Personne ne peut nier les progrès et les réussites réalisés en Tunisie aux niveaux sécuritaire et politique, qui étaient la priorité des priorités des différents gouvernements qui se sont succédé depuis le déclenchement de la Révolution. Mais l’économie, qui était toujours confrontée à des problèmes structurels, a été la grande oubliée de nos décideurs, malgré son importance dans la vie sociale et politique.
Afin de rendre à l’économie nationale sa véritable dimension et la place qu’elle mérite au sein de notre société, le Centre de l’étude de l’islam et de la démocratie (Csid) vient d’organiser une table ronde sur le thème «Les priorités économiques du prochain gouvernement». L’objectif de cet événement, qui a réuni des universitaires, d’anciens ministres, des économistes…, est d’établir une analyse sur la crise et de formuler des propositions pour la sortie de crise.
Comment procéder ?
Khalil Laamiri, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, indique que le pays passe par un contexte économique délicat, marqué par un taux d’endettement élevé qui pourrait aller au-delà de 80 %, un déficit énorme de la balance commerciale, un taux élevé de chômage, une masse salariale étonnante qui dépasse les 6 milliards de dinars…, ayant des répercussions économiques considérables, dont la réduction du budget de développement.
Ces arguments confirment la disparité régionale observée au cours des années précédentes. En effet, il est temps aujourd’hui de lutter contre ce malaise et contre la pauvreté afin d’améliorer les conditions de vie et de bien-être, d’équité et de justice sociale et d’inclusion sociale.
Dans ce cadre, Laamiri propose d’augmenter le budget alloué au développement et d’orienter l’investissement privé vers les régions. Il appelle, également, au changement des politiques monétaires et bancaires, tout en mettant l’accent sur la nécessité de faciliter les procédures d’obtention de crédits économiques pour aider et encourager les entreprises à fort potentiel en matière d’emploi d’aller investir dans les régions.
Pour les cinq prochaines années, le secrétaire d’État propose la mise en place d’une stratégie pour un rétablissement progressif des principaux indicateurs économiques. Pendant les trois premières années, le gouvernement devrait se focaliser sur l’encouragement de l’investissement intérieur et extérieur, dans l’espoir d’attirer de nouveau les investisseurs occidentaux dans notre pays. D’où la nécessité d’assurer un climat d’affaires propice et de continuer à prendre des mesures sérieuses pour encourager les investisseurs à élargir leurs activités et à résoudre les divers problèmes, de manière à envoyer des messages positifs sur le climat d’investissement dans le pays.
La deuxième étape sera celle des réformes sectorielles, qui concernent le transport, l’agriculture, la santé, l’éducation, l’énergie… Ces dernières devraient garantir une vie décente, offrir des services développés dans les secteurs de la santé et de l’éducation et lutter contre les disparités entre les régions et les catégories sociales. Le gouvernement devrait, également, procéder à d’autres réformes transversales ciblant en particulier l’administration, la fonction publique, les entreprises publiques et le système de subventions et ce, tout en prenant en considération les intérêts des familles tunisiennes à revenu limité.
« Pour atteindre tous ces objectifs, il est indispensable de maîtriser les dépenses en baissant la masse salariale, réviser le système de compensation en optant pour une politique efficace de ciblage, éviter la mauvaise gestion en appliquant les principes de bonne gouvernance, encourager l’innovation et la créativité, lutter contre la corruption, rétablir le niveau de la production nationale en phosphate, accélérer les projets à partir des énergies renouvelables, renforcer le contrôle fiscal…», souligne Laamiri. Et d’ajouter qu’il est temps d’entamer les études nécessaires pour instaurer un dialogue approfondi entre les différents parties prenantes sur le gaz de schiste, et ce, afin de prendre une décision intelligente et rationnelle sans toucher à l’environnement.
Six défis majeurs
Pour sa part, Mohsen Hassan, ancien ministre du Commerce dans le gouvernement Habib Essid, indique qu’on a besoin d’une union nationale, au sein de laquelle, on a besoin de l’unité des intérêts nationaux pour sauver le pays et sortir de cette crise qui a déjà trop duré. «A vrai dire, la Tunisie a réussi sa transition démocratique, mais sur la sphère économique, beaucoup reste à faire avec six défis majeurs à relever», souligne-t-il. Hassan affirme que le prochain gouvernement devrait garantir l’équilibre et la stabilisation des finances publiques à travers la réforme du système fiscal, la réduction de la pression fiscale, la lutte contre la fraude fiscale, la lutte contre la corruption…
Deuxièmement, réduire le déficit de la balance commerciale et le taux d’inflation en instaurant des mesures courageuses et cohérentes.
Le troisième défi qui s’impose c’est de booster l’investissement privé et public dans les différents secteurs, dans les régions, les PME, les entreprises à grand potentiel de développement…,et ce, en renforçant le partenariat entre les secteurs privé et public qui pourrait se faire dans le cadre d’une coopération internationale pour favoriser le climat des affaires. Il faut, également, assurer l’efficacité du système de marché et encourager les entreprises à ouvrir leur capital social à des investisseurs pour accélérer leur développement. D’où la nécessité d’avoir une vision claire pour opter à un financement direct par les marchés financiers. Pour le marché de financement indirect, Hassan indique que le secteur bancaire doit jouer pleinement son rôle pour soutenir l’investissement privé et il est indispensable d’assurer une coordination entre le gouvernement et la Banque centrale de Tunisie (BCT) pour booster l’investissement et la croissance. Idem pour l’assouplissement de la réglementation des changes pour aider les PME et les startup à intégrer le marché extérieur. L’ancien ministre réclame aussi un assouplissement du marché du travail…
Le quatrième défi est celui du développement de la politique sectorielle et des unités de production, et ce, en accélérant la mise en place du plan de développement de l’industrie tunisienne. Idem pour les organisations agricoles qui nécessitent une amélioration pour assurer la sécurité alimentaire et maîtriser les prix des produits agricoles. D’autres secteurs nécessitent une restructuration à l’instar du tourisme, des services…
Le cinquième défi concerne la bonne gouvernance des politiques économiques. Le pays a besoin d’une politique économique cohérente pour contrôler l’inflation, du changement de billets comme réponse à la contrebande, au blanchiment et au financement du terrorisme. Dans ce cadre, Hassan a plaidé pour la création d’un organisme regroupant des experts qui seront chargés de la mise en place d’une stratégie visant à moderniser la gouvernance des politiques économiques. Le dernier défi qui s’impose est la nécessité d’instaurer une politique sociale pour parvenir à éviter les explosions sociales et la désagrégation des liens sociaux. Ici l’État doit jouer pleinement son rôle dans la mise en œuvre des politiques sociales.