C’est dans un contexte particulièrement difficile que la ministre de la Santé par intérim, Sonia Ben Cheikh, a pris ses fonctions au sein du ministère de la Santé en mars dernier. Son prédécesseur venait de démissionner suite au drame retentissant lié au décès de quatorze nouveau-nés au service de néonatologie de l’hôpital La Rabta. Le ministère est en pleine ébullition. Les 28 points émis sous forme de recommandations par le chef du gouvernement lors d’un Conseil ministériel restreint doivent être traduits en mesures urgentes afin de relancer un système de santé chancelant et éclaboussé par un scandale sanitaire sans précédent. Du dialogue sociétal à la remise à niveau des salles blanches, en passant par le renforcement de la première ligne et la digitalisation du système, la ministre de la Santé est engagée sur plusieurs fronts. Celle-ci, qui chapeaute également le ministère de la Jeunesse et des Sports et qui avoue être entourée de très bons conseillers qui lui facilitent la tâche, revient sur les grands projets et réalisations du ministère. Interview.
Comment évaluez-vous votre passage actuel à la tête du ministère ?
J’ai intégré le ministère de la Santé un certain 13 mars 2019. Je ne sais pas si on peut être objectif dans l’évaluation de ce passage car les conditions de ma nomination par intérim à la tête de ce ministère étaient particulières. Nous avons perdu quatorze nouveau-nés. C’était une situation particulièrement alarmante. Les projecteurs ont été braqués dès lors sur les problèmes de la santé publique. Nous ne sommes pas restés les bras croisés pour la simple raison que le 22 mars le Chef du gouvernement a décidé de tenir une grande réunion à laquelle ont assisté près de 450 intervenants.
A cette réunion ont pris part des professionnels du secteur public et privé, des membres des chambres syndicales, des professionnels du secteur pharmaceutique, d’anciens ministres de la Santé et de hauts cadres de l’Etat. Après le 22 mars, il y a eu la tenue d’un Conseil ministériel présidé par M. Youssef Chahed. Les mesures urgentes décidées et les recommandations ont abouti à l’identification de 28 points dont l’acquisition d’équipements, la réactivation d’anciens projets concernant l’infrastructure et la composante génie civil,la numérisation du système et la gouvernance du secteur. Une semaine après au ministère de la Santé, nous avons mis en place une commission pour assurer le suivi des recommandations et des décisions prises lors de ce conseil. Aujourd’hui, plus de 90% de ces recommandations ont été réalisées. Je commencerais par la composante équipements qui est la plus importante.
Nous avons lancé des appels d’offres depuis la première semaine du mois d’avril et les grandes installations vont être concrétisées en décembre 2019, à l’instar de l’achat de 10 scanners, des IRM et l’acquisition de quatre salles de cathétérisme cardiaque.
L’une des recommandations a porté, par ailleurs, sur la mise à niveau de tous les blocs opératoires et de toutes les salles de stérilisation. Cela nous amène à aborder le point relatif à la salle blanche du service de maternité et de néonatologie de l’hôpital Wassila-Bourguiba. Ce service a été rénové de fond en comble de la toiture jusqu’au sol. La salle blanche a également été mise à niveau et il y a eu un renforcement du personnel en pharmaciens, en techniciens supérieurs et en personnel infirmier et ouvrier. Le cadre médical du service de néonatologie a également été renforcé.
Nous avons décidé aussi que l’année 2020 sera celle des blocs opératoires et des salles de stérilisation. Il s’agit d’un très grand projet qui inclut les salles opératoires des hôpitaux universitaires et des hôpitaux régionaux. Idem pour les salles de stérilisation. La nouveauté concerne la mise en place de trois pôles de salles blanches qui vont desservir aussi bien le Nord que le Centre et le Sud. En parallèle, nous avons tenu 24 réunions interrégionales avec les gouverneurs et les députés des 24 gouvernorats. Nous avons pris une série de décisions et nous avons travaillé sur les projets anciens en instance. La composante équipement et recrutement a figuré parmi les points focaux de ces réunions.
