• Il n’est plus question de tergiverser sur les approches et les mesures urgentes à prendre pour faire face aux multiples défis qui se profilent à l’horizon et la radicalisation rampante de la société dans les pays de l’Afrique du Nord sur fond de difficultés économiques, de protestations sociales et de violence à l’égard des femmes
Peu de données disponibles et d’études autour de l’extrémisme violent en Afrique du Nord (Tunisie, Libye et Maroc) d’une façon générale et en rapport avec le rôle de la femme victime de ce fléau, sympathisante avec les groupes extrémistes mais aussi et surtout avec la femme actrice dans le processus de prévention. Aujourd’hui, il n’est plus question de tergiverser sur les approches et les mesures urgentes à prendre pour faire face aux multiples défis qui se profilent à l’horizon et la radicalisation rampante de la société dans ces pays sur fond de difficultés économiques, de protestations sociales et de violence à l’égard des femmes.
C’est dans ce contexte que s’est tenu lundi 18 novembre à Tunis un colloque autour du thème «Genre et extrémisme violent en Afrique du Nord : A la racine du problème » conçu au lancement de nouvelles recherches examinant la réalité des femmes en tant que victimes , sympathisantes et actrices dans la prévention de l’extrémisme violent en Tunisie, Libye et Maroc.
La Tunisie et le Maroc les plus touchés !
ONU Femmes a collaboré a cet effet avec des organisations de recherche au niveau national et mondial, avec le soutien du gouvernement du Royaume-Uni représenté par le Bureau des Affaires Etrangères et du Commonwealth, pour produire des recherches primaires et secondaires dans les trois pays concernés dans le but de documenter et d’analyser les dimensions genres de l’extrémisme violent. Les femmes jouent de plus en plus un rôle actif dans l’extrémisme violent, que ce soit par la mobilisation ou la facilitation et la participation aux activités des groupes extrémistes mais aussi et surtout en matière de prévention de ce phénomène qui prend de l’ampleur. « La Tunisie et le Maroc figurent parmi les pays avec le plus grand nombre de femmes ayant rejoint le groupe terroriste dit Daech. De plus, d’autres groupes violents armés ont aussi émergé dans cette région », relève l’argumentaire remis aux participants et élaboré par ONU Femmes. Trois notes de synthèses ont été présentées à cette occasion, récapitulant les études et recherches réalisées par Emna Jabloui, directrice exécutive de l’Institut international du développement humain, Imen Kochbati (assistante à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis) et enfin Slim Kallel, maître assistant et directeur du département de psychologie à la même faculté. Ces études se penchent sur le rôle des femmes dans la prévention de l’extrémisme violent, les facteurs démographiques et socioéconomiques du recrutement fondé sur le genre en Tunisie et la relation entre violence à l’encontre des femmes et extrémisme violent.
Les jeunes aux premiers rangs ?
Les études et recherches en question soulèvent certaines carences en matière de prévention de l’extrémisme violent, comme le fait de ne pas prendre au sérieux les signalements et les alertes faites par les mères concernant la radicalisation de leurs filles. « Les recherches ont aussi révélé que les stratégies officiellement adaptées par l’Etat étaient négligentes du rôle que les femmes sont susceptibles de jouer dans la lutte contre la radicalisation et le désengagement ».
Dans ce même contexte, les études présentées ajoutent que « le profil genre de la Tunisie, tel qu’il a été établi par l’Union Européenne, donne à voir que la mobilisation des femmes pendant et après la Révolution n’a pas été traduite à sa juste valeur dans la réalité, que l’écart est significatif entre les capacités d’engagement et de mobilisation des femmes et leur représentation réelle au sein des institutions politiques ». Selon les données recueillies dans le cadre de l’étude présentée par Imen Kochbati, les femmes sont minoritaires parmi l’ensemble des individus recrutés dans les groupes d’extrémisme violent en comparaison de la gent masculine mais les jeunes forment le plus grand groupe. « L’examen des dossiers de 100 femmes arrêtées entre septembres 2015 et octobre 2018 fait ressortir bon nombre d’actes criminels pouvant être qualifiés de terroristes. Sur les 1000 individus qui composent l’échantillon, il y a lieu de signaler la présence de 35 femmes.
