Accueil Economie Supplément Economique Corruption – Olfa Chahbi — Conseillère des intérêts publics à l’INLUCC : «une atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme»

Corruption – Olfa Chahbi — Conseillère des intérêts publics à l’INLUCC : «une atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme»


La malversation, ce fléau qui ronge notre économie nationale, semble gangrener tous les secteurs d’activités. Au point de freiner la croissance et compromettre les droits les plus fondamentaux des citoyens. Mme Olfa Chahbi de l’Inlucc nous en parle.


Quelles sont les retombées économiques de la corruption ? Quel est son coût estimé ?
Tout d’abord, il est impératif de commencer par préciser les contours de la notion de la corruption. En un mot, la corruption est la malversation. Elle englobe l’ensemble des crimes qui touchent à toute la sphère économique et les éléments qui assurent son bon fonctionnement comme l’intégrité, la transparence, la concurrence, etc. Ainsi, tout ce qui relève de la contrebande, la spéculation, les pots-de-vin, la concurrence déloyale, l’évasion fiscale, les conflits d’intérêts, s’inscrit dans le cadre de la malversation.
La lutte contre tous ces crimes fait partie intégrante du travail de l’Inlucc. Maintenant, pour répondre à la question relative aux répercussions, il a été prouvé que la corruption affecte la croissance économique nationale et à une échelle plus grande, la croissance mondiale. Les Nations-unies considèrent que la corruption entrave le développement durable, dans la mesure où il s’agit d’une atteinte aux droits de l’Homme. Si on ne lutte pas contre la corruption, des droits fondamentaux comme l’accès à la santé, à l’eau, etc. seront compromis.
Essayons d’expliquer les répercussions économiques selon la nature du crime financier. Je vais commencer ici par l’exemple du secteur de la santé, notamment de l’industrie pharmaceutique, puisqu’il s’agit d’un domaine sur lequel j’ai beaucoup travaillé. Lorsqu’un laboratoire distribue des pots-de-vin à des médecins, aux autorités de tutelle dans le but d’accéder facilement au marché et commercialiser son produit, le coût de ces malversations sera intégré dans le prix du médicament, lors du calcul de la marge bénéficiaire. En d’autres termes, c’est le citoyen qui va payer ces frais supplémentaires, ce qui va impacter directement le pouvoir d’achat des citoyens et compromettre leur droit d’accès aux médicaments.
Ce schéma est désormais applicable à tous les secteurs. Maintenant, dans le cas de corruption dans les marchés publics, où une entreprise recourt à des malversations pour monopoliser ce marché-là, on parle de facto d’une concurrence déloyale. A ce moment-là, c’est tout le tissu économique des PME qui est menacé. Plusieurs entreprises risquent de mettre la clé sous le paillasson, limoger les employés dans un climat d’affaires qui se distingue par la concurrence déloyale.
Pour l’évasion fiscale, les répercussions sont plus palpables étant donné qu’elle touche directement les recettes de l’Etat et, par conséquent, le budget. Si on parle de contrebande, il s’agit de marchandises qui ne respectent pas les normes sanitaires et qui peuvent causer des maladies aux citoyens. Résultats : plus de pression sur les caisses de la sécurité sociale. Sans omettre bien sûr les conséquences de la concurrence déloyale induite par le commerce parallèle sur les petites et moyennes entreprises. Partant, tout type de corruption qui se manifeste dans n’importe quel secteur affecte d’une manière ou d’une autre l’économie. Ces crimes constituent, ensemble, les maillons d’une chaîne. Un réseau interconnecté où chacun des crimes est étroitement lié à l’autre. De ce fait, la lutte contre la corruption n’est pas divisible et implique la lutte contre tous ces crimes.
Quant aux estimations, on s’appuie pour le moment sur les résultats des études réalisées par la Banque mondiale. A vrai dire, nous n’avons pas jusque-là des études ou des enquêtes qui ont été réalisées à l’échelle nationale. A ce titre, nous devons travailler en collaboration avec les universitaires pour pouvoir acquérir ce savoir-faire qu’est la quantification et l’estimation chiffrée de l’impact économique de la corruption, et faire par la suite nos propres évaluations. Cela dit, il a été révélé que la corruption attaque 20% des marchés publics, soit 2.000 milliards de dinars.