Vous avez dû concilier le portefeuille de la Santé et celui de la Jeunesse et des Sports. Peut-on assimiler cela à un délicat et difficile exercice d’équilibriste ?
La décision du chef du gouvernement de me nommer ministre par intérim à la tête du ministère de la Santé s’appuie sur la longue carrière que j’ai eue dans le secteur de la santé. J’ai débuté en 1997 au sein du ministère que je n’ai jamais quitté depuis bien que j’aie également suivi une carrière d’universitaire. Donc vingt-deux ans d’expérience dans ce ministère me facilitent la tâche et la manière de le gérer. C’est un devoir pour moi et même une obligation de rendre hommage aux personnes compétentes et aux conseillers qui m’entourent. Il est d’ailleurs facile de leur déléguer des fonctions et des tâches car ils connaissent ce secteur à la perfection. Je suis également entourée d’excellents conseillers au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports dont je cite les directeurs généraux qui sont à la tête des départements de la jeunesse et des sports, de la formation et de l’éducation physique. Nous travaillons en étroite collaboration et coordination. Je consulte mon courrier tous les jours. Il n’y a pas un seul mail qui reste en attente. Lorsque je me déplace pour superviser des activités sportives les samedi et dimanche, j’en profite également pour effectuer des visites aux établissements hospitaliers, à l’instar de ce qu’on a fait à Kasserine le samedi passé. Huit centres de santé de base ont ouvert leurs portes dans le gouvernorat. Nous avons ouvert un centre de résidence pour les jeunes à Hidra et des maisons des jeunes de deuxième génération. C’est vraiment joindre l’utile à l’agréable.
Entrons dans le vif du sujet: la santé. La Tunise s’est forgée une solide réputation dans le domaine des compétences médicales. Or le départ massif de jeunes médecins qui ont choisi de s’installer à l’étranger et de grands pontes de la médecine attirés par les contrats mirobolants que leur font miroiter des pays comme le Qatar risque de se répercuter négativement sur la formation et l’encadrement mais également sur le rendement des services des CHU. Quelles solutions avez-vous envisagé pour stopper l’hémorragie?
La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de rencontrer mes vis-à-vis africains ainsi que de hauts responsables français lors de la mission Afrique à Paris. Et la première des choses que j’ai évoquée concerne la question des compétences tunisiennes en France. S’agissant des médecins installés en France, je crois en la coopération bilatérale. Dans le cadre de la promotion des services liés à la santé, on parle de placement de nos compétences et de nos ressources humaines dans différentes structures de santé étrangères. Sauf que ce départ commence à se faire sentir dans les régions intérieures où il y a un manque de spécialistes mais également dans les grandes villes. En décembre 2017, nous avons décidé de doubler l’effectif des candidats et des résidents qui se présentent au concours de résidanat pour être médecin spécialiste. Nous sommes passés, volet recrutement, de 500 à 980 postes dont 180 pour les régions de l’intérieur. Ces médecins ont choisi aussi bien la spécialité que le gouvernorat dans lequel ils désirent poursuivre leur formation. Donc actuellement, nous disposons de la liste par région, par spécialité et par gouvernorat.
Depuis décembre 2017 jusqu’au dernier concours de 2018 dont les résultats ont été proclamés en 2019, nous avons 42 médecins spécialistes en fin de formation qui intégreront leur poste dans le gouvernorat de Médenine. Parmi ces 42 médecins spécialistes, il y a huit gynécologues obstétriciens. La politique du ministère en décembre 2017 consistait à trouver une solution radicale à la pénurie de spécialistes dans les régions. Il y a eu des tentatives par le passé dont celle d’augmenter le montant des gardes payées.
