Populisme Economique (2) : Les populistes ont horreur de la transparence

Le risque est énorme de perdre un modèle de société moderne et ouvert et occulter une approche économique inadaptée et hors époque qui va accélérer certainement la faillite du pays. La frustration sociale et économique n’explique pas tout, évoquer des sujets comme les relations avec le colonisateur ou les richesses naturelles, amplifiée par une crise identitaire, augmente l’attractivité des idées populistes en Tunisie. Les jeunes sortant du système éducatif, confrontés à un ascenseur social grippé, sont une proie facile de ce discours qui est en train de créer des revendications diversifiées avec des facettes multiples.
Nos concitoyens ont des excuses et posent des questions qui ne trouvent pas des réponses claires et convaincantes chez une classe politique évoquant des sujets non prioritaires (homosexualité, égalité en héritage hommes/femmes…) et qui n’ont rien à voir avec le quotidien difficile embarrassant de la population : comment comprendre en effet un pays dont les disparités sociales et comportementales sont flagrantes et peuvent parfois susciter une indignation. La montée de la précarité et des inégalités, l’érosion de la classe moyenne laissent un sentiment de frustration et d’incapacité. Ces personnes délaissées finissent par se rebeller en voyant dans les séductions populistes un remède à leurs problèmes.

Solutions radicales
Ces problèmes qui ne trouvent pas de solutions radicales poussent l’élite intellectuelle à oublier des questions de fond qui aident à décortiquer une société schizophrène, d’apparence moderne et ouverte, mais en réalité fortement conservatrice. Une classe politique hypocrite soutenant une 3e cohabitation appelée consensus «Tawafek», qui est étrange et incohérent entre deux familles que rien n’unit et qui dénote d’une légèreté et d’un amour féroce du pouvoir entre l’islamisme et le libéralisme économique et social. Les populistes ont horreur de la transparence et des contraintes imposées à l’exécutif politique. Prétendant à outrance représenter le «peuple», ils considèrent que toute limitation de leur exercice du pouvoir contrevient nécessairement à la volonté populaire.
De telles contraintes ne peuvent selon eux que servir les «ennemis de la révolution» : libéraux, destouriens, gauchistes, journalistes, média… Les populistes tunisiens promettent à leurs électeurs qu’ils vont surmonter les contraintes institutionnelles (FMI, Banque mondiale…), où ils vont exercer un contrôle sur «les intérêts du peuple». Ils prétendent qu’aucun obstacle ne se dresse sur leur chemin, y compris les règles commerciales internationales, et ce, pour défendre les intérêts des plus pauvres et des marginalisés. Or, on a vu ces dernières années, partout dans le monde, que les politiques économiques populistes ont entraîné de douloureuses crises économiques dont les premières victimes ont été les plus démunis (réservoir électoral des populistes).
En effet, les populistes avancent l’idée de la redistribution des richesses par l’Etat en s’impliquant de nouveau dans les secteurs vitaux de l’économie, et ce, sans calcul des répercussions ni sur les budgets de l’Etat ni sur les sources de financement à mobiliser pour réaliser ce vœu insolite. Au niveau des IDE ils avancent l’idée que l’entreprise étrangère peut investir, mais elle devient pour l’essentiel prisonnière des volontés du gouvernement en imposant des restrictions sur la nature des activités ou sur la liberté de rapatriement des bénéfices, etc.

