Le message, envoyé à travers Facebook, restera près d’un mois sans réponse, puis vers cinq heures du matin celle-ci parvint, enfin à la boîte. Sa joie était sans limite et elle grandira encore plus lorsque la réponse écrite fut suivie d’une conversation téléphonique puis d’une rencontre
Quelle coïncidence ! Il venait juste de faire valoir ses droits à la retraite quand le destin le mit face à face avec une personne hors du commun. Une personne qu’il n’a plus vue ni entendue depuis cinquante-cinq ans. Une personne dont la présence dans sa vie a été décisive mais qui est totalement sortie, tout ce temps-là, de son champ relationnel pour ne devenir qu’un vague mais délicieux souvenir.
Eh bien c’était au hasard d’un clic. Imaginez ce que tout d’un coup il trouva, ne cherchez pas trop. Il retrouva sa première maîtresse d’école. Celle qui a guidé ses premiers pas dans le monde du savoir et participa à son intégration sociale.
Le message, envoyé à travers le fameux réseau social Facebook, restera près d’un mois sans réponse, puis vers cinq heures du matin, celui-ci parvint enfin à la boîte. Sa joie était sans limite et elle grandira encore plus lorsque la réponse écrite fut suivie d’une conversation téléphonique puis d’une rencontre.
Incroyable, se disait-il, après 55 bonnes années me voilà échanger avec «sati» (ma’mselle) Fadhila ? Une faveur divine qui n’est pas donnée à tout le monde et qui est venue comme une gratification spéciale saluer sa sortie à la retraite et le replonger sans crier gare dans son enfance.
Elle aussi était heureuse de revoir l’un de ses petits élèves après tant d’années. Elle ne cessait de lui rappeler moult détails sur lui-même, sur quelques-uns de ses camarades et sur l’école qui les abritait d’une façon générale.
Elle lui posa aussi plein de questions sur sa famille, ses anciens camarades, son travail, ses enfants et lui, tout ému, il répondait sérieusement à toutes les questions comme le ferait un petit élève en classe.
«Tu te souviens, lui dit-elle, quand je t’ai ramené chez moi pour le déjeuner ? Tu étais adorable dans tes habits propres et tes souliers neufs. Ha ha ha !…Tu avais peur du chien mais tu faisais tout pour cacher ta frousse».
C’était au cours de l’année 1964-65, Fadhila Jerfel venait d’entamer sa carrière d’institutrice à l’école «Al Houda» (Le bon chemin) à Kairouan et elle aimait bien son métier et surtout ces petits qui venaient pour la première fois en classe. Elle faisait tout pour leur faire aimer l’école et les études.
«Je me sentais investie d’une noble et triple mission, poursuit-elle, transmettre à mes élèves le savoir, parfaire leur éducation sanitaire et sociale et faire en sorte qu’ils deviennent de bons citoyens». Et de préciser que la tâche n’était pas une sinécure, surtout à cette époque-là.
Aujourd’hui, notre vénérable institutrice file des jours heureux, entourée de sa famille et de ses….albums photos. C’est que sati Fadhila était accro à son appareil photo et tirait sur tout ce qui bougeait et même sur ce qui était immobile.
Un hobby qu’elle saura développer tout au long de sa carrière parallèle de cadre d’animation de l’enfance et de la jeunesse (Les fameuses colonies). Une activité qui a nécessité la poursuite de sessions de formation spécialisées et de stages pratiques et de sillonner le pays.
Cela encouragea les autorités régionales à lui proposer le poste de déléguée de la jeunesse au siège du gouvernorat. Offre qu’elle déclina gentiment lui préférant le tableau au cours de l’année scolaire et les camps au cours des vacances.
Et hop ! A travers le réseau elle envoya à son ancien élève une série de photos souvenirs de cette fameuse journée du déjeuner. Et les deux se sont mis d’accord pour se rencontrer. Ce qui aura lieu quelques jours plus tard.
La rencontre fut émouvante sur tous les plans. «Quoi ?…C’est toi le petit qui ne pouvait même pas se pencher sur son pupitre pour écrire qu’en s’agenouillant sur le banc ?» et notre ancien élève de se retrouver dans les nuages.
«C’est grâce à vous que j’ai aimé l’école et continué mon long chemin vers les cimes du savoir», lui dit-il. Et de poursuivre, «vous étiez un océan de tendresse et rarement vous nous avez grondés». Chose que la vénérable dame confirma.
«Oui, effectivement même lorsque l’un de mes élèves s’amenait sans avoir fait ses devoirs à la maison ou n’avait pas coupé ses ongles, je choisissais la méthode douce». Cela consistait pour notre institutrice à prendre ledit élève en aparté, et de lui dire qu’elle avait pour lui une haute estime mais que lui, hélas, l’a bien déçue.
«C’est une méthode très efficace qui respecte l’enfant et qui le pousse à devenir meilleur, expliqua-t- elle». Et sati Fadhila de donner libre cours à ses souvenirs en se rappelant de ses collègues, de ses supérieurs hiérarchiques et des différentes écoles où elle enseigna.
«Nous étions très respectées de nos confrères hommes et les parents de nos élèves nous faisaient pleine confiance pour l’encadrement de leurs enfants». Et sati Fadhila de rappeler qu’elle était parmi les premières jeunes filles à se déplacer en bicyclette, puis en voiture.
Notre ancien élève croyait rêver. Il n’a jamais eu l’idée qu’un jour il rencontrera sa première institutrice, et qu’il verra son visage souriant encore une fois après tant d’années, même s’il avait perdu ses traits.
«Quand il m’arrivait de regarder une séquence du sitcom «nçibti laaziza» (Ma belle-mère adorée), je me rappelle tout de suite de vous parce que la belle-mère, dans cette œuvre, s’appelle Fadhila (jouée par la célèbre dame du théâtre et du cinéma tunisien, Mouna Noureddine)
Il se rappelait pourtant de son premier jour à l’école. «J’avais quatre ans et quelques mois et j’entamais ma deuxième année dans un jardin d’enfants, lorsque ma tante paternelle Kalthoum, elle-même institutrice, eut l’idée de me soustraire à la longue journée du jardin d’enfants pour me livrer à l’emploi du temps plus clément de l’école».
Je n’oublierai jamais ce jour-là, précisa notre sexagénaire non sans saisir l’occasion pour exprimer sa gratitude envers sa tante. «Ce jour-là j’ai dû rencontrer le directeur de l’école feu Abderrahmane Najjar. En djebba et coiffé de sa chéchia, il me posa quelques questions et me demanda de réciter un petit poème pour enfants. Le test s’avéra concluant et c’est comme ça que je me suis retrouvé en classe sous la protection de sati Fadhila».
Oui, conclut l’ancien élève de sati Fadhila, aujourd’hui à la retraite, «c’est un vrai bonheur que de redécouvrir un joli pan de son enfance». Un vrai bonheur aussi pour l’institutrice aujourd’hui à la retraite, de retrouver un joli pan de ses premiers pas dans son noble métier.
Par Foued Allani