BEAUCOUP d’observateurs et d’analystes ont eu le courage, dans la foulée de la révolution lors de ses premières semaines, de faire remarquer que l’instauration effective du pluralisme syndical, c’est-à-dire la reconnaissance et le traitement avec les structures syndicales naissantes aux côtés de celles relevant de la grande Ugtt, aura des incidences négatives sur le paysage syndical et contribuera à la division du monde du travail et à la dispersion, voire l’éparpillement des travailleurs.
Et ce qui menaçait de se produire n’a pas été très long à s’installer. Aujourd’hui, la profusion des structures syndicales, la liberté d’action, d’évaluation et de décision laissée aux secteurs et aux fédérations générales ont fini par produire leurs effets.
Ainsi, des négociations salariales menées par la direction centrale de l’Ugtt ayant abouti à des majorations variant entre 500 et 1.000 dinars par mois sont dénoncées par les syndicats des salariés bénéficiaires (le syndicat général, des médecins du secteur public), rejetées par un syndicat parallèle (Ijaba qui qualifie de «honteux» l’accord signé entre le gouvernement et l’Ugtt) et minimisées ou considérées pratiquement comme nulles par l’Ordre des ingénieurs qui s’insurge contre ce qu’il considère comme son exclusion des négociations.
Et les résultats sont là. Pour la première fois, des majorations salariales aussi importantes que celles conclues entre l’Ugtt et le gouvernement au profit des ingénieurs, des enseignants universitaires et des médecins du secteur public font l’objet de divisions et de dissensions entre les différentes structures présentes sur la scène syndicale et dont chacune prétend, à tort ou à raison, défendre exclusivement les intérêts des salariés en question et s’autoproclame la partie la plus représentative de ces secteurs avec laquelle le gouvernement est tenu de traiter.
Dans les régimes démocratiques, la pluralité syndicale obéit à des règles et à des normes qu’aussi bien les syndicats que les gouvernements ont l’obligation de respecter strictement.
En Tunisie, l’expérience syndicale pluraliste est encore jeune et il est normal qu’elle se trouve confrontée à certaines difficultés de parcours en attendant son approfondissement.
Il reste, cependant, que nos syndicalistes se doivent de placer les intérêts des travailleurs au-dessus de toutes les considérations et de toutes les luttes de représentativité ou calculs pour des ambitions personnelles.