Consolider un contrôle permanent
En outre, les populistes veulent imposer des restrictions qui sont parfois instaurées pour renforcer des intérêts particuliers ou pour satisfaire un besoin particulier pour des raisons politiques aux dépens de l’intérêt national, l’objectif étant de consolider un contrôle permanent de l’économie et permettre à un nouvel «establishment» de s’installer et de profiter d’une économie de rente ou même une économie mafieuse. Ce risque est loin de susciter une inquiétude sur l’avenir du pays chez certains partis politiques et notamment l’Islam politique.
En effet, cette « famille de pensée politique en prônant la théorie du scramble social se réjouit des résultats du scrutin du premier tour lui qualifiant comme une défaite des destouriens et des gauchistes. Certains leaders et sympathisants de cette mouvance qualifient la montée du populisme en Tunisie comme un banal bras de fer entre les forces révolutionnaires d’un côté et l’ancien régime et les «mécréants» gauchistes de l’autre côté. Malgré cette lecture partagée par la classe politique et les élites du pays, et en dépit des menaces de toute nature sur la Tunisie et son avenir, on remarque que la situation est loin de déclencher un besoin légitime de défense collective de la part des familles politiques modérées et progressistes.
Cette volonté de rassembler pour résister bute sur un égoïsme et égocentrisme de la part des leaders politiques appartenant à la même famille. Mais ce qui inquiète le plus, c’est cette indifférence, cette nuance inexplicable dans les positions et cette inertie alarmante qui se manifeste chez l’élite intellectuelle: c’est une situation qui profite aux hypocrites pour bien se repositionner de nouveau, compte tenu des résultats. Les bonnes réponses à la crise ne manquent pas de la part des défenseurs de la démocratie.

Bataille difficile et inévitable
Il faut avancer des idées et des mesures réalistes et réalisables pour contrer un type de populisme qui conduirait un leader et/ou une mouvance politique à imposer une vision rétrograde de l’économie et de la société, ce qui facilite la volonté de ces populistes à évincer la démocratie au nom de la volonté populaire. Ainsi et pour stopper l’hémorragie, on ne peut, pour s’en prémunir, qu’attaquer de front le discours et les thèses qui nourrissent cette vague et de prendre en considération les craintes de nos concitoyens à l’égard des sujets vitaux comme la flambée des prix (l’inflation), l’insécurité, la corruption, le chômage, les relations déséquilibrées avec nos partenaires économiques et commerciaux et notamment avec l’UE…
C’est une bataille difficile mais inévitable afin de révéler les conséquences négatives des propositions économiques populistes irréelles et non réalistes en espérant réduire la séduction de ces idées dévastatrices chez les jeunes. Il faut expliquer aux gens, et notamment aux jeunes, le lien entre déficit commercial et courant, endettement et cours du dinar. Il faut encore montrer que le taux de change dépend de moins en moins du pouvoir des Etats et de plus en plus des mécanismes des marchés. Si ces concepts n’ont pas été expliqués auparavant, c’est le rôle de la société civile, des académiciens et de l’élite pour sensibiliser les citoyens. On doit résister positivement pour diffuser une culture économique simple qui doit toucher directement les jeunes.
La priorité maintenant chez la famille démocratique devrait être l’économie, en essayant d’avancer des réponses claires, faciles à comprendre sur des questions essentielles, à savoir comment améliorer le niveau de vie des Tunisiens qui ont vu déferler des gouvernements et des partis politiques incapables d’apporter aucune amélioration du quotidien des citoyens et une détérioration du pouvoir d’achat et notamment de la classe moyenne. Comment éviter cette marginalisation systématique des jeunes (18-25 ans) qui n’ont pas vécu la révolution.
La réponse à ces questions doit être accompagnée par une mobilisation pour revendiquer un modèle économique différent et moderne qui s’adapte à la vocation de notre pays et qui rompt définitivement avec le protectionnisme inutile et qui va certainement démanteler une économie de rente et des mafieux. Parallèlement, il faut rompre avec le conservatisme administratif et juridique et cette culture de suspicion dans les structures et départements en charge des questions économiques et commerciales et qui hante les investisseurs tunisiens et étrangers. Ce populisme économique, qui constitue une menace grandissante, doit être contré à tout prix.
Il est important que nous restions sur nos gardes face à un phénomène qui met à mal notre économie et nos acquis, qui veut détruire les normes de la démocratie et le modèle de notre société ouverte et tolérante. Cette approche doit trouver des échos chez les abandonnés du système et stopper la mainmise des contrebandiers et des rentiers sur nos richesses.

*Conseiller des Services publics
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction

Par Lazhar Bannour*

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