Après quelques années d’absence, le dramaturge et metteur en scène Hamadi Mezzi revient avec une lecture aiguisée de la société. Un microcosme des bas-fonds qui reflète l’image d’une société en perdition, où la moralité est négociable, et le rêve menacé.
L’ambiance est sombre, le ton est dur, la scène baigne dans le clair-obscur : «Douleb» ou «Ennar El Berda» est une chronique des temps modernes, une immersion dans le monde des oubliés, les gens en marge.
C’est l’histoire d’une famille que la vie déchire, le père, Jebril, la cinquantaine, a passé quinze ans en prison, purgeant une peine pour avoir commis un homicide volontaire. Sa femme Maryam a dû trimer pour élever ses enfants pendant l’absence de leur père. En prison, Jebril s’est lié d’amitié avec Zakaria qui, désormais, ne le quittera plus.
Entre le père et ses enfants, les relations sont plutôt à la tension, fomentée par les répercussions psychologiques de leur condition, mais aussi par les brusques changements sociaux survenus pendant le séjour du père en prison et qui se prolongeront bien après…
Après quelques années d’absence, le dramaturge et metteur en scène Hamadi Mezzi revient avec une lecture aiguisée de la société. Un microcosme des bas fonds qui reflète l’image d’une société en perdition, où la moralité est négociable, et le rêve menacé.
Pourtant, des rêves, il y en avait, le père espérait pour ses enfants une vie meilleure que la sienne, un des fils porte l’espoir d’une carrière théâtrale, le second, sportif, ne lâche point le ballon des mains. La mère qui espère amour et tendresse, et un frère en quête d’affirmation n’a trouvé refuge que dans la violence et l’extrémisme.
Tout ce monde, avec ses blessures et ses déchirements gravite autour de Jebril, l’homme fort, colérique, qui gère d’une main de fer le «Douleb», des affaires louches. Porter le nom d’un ange fait de Jebril un personnage à double face, un personnage manichéen, oscillant entre le bien et le mal, qui se trouve, malgré lui, au cœur d’eaux troubles mais qui a toujours aspiré à une vie meilleure.
Son long épisode en milieu carcéral lui a valu aussi une amitié tout aussi suspecte, celle de Zakaria, un personnage trouble, compagnon de beuverie et témoin de tout. Tel une fouine, il s’immisce dans la vie de cette famille, cherchant une brèche pour assouvir son ego.
La fin tragique de Jebril avait un goût d’un éternel recommencement, un système qui ne tarit jamais, ses agents sont de simples pions qui se succèdent, qu’on choisit et qu’on élimine…le Douleb contin malgré tout…malgré nous…
Les 50 minutes qu’a duré la pièce étaient un condensé d’une vie intense, le metteur en scène l’a écrite selon une scénographie faite de système de cintres sur lesquels des cageots opéraient des allers— retours. Ce mouvement répétitif ponctuait la pièce, et en l’occurrence, la vie de cette famille. Des cageots vides succèdent à des cageots pleins de marchandises illicites, comme ces personnages vidés de leur humanité s’exercent à ce travail à la chaîne. La livraison de la marchandise et sa décharge forment le temps de vie des personnages qui tentent en vain de sortir de cette sphère infernale.
Un grand bravo aux comédiens Nader Belaïd, Marwen Missaoui, Ons Hammami, Salah Dhahri et Rami Cherni avec une mention spéciale à Yahia Feidi. Une belle brochette de comédiens, pas très connus du large public mais qui ont porté à bras-le-corps un projet et un texte.
L’éternel recommencement est un leitmotiv qui nous entraîne, nous spectateurs, dans ce cercle vicieux et nous laisse face à une fin ouverte qui nous donne froid dans le dos.