En Afrique, la corruption touche essentiellement les ressources naturelles, notamment le secteur minier. Selon les données de l’Inlucc, quel est le secteur le plus rongé par la corruption en Tunisie ?
Il est vrai qu’à partir des dossiers qui parviennent à l’Inlucc, on peut avoir une idée sur les foyers de la corruption en Tunisie. Cependant, il est à préciser que ces données ne sont pas toujours représentatives, dans la mesure où la lutte contre la corruption, notamment la grande corruption relève de plusieurs corps spécialisés en la matière. Généralement, la grande corruption est dévoilée au grand jour suite à des affaires scandaleuses.
Bien que la dénonciation aide beaucoup à braquer les lumières sur les foyers de corruption, il n’est pas toujours du sort des grandes affaires de tomber dans les mains de l’Inlucc. Cependant, on peut dire qu’à l’image des autres pays africains, les mêmes phénomènes peuvent également toucher la Tunisie.
Les études qui ont été menées sur la corruption par l’INS, ou par des bureaux de consulting, sont basées sur la perception de la corruption par le citoyen et le secteur privé. Cette perception, qui résulte des relations directes avec certaines administrations publiques et qui pointe du doigt la présence de la petite corruption, peut être considérée comme étant un indicateur de présence de la grande corruption. En effet, deux études qui ont été réalisées dans ce cadre (la première menée par l’INS et la deuxième par l’Association tunisienne des contrôleurs publics (Atcp)), ont révélé que le citoyen perçoit les secteurs de la santé, la douane, les municipalités et la sécurité comme étant les secteurs les plus rongés par la corruption. On peut dire que ces résultats constituent un indice sur la présence de la grande corruption dans ces secteurs. Mais cela ne veut pas dire que les autres secteurs sont épargnés. Il ne faut pas oublier, non plus, qu’il s’agit uniquement d’une perception du citoyen. Par exemple, les secteurs de la finance ou des mines, qui souffrent désormais de la corruption, ne sont pas cités en raison de l’absence de contacts directs entre le citoyen et les parties prenantes de ces secteurs-là. Pour l’Inlucc, la plupart des dossiers de corruption qui nous sont parvenus concernent principalement les secteurs suivants : les municipalités, la santé et la sécurité. Etant l’administration la plus fréquentée par le citoyen, les municipalités constituent l’objet de dénonciation le plus fréquent.

Est-ce que les enquêteurs disposent des moyens et des prérogatives nécessaires et suffisants leur permettant de traquer les malversations ?
A vrai dire, nous comptons parmi nous de nombreuses compétences en la matière. Nos équipes sont formées de juristes, d’experts économistes et financiers, d’informaticiens, etc. Cependant, nous n’avons pas encore suffisamment de moyens et de prérogatives à même de nous permettre de travailler aisément. La mise en place de l’instance est tout récente. Nous ne disposons pas des moyens dont sont dotés les autres corps spécialisés dans la lutte contre la corruption, à l’instar de la brigade économique. Par exemple si on a besoin d’un document, il faut attendre à ce que l’administration en question ou l’entreprise concernée envoie le document demandé, quoique nous utilisions nos propres moyens pour avoir toutes les données nécessaires. Aussi nous n’avons pas encore implémenté les applications informatiques qui nous permettent d’accéder aux bases de données des diverses administrations financières.

Est-ce que vous travaillez en collaboration avec les autres corps spécialisés dans la lutte contre la corruption ? Est-ce qu’il y a des problèmes de coordination entre ces structures ?
Jusqu’à 2016, il y avait des problèmes et des lacunes en matière de coordination entre les diverses structures spécialisées dans la lutte contre la corruption. C’est l’avant-dernier rapport d’évaluation émis par le Gafi qui a mis l’accent sur cette défaillance, et a pointé du doigt l’absence d’une réelle harmonisation entre les corps concernés par la lutte contre la corruption et le crime financier, notamment le pôle judiciaire économique et financier, la Commission tunisienne des analyses financières et la douane.
Pour pallier ce genre de lacunes, les autorités ont créé une plateforme informatique qui vise à relier la douane à la Ctaf. Elle permet à la commission de traquer les transferts en devises déclarés par la douane et de vérifier leur placement au niveau de la Banque centrale. Mise à part cette plateforme, il n’y avait pas, jusque-là, d’autres grands projets qui visent à remédier à ce type de problème. En ce qui nous concerne, nous, au sein de l’Inlucc, nous travaillons en collaboration avec tous les autres corps pour nous enquérir des dossiers déjà traités, mais également pour pouvoir collecter les informations nécessaires au bon moment.

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