La Tunisie s’est engagée, depuis 2016, dans le processus d’intégration des objectifs de développement durable.
Pain, liberté et dignité furent les maîtres-mots de la révolution des jeunes Tunisiens qui aspiraient à la démocratie, à la liberté de parole et surtout au travail décent. Mais que de rêves fissurés et de promesses non tenues par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 en dépit des stratégies, plans d’action et programmes de développement appuyés pourtant par les plus hautes instances internationales. Certains agendas annoncés en fanfare n’ont pas changé la donne pour autant. Les revendications sociales vont crescendo sur fond de dénonciation de la persistance d’une corruption systémique et systématique.
Que peuvent apporter les initiatives inhérentes au développement et à la lutte contre la pauvreté et la marginalisation si elles n’impliquent pas les vrais acteurs du changement et ne sont pas soutenues par des campagnes de vulgarisation, comme l’important Agenda 2030 pour le développement durable adopté par les pays membres de l’ONU dont la Tunisie à New York en 2015? Certes, il est permis à une démocratie nouvelle de trébucher au début du parcours mais tituber toujours, après huit ans de changement, n’est plus acceptable.
Tant de défis à relever
Notre pays s’est engagé depuis 2016 dans le processus d’intégration des objectifs de développement durable, ces fameux ODD au nombre de 17. La bonne nouvelle est que la Tunisie est à la tête des pays d’Afrique et a parcouru 66% du chemin en direction du meilleur résultat possible sur l’ensemble de ces ODD, selon le dernier rapport publié par le « Réseau des solutions pour le développement durable ». Un programme d’appui pour la mise en œuvre des ODD a été même signé en 2018 conjointement par notre pays et l’ONU. Sauf que le document publié par le bureau des NU en Tunisie en juin 2019 en rapport avec la mise en œuvre des ODD, et qui tente de rapprocher ces objectifs du contexte tunisien, est truffé de données et statistiques (publiées par l’INS) qui méritent réflexion et décryptage.
Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes figure en tête des ODD mais pour notre pays, et en dépit des efforts consentis, 2,9% des Tunisiens sont extrêmement pauvres et 15,2% sont pauvres, une pauvreté qui touche beaucoup plus le milieu rural (26%) que le milieu urbain (10,1%), rapporte l’institution onusienne dans ce document. Autres défis: notre pays fait face à des risques considérables liés surtout à la perte de 50% des surfaces cultivables d’ici 2050 et le secteur de la santé nécessité de profondes réformes tant en matière de financement que d’organisation de ses services.
En matière d’éducation, beaucoup reste à faire. En effet, 96 mille enfants ont quitté l’école (selon le ministère de l’Education, 2015-2016). Les principaux défis sont l’accès équitable à l’éducation préscolaire, la prévention et la réduction de l’abandon scolaire, la qualité de l’éducation et la lutte contre l’analphabétisme, relève le document du bureau des NU en Tunisie.A noter que le nombre d’analphabètes est estimé à plus de 1.700.000 dont les 2/3 sont des femmes, selon l’INS.
Panne de l’ascenseur social
L’égalité entre les sexes qui figure parmi les ODD n’est pas pour autant mieux lotie, nonobstant les nettes évolutions du statut de la femme. Les femmes restent sous-représentées dans les positions décisionnelles et dans la hiérarchie politique, économique et sociale. Les femmes en milieu rural sont pour la plupart exclues des politiques publiques .Le taux d’activité des femmes n’est que de 25,8%, selon l’INS. La même source ajoute que 58% des femmes sont victimes de violence dans l’espace professionnel.
L’érosion du contrat social n’est plus à démontrer en raison de la faible croissance économique. Le taux de chômage s’élève à plus de 15%. Un taux qui est particulièrement élevé chez les femmes (22,9%° et les jeunes (32%) et cache des disparités régionales importantes. « L’augmentation de l’emploi informel est un grand défi en matière de protection sociale et de respect des principes du travail décent ».
En matière de réduction des inégalités, notre pays occupe une position intermédiaire entre le groupe des pays les plus égalitaires et les plus inégalitaires au monde (95e sur 189 pays). Le développement reste fortement inégal entre les régions côtières et les régions de l’intérieur.
L’objectif de la paix, la justice et la mise en place des institutions efficaces montre l’importance de la promotion des sociétés pacifiques et inclusives pour le développement durable et l’accès à la justice pour tous. Ces principes sont garantis par la Constitution de 2014 .Toutefois, 54% des Tunisiens ont confiance dans les services publics et 58,5% ont déjà exprimé leur peur à l’égard des crimes violents dans leur région. Environ 50% des prisonniers sont en attente de jugement !
Des performances mitigées, malgré les avancées réalisées dans la mise en œuvre des ODD. Les causes sont pourtant bien connues, comme cette mobilisation qui semble faire défaut chez les jeunes et le manque d’engagement citoyen. L’hiatus entre le discours des gouvernements qui se suivent et les jeunes est aussi un handicap de taille qui fait que les ODD manquent toujours de visibilité.
Samir DRIDI