En marge de la conférence internationale sur “La quête de la souveraineté économique et monétaire dans l’Afrique du XXIe siècle”, tenue les 7 et 8 novembre à Tunis par la Fondation Rosa Luxemburg, l’intervenant Fadhel Kaboub, professeur d’économie à l’Université de Denison aux Etats-Unis, nous dévoile les facettes de la dépendance économique de la Tunisie et des pays africains après la décolonisation.
Dans votre intervention vous avez évoqué le problème de la dépendance économique, notamment monétaire, caractérisant les pays africains qui sont désormais des Etats souverains. Quelles sont les causes de cette dépendance et par quoi se traduit-elle ?
Tout d’abord, il faut noter qu’un manque de souveraineté politique puise son origine dans une dépendance monétaire et économique. Il existe trois conditions incontournables pour la souveraineté économique d’un Etat. Premièrement, il doit être capable de créer sa propre monnaie. Tous les Etats du monde ont désormais leurs propres monnaies. Deuxième condition, c’est que les taxes doivent être payées avec la monnaie de cet Etat. Finalement, la troisième condition, et qui est la plus importante, c’est que l’Etat, économiquement souverain, ne doit pas s’endetter en devises. Et c’est là où le bât blesse pour la majorité des pays en voie de développement. Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsque le taux d’endettement extérieur ne cesse de croître, l’Etat est dans l’obligation d’adopter un régime de change fixe. Car si on opte pour un taux de change flexible, cela engendrera une inflation importante au niveau des produits importés, notamment les médicaments, l’énergie, les vêtements, etc., compte tenu de la pression négative exercée sur le taux de change.
C’est un secret de polichinelle que l’inflation soit à l’origine de tous les maux sociaux. Elle induit un climat social tendu et une instabilité politique. C’est pour cette raison que les banques centrales essayent de maintenir les taux de change fixes. Or, l’endettement extérieur constitue la seule solution pour pouvoir maintenir le taux de change fixe et importer les produits de première nécessité. Les solutions adoptées par les pays africains depuis leurs indépendances dans l’objectif de drainer les devises, comme le tourisme, l’investissement étranger, l’investissement dans l’export, ont démontré leurs limites dans la mesure où le tissu industriel mis en place est de faible valeur ajoutée. Il nécessite l’importation de l’énergie, du capital et des produits intermédiaires. Le résultat obtenu, c’est que nous avons une industrie qui demande davantage de subventionnement…
En d’autres termes, la politique monétaire est tributaire du tissu économique du pays. Dans ce cadre, vous avez expliqué que l’évolution de l’endettement extérieur va de pair avec l’accroissement de l’export. Comment ?
En effet, pour que les pays africains soient économiquement souverains, ils doivent changer leurs structures économiques. Leurs modèles de développement actuels reposent sur l’intensification de l’export. Cependant, si on focalise les grandes politiques sur le seul objectif d’améliorer l’export, on se trouve dans un cercle vicieux où il devrait y avoir de nouveaux investissements qui nécessitent à leur tour davantage d’équipements, d’énergie et de produits intermédiaires indispensables à la production.
L’augmentation des exportations implique, ainsi, un accroissement des importations de forte valeur ajoutée. De visu, cette quête continue et cette augmentation de l’investissement donnent l’illusion d’un réel développement économique. Mais si on observe de près la structure de ce développement, on constate que ce n’est qu’une «façade». Réellement, c’est un schéma de sous-développement.
En somme, on peut dire que d’un côté, on ne cesse de s’endetter pour pouvoir élaborer notre budget, et de l’autre côté la Banque centrale continue à manier le taux directeur pour juguler l’inflation, dont l’efficacité, selon vous, est fortement redoutée.
Ce qu’on constate qu’il n’y a pas de vision pour un processus de développement alternatif. Einstein a dit que répéter la même chose plusieurs fois et anticiper un résultat différent est la définition même de la «folie». Ce que nous faisons est absurde. Depuis des décennies, on répète le même processus alors que ça ne marche pas. L’enjeu réside en une vision économique et politique.
Est-ce que nous disposons d’une marge de manœuvre pour opter pour des solutions alternatives ?
A vrai dire, tout est tributaire de la volonté d’avoir une vision politique alternative. Il est important de concevoir une vision globale qui repose sur les souverainetés alimentaire, énergétique et un processus d’industrialisation qui mise sur les industries de très forte valeur ajoutée. Il faut dire qu’on ne peut pas atteindre ces objectifs sans passer par l’investissement dans l’enseignement supérieur et surtout mettre l’accent sur le volet technique de la formation de la main-d’œuvre.