«Trouf», c’est des récits de vie éclatés qui parfois s’entremêlent et lèvent le voile sur le vécu houleux des citoyens sous l’occupation palestinienne. La restriction de la libre circulation, ce droit aliénable décortiqué dans les cas de figure présentés pendant la pièce, a été scrupuleusement mise en scène.
Sous l’occupation palestinienne, point de libertés… même au quotidien quand les citoyens sont contraints d’esquiver des situations délicates, absurdes, souvent grinçantes. Il s’agit de parcelles de vie aussi surprenantes les unes que les autres, toujours passionnantes et traitées souvent avec un zeste d’humour et de sarcasme. Un mélange qui allège la lourdeur des situations, à commencer par les difficultés subies par un marchand coincé aux frontières : ne pouvant pas faire passer légalement sa marchandise, ce dernier se retrouve mêlé à un quiproquo de taille ; un peu plus loin, c’est la promenade d’un groupe de jeunes femmes qui tourne au vinaigre, lorsqu’elles se font harceler dans la rue par des soldats, sans oublier cette focalisation sur les difficultés à traverser les frontières vers d’autres contrées. Un peuple qui est confronté souvent à son occupant vorace, détenteur des terres. Toutes les expériences étalées sur scène sont extraites de faits réels et de nombreux témoignages véridiques d’individus broyés par l’injustice, amochés par les persécutions.
Genèse d’une création scénique
Ce travail est un ensemble d’histoires singulières palestiniennes, retravaillées et reconstituées en Tunisie. Depuis 9 ans, Hannah Khalil, dramaturge palestinienne a commencé à rédiger un premier croquis titré «Scenes From 62 years». Le nombre 62 se réfère aux 62 ans passés depuis la création de l’Etat d’Israël. Au fur et à mesure, les années se sont accumulées atteignant actuellement les 72 ans, et au gré de ces années des changements, des chamboulements socioéconomiques, d’autres inspirations ont étoffé la version originale.
Une version qui a vu le jour en 2014, la pièce a aussitôt raflé son premier prix à Londres au théâtre «Arcola». Son premier prix mondial lui a été décerné en 2016, avant d’être présenté à New York et à San Francisco.
Khalil a visité la Tunisie en 2017 accompagnée par son amie et productrice tunisienne Alia Zaghbi qui a produit la pièce à Londres. Elle a fait la connaissance de Ghazi Zaghbani et de Imed Belkhodja, chargé de projets au sein du British Council en Tunisie. Après concertation autour du scénario, —qui s’appelle désormais «Scenes from 70 years»—, le constat est unanime : le texte ne manque pas d’humour noir et de dérision : il s’adresse aussi différemment aux Tunisiens et à leur existence actuelle postrévolutionnaire… non moins mouvementée.
Sur une durée de 1 heure 45, six acteurs de théâtre se sont emparés de la scène dans un décor brumeux, industrialisé, qui rappelle le chaos permanent et cette volonté de vivre dignement. Cette poignée de protagonistes s’exprime différemment, épouse le contexte, procède à des transitions scéniques parfois brusques tout en pratiquant couramment le français, le dialecte tunisien, l’arabe, l’anglais et même le maghrébin. L’œuvre se veut universelle et crie ses messages humanistes grâce à l’interprétation de Chekra Rammeh, Leila Alj, Neji Kanawati, Maamoun Echikh, Amina Dachraoui, Mohamed Houcine Grayaa. Les actrices et acteurs jouent plusieurs rôles, ne se contentent pas uniquement de la scène et prennent possession de toute la salle, de ses sièges et de son public.
«Chris White», metteur en scène britannique, a rejoint l’aventure aux côtés de Ghazi Zaghbani. Deux versions scéniques ont été créées : l’une pour le Centre des arts dramatiques et scéniques de Nabeul ou concrètement pour la salle du centre «Neapolis», qui peut rassembler jusqu’à 700 spectateurs, là où la première «avant-première» s’est déroulée face à un public majoritairement jeune de Nabeul. Et une autre version réservée à l’espace «l’Artisto», le théâtre de poche minimaliste de Ghazi Zaghbani.
Le projet a vu le jour grâce à la collaboration étroite entre le British Council, l’espace l’Artisto et le Centre des arts dramatiques et scéniques de Nabeul dans sa toute première création officielle.
L’avant-première à Nabeul s’est déroulée en présence de Son Excellence l’ambassadrice du Royaume-Uni en Tunisie Madame Louise de Sousa.
Un cycle de la pièce sera prochainement annoncé.