Le succès enregistré au niveau des prix à la baisse des bananes et des pommes de terre sur certains points de vente ne signifie pas pour autant que le problème est résolu. Entre la réalité (le prix d’usage) et le virtuel (le prix convenu), il n’y a qu’un pas car la frontière est mince, très mince.
La campagne de boycott sans précédent entamée il y a quelques semaines pour lutter contre la cherté de la vie a eu des répercussions notables sur le terrain avec la baisse du prix de certains produits alimentaires de base comme la pomme de terre. Les succès enregistrés lui ont permis d’atteindre la barre d’un million et quatre cent mille membres sur la page facebook. Celle qui est dédiée au boycott des prix pour améliorer le quotidien et «bien vivre» connaît une explosion rapide, subite et inédite car il y a deux semaines, ils n’étaient encore que 400.000. C’est que les Tunisiens sont de plus en plus préoccupés par leur pouvoir d’achat qui s’effrite lamentablement au fil des ans malgré les mesures superficielles pour éradiquer le fléau de la spéculation. Toutefois, l’impact sur la baisse des prix n’est pas encore généralisé et on trouve encore des prix qui font grincer des dents et suscitent l’indignation à deux dinars le kilo de pommes de terre dans de nombreux endroits de la capitale. La page facebook dénommée «kata3 leghlé t3ich bilgdé» appelle les citoyens à ne plus acheter le produit alimentaire de base lorsqu’il est cher et au prix anormalement élevé.
Un succès retentissant qui a sonné jusqu’à l’international avec des vidéos reportages pour démontrer la portée du phénomène «made in Tunisia». Quelle est la clé de voûte de cette démarche citoyenne volontaire et active ? Comment compte-t-on arriver à obtenir des résultats durables pour briser le comportement spéculateur ? Une idée géniale en apparence qui dénote la force solidaire des Tunisiens qui savent résister et attendre mais qui risque de connaître de nouvelles déceptions à cause des intermédiaires qui n’en font qu’à leur tête…Un bras de fer long et interminable qui ne doit pas finir en queue de poisson pour ne pas causer du tort à l’économie tunisienne en panne de relance.
Mesures radicales ou superficielles ?
Les prix des pommes de terre, bananes et zgougou à cause de l’avènement de la fête du mouled, sont dénoncés et placés en ligne de mire. Le prix maximum enregistré de 6 D le kilo de bananes, 2,5 D le kilo de pommes de terre ou 31 D le kilo de graines de pin d’Alep ont fait grincer des dents. Conséquence : les grandes surfaces ont récupéré la colère des consommateurs pour en faire leur credo marketing et commercial. Le kilo de bananes est retombé à moins de quatre, voire trois dinars dans les hypermarchés de la capitale à Tunis. Les consommateurs qui militent sur la page facebook se félicitent et se congratulent mais entendent frapper encore plus fort et durablement, notamment pour faire fléchir le prix ahurissant du kilo de zgougou sur les étalages des marchés. D’aucuns pensent que le prix est «énorme» et inacceptable et bien heureusement la plupart n’achètent pas même si quelques-uns se procurent bizarrement du zgougou en pareille période. Le spéculateur résiste lui aussi en affichant un prix qu’il n’entend pas baisser d’un millime. Une guéguerre que se livrent consommateurs et commerçants sans merci. D’autres aliments comme les tomates, les poivrons et la laitue à deux dinars sont vivement décriés par les consommateurs. Une liste qui risque de s’allonger sans discontinuer plutôt qu’elle ne devrait rétrécir assurément.
La Presse a contacté M. Slim Sâadallah, président de l’Office de défense du consommateur, pour connaître les tenants et les aboutissants du phénomène du boycott. Il se dit résolument pour la poursuite du boycott jusqu’à arriver à «tordre le cou aux prix pratiqués par les spéculateurs de tous bords».
Consommateurs VS spéculateurs
La culture du boycott s’est enracinée dans la mentalité du Tunisien depuis mars 2013 avec une brillante anecdote racontée par M. Sâadallah. Une dame a montré la voie de la raison en achetant une petite quantité de viande ovine de l’ordre de 250 grammes pour lutter à sa manière contre la cherté du prix. Tous les aliments passent à la trappe. Le prix du poivron a fait jaser depuis 2015 atteignant 4,5 D le kilo et suscite l’indignation de la population tunisienne qui a commencé à comprendre l’origine du mal qui frappe durement leur couffin. Un mal qu’on n’arrive pas à détruire de la plus forte manière car il est complexe et difficile à démanteler. M. Sâadallah précise à ce sujet : «Lorsque les spéculateurs se comptent sur une chaîne de cinq personnes qui veulent une marge bénéficiaire conséquente tour à tour pour faire passer le prix d’origine de la production à la commercialisation de trois, voire cinq fois, on comprend qu’il y a un grand problème». Il rappelle qu’en 2017, le kilogramme de zgougou avait atteint 28 D avant que le prix ne fonde comme un glaçon pour baisser trois jours avant le Mouled et se porter à 12 D grâce au boycott des Tunisiens qui ont su résister et attendre patiemment avant d’acheter. «Le prix avait chuté vertigineusement de 60%». Il encourage ces derniers à faire de même cette année. Il recommande d’acheter carrément après le Mouled en se contentant de faire une assida blanche avec des dattes et de la verveine à la sauce nabeulienne. Il dénonce fermement les pratiques spéculatives qui font passer de trois fois le prix des aliments à la sortie au marché de gros jusqu’à l’arrivée sur les étalages. Il détaille ainsi : «Les pommes de terre sont vendues à un dinar le kilo par les producteurs et devraient s’écouler raisonnablement à 1,4 D. Et pourtant, on les trouve à 2,6 D le kilo dans les souks de quartier. Pareillement pour les tomates ou les poivrons qui passent de 800 millimes à 2,8 D».
Plus rien n’arrête l’appât du gain facile. Plus rien n’arrête non plus la résistance des consommateurs qui appellent à la vigilance. Toutefois de la fête M. Sâadallah souhaite que les 1.400.000 membres soient réellement tous des boycotteurs et non pas de simples avertisseurs pour faire pencher la balance en leur faveur. Un exercice pénible et difficile que mènent les spéculateurs qui font tout pour vendre le plus cher possible avant de craquer lorsqu’ils ne peuvent plus se permettre de stocker leur marchandise. En espérant seulement que l’économie tunisienne sera épargnée car le mal est bien plus profond et complexe que la seule idée du boycott ne pourra contrecarrer sur le long terme.