Si tant de textes de loi sont en souffrance, c’est parce que l’ancienne Assemblée a perdu énormément de temps à voter, revoter, amender, négocier, retoucher…pour finir par ajourner. Cela en plus des méfaits de l’absentéisme des députés, il est vrai livrés à eux-mêmes, sans assistants, sans experts, devant garder le contact avec leurs bases régionales.
Maintenant que les nouveaux élus sont en place et qu’ils ont prêté serment de fidélité à la patrie et à la Constitution, que peut-on attendre de cette Assemblée des représentants du peuple que de nombreux Tunisiens accusent de l’avoir si mal représenté jusque-là ?
Sur le plan institutionnel, et en toute urgence, il est impératif de résoudre le problème de ce stabilisateur irremplaçable de la République démocratique qu’est la Cour constitutionnelle. Cette question est vitale, même si certains veulent prétendre que l’on peut s’en passer et que l’on s’est effectivement passé jusque-là grâce à une philosophie consensuelle qui a su éviter d’extrême justesse les pièges de l’histoire, à l’exemple du faux décès de feu Béji Caïd Essebsi ou de l’injuste incarcération d’un candidat à la présidentielle.
Cette institution, qui est la juridiction suprême, représente l’arbitre et le recours final. Se peut-il qu’elle soit dans la balance des appétits partisans et que l’on vote et revote indéfiniment sans le moindre espoir qu’elle puisse voir le jour.
Tout comme les votes effectués pour désigner l’Isie ou la Haica et d’autres institutions publiques, celui qui a prévalu à ce niveau est inadéquat, puisqu’obéissant à la logique des quotas partisans pour arbitrer des candidatures au profil engagé aux lieu et place des personnalités expérimentées, neutres et sages que requiert normalement une Cour constitutionnelle.
La critique vaut pour les diverses instances qui attendent ou qui nécessitent d’être rénovées.
Quant à l’idée de revoir le mode de scrutin ou même l’ensemble de la loi électorale, elle devra être jaugée à l’aune des rapports de force de la nouvelle composition de l’ARP.
L’Assemblée sortante a, certes, mis en place des procédures de conciliation pour rapprocher les points de vue des différents groupes parlementaires, mais les accords convenus par les états-majors ont rarement été respectés lors des votes en plénière, ce qui pose la question de la nécessaire identification de la faille qui mine cette pratique. Faudra-t-il procéder à un vote groupe par groupe parlementaire ou engager chaque groupe par un vote préliminaire avant la plénière ? A examiner de près. Car si tant de textes de loi sont en souffrance, c’est parce que l’ancienne Assemblée a perdu énormément de temps à voter, revoter, amender, négocier, retoucher…pour finir par ajourner. Cela en plus des méfaits de l’absentéisme des députés, il est vrai livrés à eux-mêmes, sans assistants, sans experts, devant garder le contact avec leurs bases régionales.
Des lois essentielles n’ont ainsi pas pu être adoptées, comme celle des «urgences économiques» ou encore celle de la «responsabilité médicale», sans oublier la multitude de textes qui se sont avérés conflictuels. Alors même qu’ils ont été adoptés par le Conseil des ministres où siègent les représentants des trois quarts des groupes parlementaires.
Voilà pourquoi le pays a besoin d’un gouvernement cohérent, au programme clair et transparent, bénéficiant d’emblée de l’aval des élus des courants qui l’appuient, ceux de l’ensemble de la majorité parlementaire ayant accordé sa confiance au gouvernement.
Cela ne signifie pas que le consensus gouvernemental doive s’étendre à l’unanimité des députés ou des partis, mais que l’équipe gouvernementale est appelée à s’appuyer sur un programme cohérent aux objectifs réalistes bien définis et chiffrés, auquel sont attachés les groupes parlementaires qui constituent la ceinture du gouvernement.
Cela permettra d’éviter le spectacle désolant de dizaines de députés qui découvrent éberlués, en plénière, le contenu de projets de loi dont ils n’ont jamais entendu parler.
Dans cette perspective, il est utile de voir l’ARP accorder une place plus importante à la coordination avec les partis et leurs groupes parlementaires, ainsi qu’aux consultations entre ces groupes, afin de faciliter la prise en charge des projets de loi par les différentes commissions parlementaires permanentes et leur discussion.
Dernier point, la masse de travail. L’Assemblée sortante a, contrairement à ce que croient ou prétendent ses détracteurs, beaucoup travaillé. Plus qu’il n’est de raison.
Elle a ainsi adopté 340 lois, eu des dizaines de questionnements de ministres, tenu des centaines de réunions de commissions, entendu les avis de dizaines d’experts et d’associations, eu à consulter des milliers de pages de documents…
Il est sage de lui recommander de ralentir le rythme au profit d’une meilleure concentration et d’un ciblage plus qualitatif.
Certains textes adoptés ont fait parfois double emploi ou sont entrés en contradiction avec d’anciennes lois restées en vigueur. Sans compter que tant de nouvelles lois attendent désespérément que leurs textes d’application les rejoignent dans les colonnes du Journal officiel de la République tunisienne.
Et puis, il faut laisser aux fonctionnaires le temps de suivre les innovations, de lire les nouveaux textes, de les assimiler et d’être en mesure de les mettre en application.