Mais il ne s’agit là que de solutions provisoires. Aujourd’hui, nous cherchons plutôt la stabilité, la continuité et la pérennité pour que ces médecins restent à leur poste là où nous les avons placés. Quand j’étais en France, j’ai proposé que l’on se mette autour d’une table avec les décideurs de la santé afin d’identifier leurs besoins en compétences médicales tunisiennes ainsi que nos besoins. La solution réside dans la formation d’un pool supplémentaire pour répondre aux besoins des régions en médecins spécialistes. Le fait d’augmenter l’effectif au niveau des concours de recrutement va permettre aux étudiants en médecine de pouvoir choisir la spécialité dans laquelle ils désirent se former.
Peut-on affirmer que vous avez trouvé une solution définitive à la pénurie de spécialistes dans les régions ?
Oui. Je vais citer en exemple le gouvernorat de Médenine. Il y a eu la proclamation récente des résultats du concours de professeurs agrégés en médecine. Deux candidats de Médenine ont réussi à ce concours je les félicite d’ailleurs. Actuellement, nous avons quatre professeurs agrégés qui occupent des postes dans ce gouvernorat. La présence d’ un professeur agrégé et d’assistants dans un même service représente un terrain de stage intéressant pour les résidents. Nous devons de notre côté répondre aux attentes du personnel en matière d’équipements et de matériels. C’est une relation trilatérale que nous devons développer.
A Médenine, le professeur agrégé en cardiologie a ramené avec lui son assistant. Le ministère de la Santé a décidé de rénover tout le service de cardiologie. C’est un service qui est actuellement au top niveau et qui a été accrédité depuis le premier jour. L’hôpital est doté d’un service de cardiologie universitaire avec une unité de soins intensifs et une salle de cathétérisme cardiaque à Médenine.
La Tunisie compte pour l’heure un seul hôpital d’enfants et deux centres de carcinologie concentrés sur le Grand-Tunis. D’autres hôpitaux dans la même spécialité verront-ils le jour pour alléger la pression sur ces pôles médicaux ?
S’agissant de la spécialité carcinologie, il n’y a pas uniquement que les pôle de Salah-Azaïez et de l’Ariana. Le centre de carcinologie de Jendouba vient d’ouvrir ses portes. C’est le plus grand pôle de carcinologie qui couvre tout le Nord-Ouest et qui fonctionne d’emblée avec deux accélérateurs linéaires, un scanner, IRM, un mammographe… C’est un vrai pôle qui devra résoudre le problème partiellement pour la région du Nord-Ouest. Aujourd’hui, on préfère parler de mise en place de pôles plutôt que de services par gouvernorat.
Et pour le Sud ?
Nous avons des services de carcinologie, de radiothérapie et de chimiothérapie au niveau des grands hôpitaux à l’instar de Sousse, Monastir et Sfax. Je sais que c’est insuffisant. C’est pour cette raison que nous allons démarrer en 2020 l’étude de faisabilité pour la mise en place d’un autre pôle de carcinologie dans le gouvernorat de Ben Arous. Sa localisation géographique est intéressante dans la mesure où il se trouve non seulement à proximité du Centre des grands brûlés de Ben Arous mais il est également accessible pour les habitants des régions de Sousse, Monastir et du Cap Bon. S’agissant de la spécialité pédiatrique, nous comptons un service de pédiatrie par hôpital mais cela est largement insuffisant. Nous avons un très grand projet qui va voir le jour dans le gouvernorat de La Manouba dans la ville de Sanhaja où il y aura un pôle doté d’une unité de médecine, de chirurgie et d’exploration pédiatrique. Il y a également le projet mère-enfant qui va voir incessamment le jour à l’hôpital Mahmoud El-Matri à l’Ariana.
L’année 2019 a été secouée par un drame qui a marqué les esprits, celui de la mort de quatorze nouveau-nés dans le service de néonatologie de La Rabta. Quelles sont les mesures qui ont été prises depuis pour éviter que ce drame ne se reproduise à nouveau d’autant plus que dans certains hôpitaux les grands prématurés sont hospitalisés dans la même unité que les nouveau-nés mis sous couveuse?
