Disparu le 16 août dernier, Néjib Ayed avait pour passion le cinéma. Pour commémorer le quarantième jour de sa disparition, la Cinémathèque de Tunis a projeté samedi dernier un film qu’il aimait tant, «Sejnane» d’Abdellatif Ben Ammar.
A quelques mois du démarrage des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), qu’il devait présider comme pour les deux précédentes sessions, disparaissait Néjib Ayed. Parti sans crier gare le 16 août dernier, son décès continue à ébranler sa famille et ses amis. En réunissant samedi dernier, à l’occasion du 40e jour de sa disparition, tous ceux qui l’ont aimé, côtoyé et partagé avec lui son amour pour le cinéma, la Cinémathèque de Tunis a voulu lui rendre hommage à sa manière, en projetant les films qu’il ne cessait de regarder. Les films de sa vie. Il s’agit d’un cinéma d’auteur, plus du Sud que du Nord, et des films «Le temps qu’il reste», d’Elia Soulaymane, «Gare Centrale», de Youssef Chahine, «Sejnane», d’Abdellatif Ben Ammar, «Le Salon de musique», de Satyajit Ray, «War Reporter», d’Amine Boukhris…
Une fiction frappée d’interdiction de sortie commerciale
«Sejnane», d’Abdellatif Ben Ammar, est le premier long métrage présenté samedi 28 septembre à la Cinémathèque en souvenir de Néjib Ayed. De cet activiste des cinéclubs dans les années 70, puis directeur de la Satpec dans les années 80 et producteur indépendant dans les années 90, Abdellatif Ben Ammar dira : «Il militait pour que la Tunisie produise des films d’intelligence et non pas des films pour le commerce».
A cause de l’insolence de «Sejnane», dont le réalisateur a eu la gageure en 1973 de faire un film sur la lutte pour l’indépendance du pays au moment de la colonisation sans évoquer l’image culte de Bourguiba, le «Combattant suprême», le long métrage, pourtant ayant obtenu le Tanit de bronze aux Journées Cinématographiques de Carthage, n’a pas reçu de visa d’exploitation. Il n’a donc pas bénéficié d’une sortie commerciale dans les salles du pays. C’est alors, cite encore Abdellatif Ben Ammar, que «Néjib Ayed s’est évertué à faire circuler “Sejnane” de cinéclub en cinéclub pour lui garantir une visibilité auprès de ce public de jeunes amateurs de septième art». Hichem Ben Ammar, le directeur de la Cinémathèque, ajoutera : «C’est là un des films qui ont décidé de ma voie, de mes choix professionnels et de ma carrière».
Contre le discours et les images de propagande officielle
Réalisé en 1973 alors que le pouvoir de Bourguiba prenait des allures totalitaires, une jeune génération de cinéastes commence à s’opposer à un discours et à des images de propagande en proposant un cinéma en quête de restitution de la vérité historique, notamment sur une étape charnière de l’Histoire du pays. Lorsqu’en 1952 la lutte armée pour la libération de la Tunisie se propage dans les villes et villages. C’est là où se situent les événements de «Sejnane», qui raconte l’accès à la conscience politique d’un jeune homme, Kamel Cherif, dont le père, militant nationaliste, a été assassiné par les colons. Expulsé de son lycée pour son activisme politique, il est embauché par un imprimeur avide du gain et tombe amoureux d’Anissa, la fille de son patron. Mais Anissa, malgré son penchant pour le jeune homme, se prépare contre son gré à épouser un homme qu’elle n’a pas choisi. A l’imprimerie, Kamel Cherif va aussi se lier d’amitié avec des syndicalistes qui vont l’aider à aiguiser son regard sur les injustices et les inégalités sociales. «Sejnane», nom d’un village qui se traduit de l’arabe au français comme «les deux prisons», est un film progressiste qui démontre à quel point les deux prisons, celle des femmes esclaves de mœurs et de traditions rétrogrades et celle des hommes confinés dans un pays qui ne leur appartient plus, sont liées. Un long métrage fort et attachant, parfaitement maîtrisé sur le plan de la mise en scène d’un bout à l’autre.
Néjib Ayed avait bien raison d’aimer voir et revoir «Sejnane».
Olfa Belhassine