Au-delà d’une tendance ou d’un héritage ancestral ou familial, le tatouage, de nos jours, se démocratise et attire de plus en plus d’adeptes. De tout âge, des personnes se tatouent pour différentes raisons, et ce, malgré le regard désapprobateur de leur entourage. Certains choisissent de le dévoiler, d’autres optent pour la discrétion, mais à force d’être de plus en plus nombreux à afficher leurs tatoos, la société s’affole de moins en moins (ou presque !). Focus sur une pratique millénaire qui provoque approbation et rejet, et qui s’ancre incontestablement de plus en plus dans notre société actuelle majoritairement conservatrice.
Le tatouage est une étape qu’il ne faut pas franchir à la légère. Ce qui fait peur, ce n’est pas le fait d’avoir mal, ni de savoir que cela ne risque pas de plaire à telle ou telle personne, la seule hantise est, bien entendu, de le réussir et de l’assumer toute sa vie. Commence alors une recherche effrénée afin d’opter pour le bon ou la bonne tatoueuse. Effrénée ? Pas tant que ça … depuis 8 ans, les tatoueurs se sont multipliés : ils ont leur clientèle, ils se déplacent chez les personnes intéressées et vice-versa. L’opération tatouage, peu importe où elle se déroule, est pratiquée dans des conditions hygiéniques optimales. Auparavant, cela se faisait davantage en cachette, mais de nos jours, être tatoueur ne rime plus forcément avec clandestinité.
La prise de rendez-vous se fait via page ou profil Facebook, numéro de téléphone, mails ou autres… mais choisir celui qui va marquer votre peau toute votre vie se fait généralement par le bouche à oreille, et surtout en se basant sur sa réputation. Avis sur Internet, coups de téléphone, page Facebook qui promeuvent le travail de l’artiste… Tous les moyens sont bons pour éviter de tomber sur un incompétent et si c’est le cas, cela relève de l’imprudence ou de l’impulsivité.
Contre l’oubli
Se faire tatouer n’est pas forcément esthétique. Se le faire sur une partie du corps semi-discrète ou bien discrète est une façon d’exprimer des sentiments divers des convictions religieuses, une philosophie de vie, le sens du patriotisme ou même de la religiosité, mais se faire tatouer est une manière de rendre hommage à des proches défunts. « L’idée de me faire tatouer le portrait de mes deux parents sur le dos m’apaise, c’est une manière pour moi de leur rendre éternellement hommage et de les avoir sur la peau pour le restant de mes jours», déclare Sami, la trentaine. Il y a 7 ans de cela, ce trentenaire a perdu tragiquement ses deux parents dans un accident de voiture. Sa vie a, depuis, radicalement changé : il a surmonté ses démons et continue à mener sa vie comme il le veut. Il s’est marié, est devenu récemment papa et peu importe les étapes et les changements moraux qu’il s’apprête à vivre pour le restant de ses jours, il ne voit pas pourquoi il regretterait d’avoir « ses parents sur la peau ». Sami se dit croyant et n’exclut pas du tout l’idée de devenir un jour pratiquant tout en ayant toujours son tatouage sur lui. «Je ne vois pas pourquoi cette pratique entraverait mes convictions religieuses ou ma croyance en Dieu». Le tatouage est, en effet, considéré comme tabou dans notre société et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il pose toujours problème même dans les sociétés occidentales, notamment lors d’entretiens d’embauches qui réfutent totalement le tatouage ou toute autre appartenance à une expression idéologique précise : être psychologue ou avocat, par exemple, nécessite d’être neutre : pas de voiles pour les femmes, piercing et tatouages … La neutralité est de mise ! L’ancienne génération, celle de nos parents, de nos grands-parents désapprouvent et voient même d’un mauvais œil les personnes tatouées. Une jeune femme peut être davantage doublement discriminée, pour le fait d’être femme, que dire si elle est aussi tatouée : «Mais c’est bête de se plier à ces détracteurs qui viennent d’une autre époque et qui ne sont que les concepteurs d’une société patriarcale pesante. Si je me fais tatouer, ce n’est pas pour les autres, c’est avant tout pour moi». S., 25 ans, est partie se faire un minuscule tatouage sous l’aisselle gauche et elle n’a rendu de compte à personne. «Je suis majeure, vaccinée, mon corps est le mien et je suis libre d’en faire ce que je veux». Cela lui importe tellement peu de l’afficher, ou d’en parler, qu’elle en fait une sorte de croyance spirituelle intime.
