Il faut toujours s’aligner sur la légalité internationale, mais il faut aussi être très vigilant, prudent et faire attention à l’évolution de la situation sur le terrain et dans la région en général.
Les Russes, les Français, les Saoudiens, les Emiratis, d’un côté, la Turquie et le Qatar de l’autre. Deux clans et une seule guerre en Libye qui risque d’avoir de graves retombées sur notre pays toujours en quête d’un gouvernement. Le Maréchal Haftar est appuyé par le premier clan, l’architecte Fayez El-Sarraj propulsé à la tête du gouvernement d’union nationale depuis le mois de décembre 2015 est soutenu par le président turc Erdogan. Que pourrait faire la Tunisie face à ce bourbier au moment où les deux départements clés, à savoir les Affaires étrangères et la Défense nationale, sont assurés par deux ministres intérimaires ?
En quête d’une légitimité perdue sur le terrain
Présidant une délégation de haut niveau, El-Sarraj, représentant la seule autorité légitime reconnue par les Nations unies, est allé à la rencontre du président de la République Kaïs Saïed mardi 10 décembre. Au menu des discussions, les relations politiques et économiques entre les deux pays nouées depuis l’aube du temps par un rapprochement fraternel. Certes, les répercussions de la situation sécuritaire actuelle sur la Tunisie étaient à l’ordre du jour entre les deux présidents, comme le souligne la nécessité d’éviter la fermeture du passage frontalier de Ras Jedir, mais il va sans dire que si le maréchal Khalifa Hafter arrive à déloger le gouvernement d’union nationale de la capitale, Tripoli, la situation sécuritaire au niveau des frontières ne sera plus la même.
La coalition du gouvernement actuel libyen avec la Turquie contribue à son isolement sur la scène internationale, comme le font remarquer certains analystes étrangers, à commencer par l’expulsion de l’ambassadeur libyen à Athènes suite à un accord de délimitation marine avec la Turquie qui a provoqué l’ire de la République hellénique, ainsi que la fermeture de l’ambassade libyenne en Egypte depuis dimanche, 15 décembre. Quelques jours avant cette décision, un parlementaire égyptien avait demandé l’expulsion de l’ambassadeur du gouvernement libyen soutenu par l’ONU au Caire et de reconnaître à sa place le représentant de l’armée libyenne, soutenu par le maréchal Khalifa Hafter. Une position qui vise beaucoup plus l’alliance turco-qatarie en Libye.
La Tunisie s’aligne sur la légalité internationale
Respectant les principes de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, la Tunisie a toujours observé une position de neutralité dans le dossier libyen et dans plusieurs autres dossiers, contrastant parfois avec la position de certains députés rebelles qui n’hésitent plus à afficher le slogan « Rabâa » au sein de l’Assemblée des représentants du peuple.
Pour ce qui est du dossier libyen, les nouveaux parlementaires n’ont pas, pour le moment, eu l’occasion d’afficher leurs positions qui ne manqueront pas d’embrouiller encore plus un paysage politique sclérosé et marqué par les tensions, mais ils ne tarderont pas à le faire vu l’escalade de la violence et les bruits de botte à nos frontières.
Toutefois et en dépit de sa politique étrangère de non-ingérence, la Tunisie s’est retrouvée à maintes reprises « impliquées » dans le bourbier libyen et a dû faire face à des situations de crise comme ce fut le cas dans la troublante affaire d’espionnage qui a été marquée par l’arrestation en mars 2019 puis la libération d’un expert onusien, Moncef Kartas, au moment où le pays s’apprêtait à accueillir le Sommet de la Ligue arabe. Le pouvoir en place est allé jusqu’à refuser l’immunité diplomatique de l’expert en question. Que de zones d’ombre sur cette affaire qui n’a jamais livré tous ses secrets.
Quatre mois plus tard, plus précisément en juillet, un avion de chasse échappe aux radars des services de la défense et atterrit à Médenine avec à son bord un militaire libyen. Les versions avancées quant aux réelles causes qui ont obligé le pilote libyen à se poser sur le sol tunisien étaient contradictoires. Le ministre de la Défense à l’époque, Abdelkrim Zbidi, avait précisé que l’avion volait à très basse altitude.
L’enlèvement de Walid Ksiksi, employé à notre ambassade en Libye en octobre 2014 et des deux journalistes Nadhir Ktari et Sofiène Chourabi en septembre de la même année ne peut que refléter la menace qui plane sur les Tunisiens qui vivent et travaillent dans ce pays. Neutralité et non ingérence n’évitent pas au pays de fâcheux et graves incidents qui portent atteinte à la sécurité nationale du pays.
Le spectre de l’exode massif de 2011
Les forces du maréchal Hafter multiplient les menaces et mettent en garde contre une offensive décisive. Elles sont aux portes de la capitale ou siège le gouvernement d’union nationale. Si ces menaces sont exécutées, la Tunisie, premier pays d’accueil pour les Libyens, connaîtra, à coup sûr, un flux migratoire important. Mais il est sûr que notre pays s’est préparé à cette éventualité. Pour rappel, la Tunisie a connu un exode massif en provenance de ce pays en 2011 avec plus d’un million de personnes de plusieurs nationalités avec l’aide des instances internationales.
Malgré des moyens réduits et la situation sécuritaire à cette époque, notre pays s’en est sorti d’une manière honorable. Des mesures ont été déjà prises sur le plan national par les différents départements, notamment la Défense et l’Intérieur, pour un scénario pire que celui de 2011, croit-on savoir en vue d’assurer aussi l’évacuation de nos ressortissants dont le nombre avoisine les 30 mille.
Certes, il faut toujours s’aligner sur la légalité internationale, mais il faut aussi être très vigilant, prudent et faire attention à l’évolution de la situation sur le terrain et dans la région en général. En fin de compte c’est la raison d’Etat et l’intérêt national qui l’emportent.