L’exclusion qui mène à la radicalisation
Les femmes qui s’engagent dans les rangs de ces groupes ou qui leur apportent un soutien sont généralement enrôlées par le mari ou par un autre proche de sexe masculin. En perte de repères identitaires et confrontées au chômage pour les unes, à la marginalisation politique et socioéconomique pour les autres, elles se laissent enrôler par ces groupes. Ceci s’apparente à une réaction à une exclusion relative. Les étudiants qui composent l’échantillon hommes et femmes étaient plus nombreux à avoir poursuivi des études universitaires en sciences dures (20%) plutôt qu’en sciences sociales (2,9%). D’autre part, la corrélation entre célibat et extrémisme violent a été prouvée avec 18 femmes sur 29 et 518 hommes sur 754 (69%).Selon des rapports publiés, les groupes terroristes font miroiter des promesses de relation ou de mariage aux jeunes filles, souligne la même étude. D’après d’autres recherches fondées sur des témoignages, l’incapacité de l’Etat à fournir suffisamment d’aide sociale et l’absence de réponses adéquates aux besoins essentiels de la population, ont rendu les femmes plus vulnérables aux sollicitations des groupes extrémistes violents. Les femmes qui vivent en isolement, sans possibilité d’échange avec leur entourage sont plus enclines à l’enrôlement sur les médias sociaux. On se rappelle tous l’attaque-suicide perpétrée à l’avenue Habib Bourguiba dans la capitale Tunis par une jeune fille de trente ans qui vivait dans une réclusion totale après avoir terminé ses études. L’enquête a conclu qu’elle a été recrutée via les réseaux sociaux.
Violence sexiste
La violence faite aux femmes est un fléau répandu, dévoilent les études présentées. Selon une enquête menée par l’Office national de la famille et de la population, 48% des femmes âgées de 18 à 64 ans disent avoir été victimes de violence au moins une fois dans leur vie et ce au moment où les recherches ont confirmé qu’il existait une relation évidente entre protection des droits des femmes et prévention de l’extrémisme violent. Dans notre pays, les groupes extrémistes contestent la mixité et prônent la ségrégation entre les sexes dans les écoles (jardins d’enfants et écoles primaires) selon ces études. « La violence sexiste participe également à pousser les femmes à s’inscrire dans l’extrémisme violent ». A cet égard, Mme Neziha Labidi, ministre de la Femme, de la famille, de l’enfance et des seniors, a rappelé, lors de son intervention au début du colloque, les différentes mesures prises dans le cadre de la protection des droits de la femme, dont la loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes et le plan national autour de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Toutefois elle a déploré le manque d’application de ces textes de loi. Il y a toujours ce hiatus entre les lois et leur application sur le terrain.
Elle a pointé du doigt une mauvaise lecture de certains textes coraniques en rapport notamment avec les droits de la femme dans la société et qui tentent de ne pas reconnaître l’égalité entre l’homme et la femme. Il y a eu depuis 2011 l’émergence d’un discours allant dans le sens du refus de ces droits, ce qui explique par ailleurs le vote en masse des femmes en faveur du président Beji Caïd Essebsi en 2014, souligne-t-elle.
Emna Jabloui a rappelé la montée progressive du fondamentalisme depuis les années 80 par le biais de chaînes de télévisions diffusant de l’étranger. Les réseaux sociaux ont enfoncé le clou dans ce même contexte et ont ciblé les adolescents et un public assez jeune, ce qui a causé la « salafisation » de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Ouest et ce au moment où l’on est toujours en quête d’axes de vaccination. En dépit des droits acquis en faveur de la femme dans notre pays, cette dernière vit un réel malaise. Elle est toujours cantonnée dans un second rôle d’observateur et non celui d’acteur dans la société et dans la sphère de prise de décision, conclut-elle.
Il est à souligner que ces recherches et publications ont été commanditées par ONU Femmes dans le cadre d’un projet regroupant cette instance onusienne, le Centre de recherches, d’Etudes, de documentation et d’information sur la femme (Credif) et le Centre de recherche sur le genre, la paix et la sécurité de l’Université Monash. ONU Femme précise, à cet effet, que les points de vue exprimés dans ces publications n’engagent que leurs auteurs.