L’argent sale coule encore à flots. Car créer des lois, c’est bien, les appliquer judicieusement, c’est encore mieux. A preuve, le niveau de corruption, semble-t-il, n’a pas baissé.
Le rideau est, enfin, tombé sur le 4e congrès national de lutte contre la corruption dont les travaux, engagés pendant deux jours, ont débouché, comme chaque fois, sur des recommandations, loin d’être suivies d’effet. La première édition, tenue en décembre 2016, avait, alors, abouti à une stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte anticorruption, doublée d’une forte volonté politique faisant, à l’époque, du chef du gouvernement, Youssef Chahed, l’homme de la situation. Un va-t-en-guerre, pour ainsi dire. Depuis son investiture, il y a trois ans, ce dernier ne cesse de faire de la guerre contre la corruption une de ses cinq priorités publiquement déclarées.
Mais chaque fois que le débat est abordé, il disait avoir choisi la Tunisie. Et de déclarer toujours avoir gagné la bataille, bien que celle-ci soit de longue haleine. Le chef du gouvernement sortant se proclame ainsi vainqueur face à ce mal tentaculaire. Mais, ses opposants ne le voient pas de cet œil. Lors du 4e congrès, placé, cette année, sous le signe «La lutte contre la corruption, un processus participatif», Youssef Chahed a dressé un bilan de ce qui a été réalisé à cet effet et ce qu’il compte faire dans les jours à venir. A titre d’exemple, 374 opérations d’audit effectuées, depuis 2016, dans divers départements ministériels, suites auxquelles 58 dossiers ont été transmis à la justice. Dans ce sens, l’arsenal juridique à caractère répressif et préventif a été exposé. Soit autant de lois y afférentes ont été, ainsi, promulguées : la loi n° 2018-46 du 1er août 2018, portant déclaration de patrimoine et des intérêts, la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêts dans le secteur public, la loi organique n°2017-10 du 7 mars 2017 relative à la dénonciation de la corruption et à la protection des lanceurs d’alerte, la loi organique n°2016-77 du 6 décembre 2016 relative au pôle judiciaire économique et financier.
Dénonciation et motivation, quel impact ?
Cela ne semble pas suffisant. L’argent sale coule encore à flots. Car créer des lois, c’est bien, les appliquer judicieusement, c’est encore mieux. A preuve, le niveau de corruption, semble-t-il, n’a pas baissé. Tant qu’il y a des corrompus, il y aura forcément des corrupteurs. «Au bout de ces trois dernières années, plus de 1.300 affaires ont été transférées à la justice, dont seulement 15% ou presque ont été, alors, tranchées», recense l’ex- bâtonnier Chawki Tabib, président de l’Inlucc. La corruption fait rage dans nos murs. Marchés publics, douane, police, magistrats, administration, éducation, santé, aucun secteur n’a été épargné.
S’agit-il d’une défaillance du système de lutte ou d’une crise de gouvernance ? Me Tabib a insisté sur la mise en œuvre des mécanismes, à la fois, préventifs et répressifs, comme modus operandi censé mettre fin à l’impunité. Qu’en est-il du financement dans cette guerre qui a mis Tunisiens et Tunisiennes en haleine ? D’après lui, les budgets de l’Inlucc, au titre de ses 9 ans d’exercice, n’ont pas dépassé, au total, les 23 millions de dinars. Pour y arriver, il nous faudrait assez de temps et d’argent, autrement dit. Le président de l’Inlucc était on ne peut plus clair et précis : «Qu’on fasse une pause d’évaluation pour révision…».
Et encore, il y aura beaucoup à faire. Parce que la lutte anticorruption est avant tout une culture d’intégrité et de transparence. Pour Youssef Chahed, la dénonciation mérite aussi récompense. «D’ores et déjà, tout lanceur d’alerte touchera 5% des sommes récupérées des dossiers de corruption tranchés. Avec un plafond qui pourrait atteindre jusqu’à 50 mille dinars», promet-il, en signe d’encouragement. D’autant que deux décrets-lois vont être, très bientôt, publiés, a-t-il encore déclaré. Mais, un tel message de dénonciation et de motivation serait-il en mesure de renverser la vapeur? L’essentiel serait aussi de changer les mentalités.