Accueil Magazine La Presse L’invité | Habib Akid, ancien attaquant international de l’ESS : «Ah ! Si la finale de la CAN s’était jouée plus tôt !»

L’invité | Habib Akid, ancien attaquant international de l’ESS : «Ah ! Si la finale de la CAN s’était jouée plus tôt !»

En 1968, Habib Akid a été l’un des tout premiers joueurs de l’ESS à partir vers l’aventure en Europe, sinon le premier. Il a vécu non seulement le drame, tout à fait sportif bien entendu, des «33 Etoiles brûlées» ou «perdues», le 1er juin 1967, mais aussi la désillusion de la CAN-1965 perdue au Zouiten face au Ghana.
«Je suis certain que notre grand gardien, Attouga, n’aurait jamais encaissé de tels buts si la finale s’était jouée de jour», estime-t-il plus d’un demi-siècle plus tard.
Reste la fierté d’avoir contribué en 1966 au titre de champion de Tunisie avec ses 17 buts, soit le même butin que son coéquipier Salem Kedadi, à une petite longueur du meilleur buteur de la saison, Mongi Dalhoum.

Habib Akid, si on remonte très, très loin dans le temps: vous rappelez-vous toujours comment vous étiez venu au football ?

Tout jeune, j’ai joué au quartier Sidi Abdessalam avec mes voisins Habib Mougou, Ali Chaouach, Mohamed Mahfoudh, Mezzaz, Mohieddine et Mohsen Habacha… Donc, tout naturellement, j’ai intégré l’ESS. Ma famille, les Akid étaient réputés pour être de grands commerçants de bétail et de viande dans tout le Sahel.

Vous avez été le premier Etoilé à partir exercer en Europe, plus précisément en Belgique. Comment cela s’est-il passé ?

En grande partie, grâce au gardien de but du Club Africain, Attouga. Avec la sélection nationale, nous étions en stage à Bizerte où se trouvait également le Bourgmestre (premier magistrat) de la ville belge de Charleroi. On m’a mis en contact avec lui. Parti effectuer un test à Charleroi, j’ai finalement signé à la Gantoise. J’ai ensuite renoué durant une saison avec l’Etoile avant de revenir en Belgique, cette fois au RCC Wetteren (D2). C’est sur insistance de ma femme originaire de cette ville que j’ai signé dans ce club où j’ai terminé une fois meilleur buteur. Pourtant, je ne manquais pas d’offres: à un certain moment, Bruges, Anderlecht et Lokeren ont voulu m’engager.

En partant en Belgique, vous avez donc fait d’une pierre deux coups: vous avez pratiqué le football, et  connu en même temps l’élue de votre cœur… 

Oui, je me suis marié en 1967 avec une Belge. Nous avons deux enfants: El Heni, 34 ans qui s’occupe du service juridique de ma société dont il est le sous-directeur, et Sonia, 48 ans, chargée des affaires administratives. J’ai mis sur pied en 1974 une entreprise d’électricité, l’EGE. Au départ, j’étais technicien supérieur à la STEG. D’ailleurs, j’ai fait mes études boulevard 9 avril, à Tunis. Le célèbre dirigeant de l’Espérance Sportive de Tunis, Ali Ourak, m’a croisé un jour à Lafayette, à Tunis. Je n’avais alors que 18 ans. Une fois, il m’a invité dans son café et m’a proposé de signer à l’EST, ce que je n’allais pas faire.

Par contre, à la fin de votre carrière, vous avez évolué à la Patriote de Sousse. Comment peut-on s’accommoder d’un changement de statut aussi brutal ?

En fait, de retour de Belgique, il m’a semblé malhonnête de chercher à faire de la concurrence aux jeunes attaquants qui perçaient à l’Etoile: Abdessalam Adhouma, Raouf Ben Aziza… Déjà, mes anciens coéquipiers Abdelmajid Chetali et Mohsen Habacha étaient devenus entraîneurs. Dans mon esprit, il était inconcevable que je m’entraîne sous les ordres de joueurs que j’avais côtoyés. J’ai donc signé à la Patriote où j’ai retrouvé Rachid Shili. Tout en servant mon nouveau club sur le terrain en inscrivant des buts, je l’aidais financièrement. Nous avons évolué en première division avant d’être relégués. Par bonheur, j’y ai retrouvé l’appétit du buteur.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Mes deux buts contre le Cameroun, le 5 février 1967, dans un match des éliminatoires de la coupe d’Afrique des nations, et mes sorties aux Jeux méditerranéens de Tunis, avec un but contre l’Espagne le 14 septembre 1967 (1-1, l’Espagne qualifiée au tirage au sort). J’ai également marqué à Leningrad, en Russie, deux autres buts devant la Yougoslavie…

Et le plus mauvais ?

Ma blessure en finale de la coupe de Tunisie 1967 devant le Club Africain (défaite 2-0 après prolongations, doublé de Salah Chaoua). Jedidi avait prévenu ses copains: «Faites très attention à Habib Akid!». Dès le premier quart d’heure, je me suis blessé, Attouga s’affalant de tout son poids (80 kilos à l’époque) sur ma jambe. Le remplacement de joueurs était alors interdit. J’étais pourtant resté sur le terrain inutilement puisque je ne pouvais plus bouger. Nous avons évolué presque à dix. Notre frustration a été ce jour-là immense d’autant plus que, qualifiée pour trois finales (seniors, espoirs et juniors), l’Etoile était rentrée à Sousse les mains vides, sans le moindre trophée. D’où la légende des «trente trois Etoiles brûlées», née de ce drame-là.