Le service a été rénové de fond en comble. Il en est de même pour la salle blanche de la préparation de l’alimentation parentérale. D’ailleurs, nous venons de valider le projet de création de trois pôles spécialisés dans la préparation d’alimentation parentérale qui vont permettre de couvrir le Nord, le Centre et le Sud. Nous sommes allés à fond dans la remise à niveau des salles de stérilisation et de tous les blocs opératoires. Jusqu’ici parmi les priorités du ministère figuraient toujours la construction et l’acquisition d’équipements mais la question de la maintenance n’était pratiquement jamais évoquée. A aucun moment, le budget maintenance n’a été renfloué. Pour 2020, le ministère doit travailler sur la maintenance des équipements, de l’infrastructure et surtout du renforcement de la capacité des ressources humaines. Je parle aussi bien de la formation continue que du recyclage car c’est le seul moyen de motiver un personnel dont le nombre dépasse les 83.000 et dont 40.000 sont des personnels paramédicaux et infirmiers.
Les urgences des hôpitaux régionaux souffrent d’encombrement et fonctionnent bien au-delà de leur capacité. Or la solution résiderait dans le renforcement des structures de première ligne afin de limiter les transferts vers les structures de seconde et de troisième ligne. Est-ce dans ce cadre que s’inscrit le projet «Essaha aziza»?
«Essaha aziza» est une des composantes qui figurent parmi les nombreuses actions et programmes de notre stratégie et notre vision pour les urgences et les structures de première ligne de soins. Nous avons 181 services répartis sur tout le territoire. 60 services sont saturés et souffrent d’encombrement. En fait, ils travaillent au-delà de leur capacité réelle. Sachez qu’on compte sept millions trois cents consultations par an au niveau des urgences uniquement. Il s’agit d’un indicateur alarmant qui révèle que les habitants s’orientent en priorité vers les urgences pour se faire soigner. 50% sont de fausses urgences car le patient opte pour cette solution de facilité afin d’éviter les longues files d’attente pour les consultations externes normales. Ce diagnostic nous a permis de comprendre que la première ligne n’a pas fonctionné. Le système de santé est une chaîne constituée de plusieurs maillons. Si l’un des maillons est défaillant c’est toute la chaîne qui finit par se rompre. On ne peut plus parler alors d’un système qui tient la route. Le diagnostic que nous avons effectué était essentiellement basé sur celui des urgences. Il faut savoir que l’architecture classique d’un service des urgences qui fonctionne normalement comprend l’accueil, le SAS et la salle de tri. Entre l’inscription du patient et la salle de tri, le délai d’attente ne doit pas dépasser une heure dans des services des urgences normaux. Or, pourquoi le patient se plaint-il aujourd’hui ? C’est parce qu’il passe des heures à attendre. Or, ce dernier ignore que le médecin urgentiste doit parfois exiger un bilan complémentaire biologique ou radiolgique ou requérir l’avis d’un spécialiste dans certains cas. Tout cela entre dans le temps d’attente du patient dans le service des urgences qui peut parfois durer des heures. Mais le patient l’ignore car il n’est généralement pas informé de cette démarche médicale. S’ensuit alors une agressivité à l’origine de la violence qu’on observe dans le milieu hospitalier. Ce point crucial reflète dès lors l’importance de la formation continue du personnel soignant notamment dans le domaine de l’accueil, de la communication et de la relation avec les patients qui est essentielle.
