Le Conseil d’analyses économiques relevant de la Présidence du gouvernement vient de publier son rapport sur le nouveau Pacte pour la compétitivité économique et l’équité sociale, axé sur le secteur industriel ainsi que les 20 pactes sectoriels de compétitivité proposés. L’ensemble de ces pactes a pour ambition d’amorcer la relance économique tout en œuvrant pour plus d’équité sociale, et ce, dans un cadre participatif de partenariat entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux illustrant la «République contractuelle».
«Ces pactes visent à contractualiser les engagements réciproques en vue d’assurer une mobilisation nationale autour des objectifs ambitieux et réalistes arrêtés par le scénario de croissance de la vision de la Tunisie à l’horizon 2025».
Dans ce cadre, l’Etat s’engage à mettre en œuvre des instruments horizontaux et sectoriels de la politique industrielle. En contrepartie, les secteurs s’engagent à concrétiser les objectifs 2025 d’investissement, d’exportation, de création d’emplois, de développement technologique et de responsabilité sociale. «Il est proposé, en particulier, que la Loi de finances triennale 2020-2022, intègre les principales mesures à caractère législatif proposées par ces pactes».
Business as usual
Élaborés sur la base d’une analyse approfondie de la situation économique et sociale, de l’historique des politiques économiques et des perspectives d’évolution de la Tunisie et dans le monde, ces pactes reposent sur le principe que «seule une politique économique basée sur la sauvegarde, la relance, la discrimination positive en faveur des secteurs productifs peut permettre d’atteindre les objectifs du scénario de relance».
D’après ce rapport, une politique économique «Business as usual» ouvrirait la voie au scénario de récession, à la désindustrialisation et à la sortie de la Tunisie du monde de la création de valeur. «Le recul de la production industrielle au cours des neuf premiers mois de 2019, après une quasi-stagnation du secteur au cours des 8 dernières années, corrobore l’éventualité d’un tel scénario».
Le Pacte s’est assigné comme objectifs à l’horizon 2025 de porter le taux de croissance du PIB à 4,5% contre 2,5% en 2018, et de réaliser des exportations de biens de 90 milliards contre 41 milliards en 2018. L’objectif est aussi d’atteindre un taux d’investissement public et privé de 24% du PIB contre 19,6%, de créer 84.000 emplois par an à partir de 2024 contre 27.600 et de faire partie du Top 50 des classements internationaux Davos et Doing Business.
«Atteindre ces objectifs ne se fera pas par le simple jeu des forces du marché, mais nécessitera un choc de confiance qui ne peut résulter que de la mise en œuvre, par un État développementaliste, de politiques volontaristes, en synergie avec les partenaires sociaux.
Mesures et engagements
Environ 87 mesures et engagements dont 53 mesures de l’Etat et 34 engagements des partenaires sociaux seront mis en œuvre pour réaliser les objectifs assignés au Pacte, outre les mesures et engagements sectoriels prévus par les 20 pactes sectoriels.
Le coût des mesures demeure sans les limites des contraintes budgétaires, sans compter les effets induits de la relance sur les finances publiques. «Il ne s’agit donc pas d’une relance keynésienne, mais d’interventions cibles selon les mécanismes bien définis».
En effet, parmi ces mesures figure le relèvement progressif des aides publiques à la PME qui, contrairement à ce qu’ indiquent plusieurs rapports, ont toujours été très faibles en Tunisie comparativement aux expériences internationales.
Les aides financières estimées en 2018 étaient de l’ordre de 333 MD, soit environ 0,3% du PIB pour la Tunisie.
Le rapport montre que depuis la promulgation de la Loi sur l’investissement en 2016, l’essentiel des incitations fiscales a été supprimé (export et grèvement des bénéfices réinvestis).
Il est prévu dans ce Pacte de relever ces aides financières à 0,6% du PIB et de porter l’ensemble des aides financières et fiscales à 2% du PIB en 2025 (niveau de 2010) contre 1% environ en 2018.
Selon la même source, tous les opérateurs économiques, publics comme privés, sont appelés à unir leurs forces afin de remettre l’économie tunisienne sur la voie de la croissance. En effet, «la situation économique en Tunisie n’a cessé de se dégrader de 2011 à 2017 avec des prémices de reprise constatées en 2018, cette reprise s’avère néanmoins fragile étant donné la baisse de la croissance, qui s’est située à 1,1% au premier semestre 2019».