Votre plus beau match ?

En demi-finale de la coupe de Tunisie. J’ai réussi trois des quatre buts de notre victoire face au Club Sportif Sfaxien (4-0) en match d’appui, à Tunis, tout en donnant la balle du 4e à Chetali. Nous avons perdu 0-1 à Sfax, puis gagné 1-0 à Sousse, sur un de mes buts d’ailleurs. Je revenais alors de suspension en sélection suite au stage d’Utrecht, en Hollande, quand je n’ai pas passé la nuit à l’hôtel avec l’équipe. C’est ainsi que je n’ai pas participé au match aller. Le match contre le Cameroun n’était pas mal non plus. Cela reste un beau souvenir puisque j’ai réussi un doublé.

Quelles qualités doit posséder un bon avant-centre, le poste que vous avez occupé ?

Notre entraîneur à l’ESS, Hassouna Denguezli, nous disait qu’un bon avant-centre doit être un renard des surfaces, intelligent, clairvoyant et opportuniste à souhait.

Quelles qualités vous reconnaissait-on ?

J’étais doté d’une frappe puissante à partir de toutes les positions.Très mobile, je rôdais dans la surface à la recherche des balles perdues. En plus d’un jeu de tête solide, je crois.

Quelle était votre idole ?

Tahar Chaibi (CA) et Amor Madhi (SRS).

Avec qui vous vous entendiez le plus ?

Avec le métronome Abdelmajid Chetali qui m’offrait des passes lumineuses. Avec Rachid Gribaâ, aussi. A vrai dire, nous formions une équipe très homogène: Habacha, Lamine, Ben Amor, Rouatbi, Sahli, Kedadi, Gnaba…: rien que des joueurs de grande classe.

Une question classique: quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?

Tahar Chaibi, et Mohieddine Habacha, le frère de Mohsen, un talent hors pair. L’ailier clubiste était surpuissant, une sorte de bulldozer. Il n’en reste pas moins que notre foot a enfanté beaucoup de grands joueurs: Sghaier, Haj Ali, Diwa, Chetali…

Ils doivent être nombreux les entraîneurs que vous avez fréquentés, non ?

Oui. Je citerais ceux que j’ai eus en Tunisie avant mon départ en Belgique. D’abord, à l’ESS: le Yougoslave Bozidar Drenovac, le Russe Alexei Paramanov, Habib Mougou, Denguezli…. Ensuite, en sélection: Mokhtar Ben Nacef et Ballogh.

Et le meilleur d’entre eux ?

Paramanov. Ancien grand joueur, il tenait le club d’une main de fer, imposant une discipline rigoureuse. Une fois, Chetali et moi avons voulu l’impressionner en lui rappelant que nous étions internationaux. Il nous répliqua froidement: «Si vous avez joué devant 40 mille spectateurs, moi j’ai joué devant 100 mille personnes!». Sur le coup, nous nous étions sentis dans nos petits souliers.

A propos de sélection, pourquoi le onze national parmi lequel vous avez justement été convoqué entre 1965 et 1967 n’a réussi à décrocher ni la CAN 1965 ni les JM 1967, deux manifestations pourtant organisées par notre pays ?

En finale de la CAN-1965, Attouga a pris des buts (dont un sur une balle qui lui était passée sous le ventre) qu’il n’aurait jamais encaissés si la rencontre ne s’était pas jouée en nocturne. Ah ! Si cette finale  devant le Ghana (perdue 3-2 après prolongations) s’était jouée plus tôt, en diurne ! Pour ce qui est des JM-1967, nous avons eu affaire à des nations très fortes comme l’Italie, l’Espagne, la France… Et puis, les encouragements et la motivation matérielle d’aujourd’hui n’avaient pas encore cours. En dehors des 50 dinars d’argent de poche, il n’ y avait guère de primes.

Quelle différence trouvez-vous entre le football d’hier et d’aujourd’hui ?

Le foot n’est plus aussi attrayant que par le passé. Les stades sont vides. Il n’ y a  plus de plaisir. Je ne suis pas fanatique. J’aime le beau jeu, un Messi par exemple.

A votre avis, quel est le plus grand joueur de l’ESS de tous les temps ?

Habib Mougou.

Et les plus grands dirigeants étoilés ?

Hamed Karoui, Hedi Mlika, Abdelhamid Limam…

Que représente l’Etoile pour vous ?

C’est ma vie. Depuis ma jeune enfance, elle fait partie intégrante de ma famille.

Une fois les crampons rangés, pourquoi n’avez-vous jamais été entraîneur ou dirigeant ?

Entraineur, non merci, on y laisse toute sa dignité. Je suis très sensible, et je ne supporte pas les humiliations. Quant à une carrière de dirigeant, je l’ai parfois été, mais de loin en soutenant mon club dans la mesure du possible.

Comment passez-vous votre temps libre ?

J’en ai très peu du fait que je continue à diriger mon entreprise avec mes deux enfants. Je rencontre un tas de gens très intéressants au café. Avec les vétérans: Amara, Belkhiria, Garna, Hsoumi, Bargui, Boukadida, Beya, Mkacher…nous jouons des parties de sixte.

Enfin, quel est votre club favori, après l’ESS cela va de soi ?

L’Etoile. Ce n’est pas que je déteste les autres clubs, loin de là. D’ailleurs, ma génération ne connaît pas la haine dans le sport. Mais, que voulez-vous, lorsqu’on porte un jour le maillot d’un tel monument, on ne peut plus savourer un mets moins délicieux et moins relevé.

Tarak GHARBI

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