Pour le personnel soignant, les malades ne sont que de simples numéros de dossier…
Il ne faut pas généraliser. Je peux vous affirmer qu’il y a des médecins qui adorent ce qu’ils font et qui ne quitteront jamais le public pour le privé. J’ai reçu l’autre jour le Professeur Habiba Mizouni qui est radiologue. Quand elle s’exprime sur son service et sur son personnel, elle les considère comme sa seconde famille. Elle est d’ailleurs venue accompagnée du surveillant car elle juge que son rôle est fondamental pour la bonne marche du service. Il faut savoir par ailleurs que les internes et les résidents sont le vrai pilier et le point fort de notre système de santé en Tunisie. Je les appelle «les soldats» car ils font le travail de l’ouvrier, de l’infirmier, du technicien supérieur et du médecin et ils travaillent 24 heures sur 24. Or, les messages négatifs qui circulent souvent sur eux finissent par leur saper le moral. Un jour, l’on m’a demandé quels sont les défis que j’aimerais relever au sein du ministère de la Santé. C’est celui de rétablir avant tout la relation de confiance entre le ministère de tutelle d’un côté et le personnel soignant et les professionnels de la santé de l’autre. C’est l’une de mes priorités en effet. Cette question de confiance se pose également entre les prestataires de services et les utilisateurs. Je vous cite un exemple : alors que les malades acceptent de patienter pendant de longues heures sans rechigner dans un cabinet privé, ils refusent d’attendre tout ce temps dans un établissement hospitalier public allant jusqu’à devenir agressifs.
Comment avez-vous renforcé la première ligne de soins ?
S’agissant des structures de première ligne, nous avons 2182 centres de soins de santé de base et 109 hôpitaux de circonscription. Nous voulons mettre en place une politique loco-régionale. Nous avons remarqué que dans certaines zones, il serait préférable de regrouper ces centres de soins de santé de base qui sont de deuxième ou de troisième niveau. Depuis 2016, le ministère s’est lancé dans une nouvelle approche, celle des centres intermédiaires. Alors que les centres de soins de santé de base assurent le préventif et le curatif sous forme de consultations ambulatoires avec un personnel constitué de médecins généralistes, de sages-femmes et d’infirmiers, les centres intermédiaires sont dotés d’un plateau technique minimum, à savoir un laboratoire, un service de radiologie, une chaise dentaire et deux ou trois consultations assurées dans des spécialités comme l’ophtalmologie ou l’ORL et qui s’adaptent aux besoins de la région. On compte quatre centres par gouvernorat qui ont ouvert leurs portes. Notre objectif est de réduire les centres de soins de santé de base de type 2 et 3 et de renforcer les centres intermédiaires de la première ligne car un patient qui va consulter dans un centre de soins de santé de base classique chez un médecin généraliste doit se rendre ensuite à l’hôpital régional pour faire son bilan puis consulter de nouveau le médecin généraliste pour lui montrer son bilan, ce qui lui fait perdre beaucoup de temps. Cela peut prendre, en effet, jusqu’à trois à quatre semaines. Les centres de soins intermédiaires vont permettre ainsi d’alléger la pression sur les urgences des structures de deuxième et même de troisième ligne.
La crise qu’a traversée la Pharmacie centrale (PCT) a affecté le secteur pharmaceutique en Tunisie. Elle est en grande partie responsable de la pénurie de médicaments. Avez-vous élaboré une stratégie pour mettre un terme
à cette pénurie cyclique ?
Début janvier 2019, on était à 300 produits pharmaceutiques manquants. Actuellement, on en est à vingt. Il faut connaître le vrai circuit du médicament en Tunisie. Pour la fabrication locale, notre industrie pharmaceutique est composée de 45 unités de fabrication de médicaments qui permettent de satisfaire 70% des besoins du marché local, les 30% restants proviennent de l’importation. Les médicaments importés passent obligatoirement par la Pharmacie centrale qui assure le rôle de fournisseur pour les officines publiques.
