60 ans (le 20 novembre prochain); Rafik Henchiri redevient… un ado fougueux et espiègle dès qu’on lui évoque le mot «handball». C’est que la passion pour ce sport continue de couler dans ses veines, l’habite encore jusqu’à l’obsession. Et ça ne peut pas être autrement, étant donné la longue histoire d’amour qui avait lié l’un à l’autre. Une histoire qui sert de référence pour les générations montantes, non seulement pour sa longévité, mais aussi pour les vertus du dévouement, de l’intégrité et du désintéressement qui l’ont marquée, 38 ans durant. «J’ai toujours, se vante-il, pratiqué le sport pour le sport sans jamais chercher ni à en tirer de l’argent ni à atteindre des fins politiques et affairistes. Cela, tous les mordus du handball tunisien le savent et, ma foi, ça ne peut procurer que satisfaction et fierté dans un milieu où n’atterrissent, dans deux cas sur trois, que ceux qui sont appâtés par des intérêts personnels».
Ces vertus, devenues une denrée rare dans nos milieux sportifs de plus en plus pourris, sont demeurées, chez lui, un mode de vie, une conviction inébranlable qu’il affirme avoir eu la chance d’hériter de son père. «Il nous a, reconnaît Rafik, élevés dans un milieu sain où priment le sérieux, la rigueur, le don de soi, le sens de la responsabilité, l’intégrité et la noblesse du bénévolat au service de la nation.
Que Dieu ait pitié de ton âme, cher et inoubliable papa».
Un amour viscéral pour le handball
En 1971, commença l’aventure sportive pour le jeunot Rafik qui opta avec son frère Jalel pour la section… football du Widad Athlétic Montfleury, après l’aval — bien sûr — de feu Am Mustapha, alors homme d’affaires de renom. Une saison après, il est orienté vers la section handball du même club, et ce, sur proposition de l’ancienne gloire Abderrahman Hammou. Et il y restera, en évoluant dans toutes les catégories jusqu’à celle des seniors. En cours de route, la moisson fut loin d’être modeste : 2 coupes de Tunisie des cadets et une finale de coupe de Tunisie juniors perdue devant l’ASPTT. «Cette finale, se remémore-t-il, je ne l’oublierai jamais. Elle est encore pour moi synonyme de consécration personnelle, puisque j’ai réussi ce jour-là à inscrire sept des douze buts marqués par mon équipe. Dans les bois d’en face, il y avait un… lion dans sa cage, en l’occurrence le légendaire gardien Habib Yagouta, alias «Pipo». Et dire que le petit diable djerbien qu’était Rafik a tenu à disputer cette finale, bien que celle-ci ait été programmée la veille des examens universitaires. «Pour tous les trésors de la terre, assura-t-il, je ne pouvais rater ce match qui avait tout d’une fête à l’époque. Dieu merci, j’en fus le héros et, le lendemain, j’ai obtenu ma licence Ihec avec mention».
En 1982, rideau sur sa carrière de joueur qui aurait dû se poursuivre allégrement, surtout que les offres qu’il avait reçues et émanant de nombreux clubs, y compris l’EST et le CA, ne cessaient de pleuvoir. «Mon père, explique Rafik, tenait plutôt à m’envoyer en Angleterre pour achever mes études supérieures». Pendant son séjour d’une année au pays de Big Ben, il avait toujours une pensée pour le club de ses premières amours. «J’avais, confesse-t-il, une dette morale envers cette association qui a fait ma renommée. Et j’ai juré de la lui rendre». Chose promise, chose due : le voilà, à son come-back en Tunisie, aux commandes du poste de trésorier général du WAM, après un passage de deux ans à l’ASDjerba comme vice-président. Le retour de l’enfant prodige à Montfleury va carrément révolutionner ce petit club qui s’est, du coup, refait une santé. Mettant le paquet, voyant grand, Rafik se lança aussitôt dans un audacieux programme de restructuration qu’il embellira davantage dès son accession, en 1994, au poste de président : des joueurs et entraîneurs très cotés s’y amènent, la section basket renaît de ses cendres, le semi-professionnalisme est instauré, avec même des… largesses au niveau des salaires et des primes.
Non, c’est non
La «révolution» durera quatre ans au terme desquels le WAM est devenu un club respecté et rayonnant dans la cour des grands. Mission accomplie? «Oui, répond “Mustapha Junior”, car j’estime que j’ai accompli mon devoir de reconnaissance et de gratitude envers cette association, après m’être rassuré sur son avenir». Non, Rafik ne disparaîtra pas pour autant des radars de notre handball. En effet, en 1999, il se présente aux élections de la fédération, sur insistance de plusieurs mordus de ce sport qui avaient la conviction qu’il serait un bon membre fédéral. Accédant à leurs vœux, il dépose sa candidature et retourne à la maison, sans vraiment y croire. «Effectivement, se souvient-il, cela m’a plutôt amusé. Au point que j’étais le seul candidat à n’avoir pas fait campagne. Et alors que les autres postulants étaient embarqués dans une offensive de séduction en quête de voix, je me trouvais en Arabie saoudite. De là, me parvenaient des échos faisant état de l’existence d’un…complot tramé par certains candidats qui cherchaient, pour une raison ou une autre, ma défaite au scrutin».
Mais, quel ne fut leur désarroi lorsque Rafik a non seulement gagné, mais aussi obtenu la 4e place sur les huit candidats élus.
Depuis, commença pour lui le feuilleton des confrontations au sein du bureau fédéral où il sera surnommé «l’homme qui dit non», c’est-à-dire l’avocat de la transparence et pour ceux que sa franchise dérangeait, l’éternel insatisfait, l’indésirable élément perturbateur ! «Les qualités humaines, explique-t-il, que mon père m’avait inculquées, m’ont appris à défendre l’intérêt national et, par conséquent, à combattre pratiques illégales, coups bas, manigances et toutes sortes de dérives». Et, mine de rien, il est parvenu à vaincre tous ses adversaires, en remportant d’inoubliables bras de fer, dont les plus sensationnels, faut-il le rappeler, furent l’assainissement des ligues, l’accession au poste de responsable des sélections féminines et la réhabilitation d’un certain Kamel Romani que le bureau fédéral avait pourtant déclaré: «persona non grata» !
Son mandat terminé, Rafik préféra se retirer, refusant de briguer un autre mandat, en dépit de sa cote de popularité agissante auprès des clubs.
«C’est devenu dégoûtant», déplore-t-il, avant de lancer ce missile: «Les hommes de bonne volonté et les compétences n’ont plus droit de cité dans nos fédérations sportives. C’est pourquoi j’ai décidé de quitter la scène pour avoir la paix et céder la place aux arrivistes».
Aujourd’hui, heureux père de famille, gagnant bien sa vie, Rafik Henchiri promet de léguer son amour viscéral pour le handball à ses enfants Mohamed Aziz et Khalil. La dynastie des Henchiri sera-t-elle perpétuée ? L’avenir nous le dira.
Mohsen ZRIBI