, Malek, 23 ans, étudiant à Toulouse, et Skander, 17 ans, lycéen.
L’aîné est espérantiste, les deux autres clubistes, tout comme mon épouse. Imaginez l’ambiance dans la famille après un derby…
Quels sont vos objectifs ?
Entraîner un jour le sept national. Avec les juniors-cadets (natifs de 1080-81) que j’ai entraînés durant quatre saisons, j’ai formé les Wissem Hmam, Wael Horri, Touati, Amor Khedhira, Maher Kraiem, Marwane Belhaj, Tajouri… Le cadre technique tunisien sait s’imposer là où il passe.
Enfin, à votre avis, un entraîneur, quand est-ce qu’il doit dire stop ?
On ne le sait jamais au juste, il n’y a pas de règle. Personnellement, après 28 ans de carrière, dont 7 consacrées à la formation des cadres, je suis toujours habité par la même envie et la même passion. Les challenges, on ne s’en lasse jamais. Je figure dans le top Ten des techniciens de handball du pays. Cette percée, je ne la dois qu’à mon mérite, à mes sacrifices. Personne ne m’a fait de cadeau. Au contraire, je viens d’un «petit» club et je dois surmonter beaucoup plus d’obstacles que les autres. Pourtant, si mon club, le Stade Nabeulien traverse une longue traversée du désert, on ne doit pas oublier que dans les années 1960 et 1970, il était le troisième club du pays, derrière l’Espérance de Tunis et le Club Africain. Mais dans le sport, on a souvent la mémoire courte.
Propos recueillis par Tarak GHARBI