N., jeune femme de 29 ans, possède trois tatoos, dont une colombe sur ses abdos musclés. L’athlète, au contraire, trouve que si quelqu’un a envie de se faire tatouer quelque chose, il ne faut pas trop hésiter, il faut foncer. « Si on est convaincu, il ne faut pas avoir peur, aussitôt vous l’adopterez et, de suite, il fera partie intégrante de votre corps, de vous-même. Si vous êtes dans l’hésitation, vous sautez difficilement le pas. Amel, 47 ans, maman de deux petits garçons, vit avec son tatouage au bas du dos. «Je me le suis fait quand même il y a très longtemps, il y a 15 ans déjà. Je n’y pense même plus et à aucun moment je n’ai eu envie de l’enlever. Ce terme marqué ne signifie plus grand-chose pour moi de nos jours, mais à aucun moment, je n’ai eu envie de l’enlever. C’est une partie de moi, il me rappelle qui j’étais avant et ce que je suis devenue, par quoi je suis passée, le chemin que j’ai pu tracer depuis, mon évolution et ça ne peut que me procurer un sentiment de satisfaction».
En toute liberté
Après la révolution, le secteur s’est bonifié. Des tatoueurs et tatoueuses experts ont fait leur apparition et Fawez Zahmoul surnommé «Wachem» est parvenu même à ouvrir sa propre boutique de tatouage à La Marsa, totalement légale. Ainsi, collègues et apprentis tatoueurs en devenir fréquentent chaque jour son QG depuis presque 5 ans. Il s’est imposé rapidement dans le milieu et est parvenu à devenir le précurseur d’un renouveau dans le domaine. Il l’a sorti de la clandestinité en le légalisant et en fondant même une école de tatouage : des sessions de formation et des experts initient les plus passionnés à l’art du tatouage avec des épreuves à passer et des attestations. Plusieurs personnes ont depuis opté pour des centres de tatouage. Fawez visait également à créer un syndicat des tatoueurs tunisiens qui régulariserait la situation professionnelle de ce métier, extrêmement prisé pendant ces 10 dernières années. Autant d’accomplissements jugés transgressifs par des détracteurs religieux et conservateurs qui ont tenté de lui barrer la route violemment. Il a été agressé à une période et a reçu des menaces de mort : ils ont même tenté d’incendier ses biens, mais ont fini par s’y faire depuis. Fawez est spécialiste dans le dé-tatouage également : des personnes désireuses de se faire enlever leur tatoos reviennent chez lui pour des séances de laser. Des séances coûteuses, mais qui se font régulièrement pour des raisons professionnelles généralement. Se faire un tatouage ou se le faire retirer reste singulier et varie d’un cas à un autre. Un bon tatoueur arrive à faire les deux. Fawez est peut-être l’un des premiers à s’imposer dans le secteur, mais d’autres sont tout aussi connus et bien réputés.
Toute une histoire !
Avant l’islamisation de la région maghrébine, les Amazighs vécurent longtemps leurs pratiques et traditions locales qui se sont transmises d’une génération à une autre et ont perduré dans quelques régions, des pratiques dont principalement le tatouage, qui était auparavant tribal et se référait aux origines. Il nourrissait l’appartenance d’une femme ou d’un homme à un clan précis. Juste après, le tatouage rimait avec mauvaise vie, réputation houleuse, banditisme, et faisait mauvaise impression. De moins en moins, cette impression s’est dissoute, entre autres, grâce au retour du tatouage berbère, très en vogue. Sémantiquement, le mot Tatoo a été francisé en «tatouage» à la fin des années 1700. Connu par un bon nombre d’ethnies : les Chinois, les Japonais, les Indiens, les Africains et les Sumériens, les Assyriens et les Acadiens, les Babyloniens, les Chaldéens, les Perses et les Egyptiens (Egypte ancienne), les Grecs, les Romains…
Cela signifie incontestablement que le tatouage est une vieille pratique dans les plus grandes civilisations, souvent associé à un ensemble de croyances, d’idéologies, de cultes et de religions. Le tatouage est un phénomène social, psychologique, anthropologique, culturel, existentiel et identitaire. S’il a été mal réputé ou soumis à l’extinction, cela est surtout dû à l’extension de la religion musulmane et autres qui l’ont banni.