Quant à la distribution dans le secteur privé, elle est assurée par les grossistes répartiteurs qui distribuent les médicaments sur commande aux pharmacies privées. Les médicaments provenant de la production locale sont fournis aux pharmacies privées à travers les grossistes répartiteurs et non à travers la Pharmacie centrale alors que les officines des hôpitaux sont approvisionnées par contre en produits pharmaceutiques locaux par le biais de la PCT. Il faut comprendre que la pénurie qui touche certains princeps à l’instar des corticoïdes est observée à l’échelle internationale. Car la fabrication du produit de base est assurée ou par l’Inde ou par la Chine. En ce qui nous concerne, nous ne sommes jamais arrivés à un stock zéro de médicaments manquants. Quand le stock stratégique descend au-dessous d’un mois d’approvisionnement, nous considérons alors le médicament comme produit manquant et on parle de pénurie. Parfois, il arrive aux médecins prescripteurs de prescrire un produit qui n’est plus fabriqué par les industries pharmaceutiques locales ou internationales. Pour la première fois, la Pharmacie centrale a impliqué le conseil de l’Ordre des médecins dans les commissions afin qu’il soit informé des produits manquants et des génériques qui doivent être prescrits à la place.
Le vol de médicaments est un mal endémique qui mine de nombreux hôpitaux publics. Le dernier vol en date qui a été signalé est celui de médicaments dérobés d’une section de la pharmacie centrale à Sousse. Avez-vous pris des mesures pour lutter contre ce phénomène ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un phénomène. Le vol de médicaments a régressé d’une année à l’autre. On a enregistré une amélioration cette année par rapport aux chiffres de 2018 et de 2017. Vous savez on ne peut pas voler grand-chose de la pharmacie d’un hôpital. Par contre, il y a bien eu quelques réseaux de contrebande de médicaments qui ont été démantelés en collaboration avec la douane, le ministère de l’Intérieur et la Défense quand il s’agit de zones frontalières. Le dernier vol a été constaté le mois de juillet dernier par le nouveau Président-Directeur-Général de la direction régionale de la Pharmacie centrale de Sousse qui a fait son enquête en toute discrétion en visionnant le contenu des caméras de surveillance. Grâce au nouveau système de traçabilité et de numérisation, il a pu démasquer le malfaiteur responsable du vol.
Dès qu’il a bouclé l’inspection, il a transmis tout le dossier à la justice. Ce responsable a suivi à la lettre la procédure. Il a pris ses fonctions le 28 juillet et le vol a eu lieu le 17 juillet. Il a ouvert une enquête suite à des suspicions soulevées par des factures de médicaments. Pourtant il a été vivement critiqué alors qu’il a fait correctement son travail. C’est un expert-comptable que je salue. Il enseigne également à la faculté et il a démissionné rien que pour servir son pays. Lorsque j’ai été nommée en septembre 2017 au poste de secrétaire d’Etat de feu Slim Chaker, ce responsable, qui était son conseiller avait pour mission à l’époque de procéder à l’audit approfondi de la Pharmacie centrale. Après un mois, il a remis son dossier puis suite au décès de Slim Chaker, il a réintégré son poste d’enseignant à la faculté. L’été dernier, la Présidence du gouvernement m’a informée que l’ancien PDG a présenté sa démission sans passer par l’autorité de tutelle. Je ne pouvais pas laisser la section de la Pharmacie centrale sans directeur en plein mois de juillet. J’ai alors pensé que cet ancien conseiller de Slim Chaker était la personne idoine pour ce poste car c’est lui qui a réalisé l’audit interne de la Pharmacie centrale.
Quand on parle de médicaments, on évoque la question de la traçabilité pour une meilleure gestion au sein des établissements hospitaliers publics. Le ministère s’est engagé dans cette démarche. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Le ministère a mis en place depuis fin 2017 une application visible à partir de l’administration centrale et à partir de mon bureau sur la gestion des stocks au niveau des pharmacies de tous les hôpitaux sans exception. A titre d’exemple quand un produit est manquant, cette application nous permet de savoir dans quels structures ou établissements et dans quelle région, il est disponible en quantités suffisantes. On nous a signalé dernièrement la pénurie d’un médicament à l’hôpital de La Rabta. Par le biais de cette application, nous avons su que ce médicament était disponible en quantités suffisantes à Tozeur et Médenine qui ont pu fournir à l’hôpital de La Rabta les quantités dont il avait besoin.