L’Ijtihad est généralement lié à des faits de société, soit une manière de s’affranchir d’une pensée stéréotypée qui ne correspond plus à un certain mode de vie. Voire une fatwa censée révolutionner le présent et donner sens à la cohésion sociale.
Les temps ont changé, la société aussi. Soit, ce qu’était autrefois conventionnel ne l’est forcément pas aujourd’hui. Halte aux idées reçues ! Celles qui n’ont plus raison d’être, du fait de l’évolution des paradigmes sociaux et l’effet domino qu’ils ont provoqué un peu partout. S’ensuivit, alors, tout un mode de vie et de pensée qui avait pu révolutionner nos us et coutumes et nous imposer des regards croisés sur un monde en perpétuelle mutation. Et bien d’autres faits vrais sont, de nos jours, perçus comme contrevérité. Notre conscience évolutive de l’Islam, du Coran, de la Sunna et de leurs significations intrinsèques est de nature à nous mettre face à une réalité parfois complexe qu’on a besoin de mieux comprendre. L’expliquer dûment, cela s’appelle l’exégèse. La redéfinir autrement, en remettant le texte dans son contexte, là on est au cœur de l’Ijtihad au vrai sens. Qu’en pense-t-on ? Et pourquoi revient-on à cette question?
Face aux défis d’aujourd’hui, le ministère des Affaires religieuses a voulu recentrer le débat sur « L’Ijtihad dans le monde islamique, un devoir religieux ou exigence civilisationnelle ? ». Que signifie-t-il ? Selon une définition encyclopédique, « l’Ijtihad est l’effort de réflexion que nos muftis ou ulémas entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l’Islam pour informer le musulman de la nature licite, illicite ou réprouvée d’une telle ou telle action…». Pour le philosophe théologien pakistanais Mohamed Ikbal, c’est le fait de s’efforcer en vue de formuler un jugement indépendant sur une question légale. D’autres ont prétendu que l’Ijtihad n’a plus cours depuis le IVe siècle de l’Hégire, mais la majorité des savants musulmans récusent cet avis comme étant sans fondement, tout en affirmant qu’il est plutôt du ressort des plus confirmés dans le domaine. Cela dit, l’Ijtihad n’est donc pas un champ du savoir interdit, mais restreint aux muftis compétents ainsi reconnus par leurs contemporains. D’où vient la fatwa dans l’Islam comme une sorte de réponse jurisprudentielle (fikh) à certains problèmes de société.
Le sens de la cohésion sociale
Mais il y a toujours des pour et des contre, allant jusqu’à provoquer, en tout lieu et en tout temps, divisions et polémiques. Sous nos cieux, l’initiative présidentielle, à l’aspect de « fatwa », de feu Béji Caïd Essebsi portant sur l’héritage successoral continue à faire du grand bruit. L’ouverture diurne des cafés au mois saint de Ramadan, le boycott d’achat des moutons de l’Aid et bien d’autres propositions à caractère religieux sont autant de questions qui se posent, aujourd’hui, avec acuité. Pourtant, on n’en vient pas à bout. Cela dit, l’Ijtihad, en tant que tel, est-il permis ? Et à quel prix? Dans son mot d’ouverture du séminaire de réflexion sur ce sujet, tenu dernièrement à Tunis, M. Ahmed Adhoum, ministre des Affaires religieuses, était on ne peut plus clair et précis : « L’Ijtihad demeure à la fois un devoir religieux et une exigence civilisationnelle qui doit s’adapter à toute époque ». Cette évidence s’inscrit, pour lui, dans le sens où l’Islam est immuable, dont les bases et origines sont toujours inchangées. Sauf que ses dérivés si variables qu’ils prêtent, au fil des temps, à moult interprétations, a-t-il encore ajouté. En fonction du contexte, l’on procède, parfois, au réajustement du texte. «L’Islam n’est surtout pas figé et encore moins replié sur lui-même. C’est une religion ouverte sur les sciences et les autres civilisations du monde », poursuit le ministre, soulignant le besoin de l’Ijtihad pour s’harmoniser et être au diapason avec les mutations de la société.
Et partant, l’Ijtihad est généralement lié à des faits de société, soit une manière de s’affranchir d’une pensée stéréotypée qui ne correspond plus à un certain mode de vie. Voire une fatwa censée révolutionner le présent et donner sens à la cohésion sociale. La directrice générale de l’Institut de traduction de Tunis, Mme Zahia Jouirou, a indiqué que tout porte à croire que l’Ijtihad est l’une des constantes de l’Islam, mais aussi une nécessité civilisationnelle répondant aux questionnements des sociétés musulmanes d’ordre social, politique et cognitif. «Cela est de nature, certes, à contribuer à une réforme sociétale, et puis à la résolution, autant que possible, des problèmes sociaux », estime-t-elle.
Notons que le débat animé sur un thème aussi important que l’Ijtihad dans l’Islam s’inscrit dans la foulée des festivités marquant la célébration de « la Tunisie capitale de la culture islamique pour l’année 2019». Cette manifestation, qui prendra fin d’ici 18 décembre prochain, finira sur l’animation du circuit touristique de Sidi Bou Saïd, dans la banlieue nord de Tunis. Ce sera également une opportunité pour faire connaître au public nos sites archéologiques et monuments historiques.