La croissance entre 2000 et 2010 a été de 4,4% en moyenne. Entre 2011 et 2018, celle-ci était de 1,6%, soit une perte de 2,8 points de croissance en moyenne sur ces huit ans.
De plus, la Tunisie a perdu au cours de la période 2010-2018, 0,1% de la part de marché de l’Union européenne, son principal client, malgré des exportations qui se sont élevées à plus de 10 milliards d’euros en 2018 contre 9,5 milliards d’euros en 2019 avec un taux de croissance annuel de 0,79%.
La reprise de la croissance constatée en 2018 «ne doit pas masquer les fragilités persistantes dont notamment le fléchissement ou la stagnation des autres secteurs productifs (industrie métallurgique, énergie, phosphate…), le déficit de la balance commerciale qui a atteint 19 milliards de dinars en 2018, la valeur du dinar qui a subi une forte dépréciation ainsi que la baisse du taux d’investissement et d’épargne.
Cette dégradation de la compétitivité tunisienne a été observée dans les classements internationaux du Doing Business (Banque mondiale) et du Global Competitiveness Index (Forum économique mondial-Davos), malgré une légère amélioration en 2019 où la Tunisie a gagné huit places entre 2017 et 2018 dans le rapport Doing Business. «Ceci a été possible grâce à la mise en place d’un interlocuteur unique dédié à la création d’entreprises au niveau de l’Apii.
De même, de 2010 à 2019, le tissu économique tunisien s’est nettement dégradé. Au-delà des agrégats économiques, la proportion des chefs d’entreprise estimant la survie de leurs sociétés à moins de deux ans ne cesse d’augmenter d’année en année.
Le rapport indique que cette proportion est passée de 20% en 2014 à 25% en 2018 pour se stabiliser en 2019 à 58% de chefs d’entreprise qui se sentent menacés à court terme.
Instrument-clé
Le redressement de la compétitivité demeure possible : la Tunisie a plusieurs atouts qui lui permettent de renouer avec une croissance solide et pérenne . La Tunisie possède, en effet, des avantages comparatifs avérés dans l’industrie manufacturière et les services connexes, notamment dans les secteurs des composants aéronautiques et automobiles, du textile -habillement, des secteurs pharmaceutiques, de l’agroalimentaire, des TIC et de l’énergie…
Le gouvernement est déterminé à mettre les moyens nécessaires pour booster ces potentialités de croissance et conjuguer ses efforts avec le secteur privé et l’écosystème d’appui aux investissements pour rendre cette croissance plus effective et durable. D’où l’élaboration de ce Pacte comme un nouveau mode opératoire et un instrument-clé pour la relance de l’économie en Tunisie et pour une nouvelle politique économique illustrant la république contractuelle.
Une structure de gouvernance du Pacte, «le Conseil supérieur de la compétitivité des secteurs productifs», sera mise en œuvre au niveau de la Présidence du gouvernement. Son rôle principal sera le pilotage/le suivi du Programme du Pacte, la remontée des alertes et le suivi des actions de remédiation.
Six piliers de compétitivité
A travers ce pacte, l’Etat s’engage à mettre en œuvre 53 mesures horizontales, réparties sur six piliers de compétitivité, touchant le cadre réglementaire et incitatif avec 13 mesures visant l’amélioration du climat des affaires via la digitalisation, la simplification des procédures administratives, le soutien au taux de change, le renforcement des incitations fiscales et financières…
Parmi les piliers l’infrastructure (développement des zones industrielles, des pôles de compétitivité, de l’infrastructure routière, portuaire, aéroportuaire, la mise en œuvre d’un schéma directeur des infrastructures industrielles, le lancement du projet de Port en eaux profondes d’Enfidha…)
À ceux-ci s’ajoutent des mesures visant la restructuration des entreprises, l’amélioration de la compétitivité des PME, la mise en place d’une ligne de crédit de 1.000 millions de dinars par an sur cinq ans, accompagnées d’un Programme de coaching des PME par les banques, outre la mise en place d’une ligne de financement destinée à la restructuration des PME, la réactivation de l’inégalité des 11 fonds d’essaimage…