Par Fatma Raach (*)
Ceci n’est pas une pomme, pourtant elle l’est! Par analogie, ceci n’est pas un parlement et pourtant il l’est!
Nier la consistance de la chose malgré son évidence ne pourrait relever que du surréalisme! Ou plutôt un témoignage de la transformation de l’objet au point de trahir ce qu’il est. Il s’agit d’un signe de rupture entre ce qu’il est et ce qu’il devrait être.
Tout le cycle électoral que nous venons de vivre en Tunisie n’est que la preuve latente de ce décalage entre une pratique médiocre et chaotique de la politique et un idéal toujours en cours de quête.
Toutes les phases du cycle électoral, en partant du déroulement de la campagne électorale, le jour du scrutin, jusqu’à la cérémonie de prestation de serment des nouveaux membres élus de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas manqué de sensationnel et de scènes surréalistes.
En partant du candidat à la magistrature suprême, qui était emprisonné en raison de ses déboires avec la justice pour des affaires liées à l’évasion fiscale alors qu’il était en pleine campagne électorale, jusqu’à la déclaration des résultats des élections législatives nous n’avons pas fini de nous étonner ! Les épisodes rocambolesques du cycle électoral étaient usants du fait de la dégradation de la qualité du débat et des personnages assez troubles ayant pris part aux débats du fait de leur qualité de candidats.
Nous ne pouvons constater qu’une chose. C’est que le système a atteint son paroxysme. La chose publique n’étant pas prise au sérieux, tous les arguments étaient bons pour atteindre le pouvoir.
Le surréalisme a atteint son zénith avec les déclarations de certains candidats indépendants qui avaient profité des structures associatives pour se faire un électorat. Ces candidats mettaient en avant le fait qu’ils ne sont pas des partis politiques, afin de rassurer les électeurs, comme si la politique était extérieure aux partis politiques!
Certaines coalitions indépendantes se sont mis l’Etat à dos. Le discours n’a pas manqué d’excès puisque ces candidats anéantissent les fondements de la démocratie qu’ils sont censés exercer. Beaucoup de candidats aux élections législatives revendiquaient l’étiquette de l’antisystème, l’anti- Etat, l’anti-parti. Une campagne qui semblait consacrer le nihilisme politique, mis en avant afin de pouvoir exercer le pouvoir. Une situation qui ne peut être qualifiée que comme étant surréaliste.
Joignant la chose et son opposé, l’objectif (celui d’exercer le pouvoir) n’a pas été cohérent avec la démarche ou du moins cette dernière l’a fondamentalement trahie.
Cette perte d’harmonie entre le but et les moyens dévolus (le discours soutenu lors de la campagne et la volonté d’accéder au pouvoir), n’est pas du tout anodine ni fortuite. Elle a été adoptée et assumée par ceux qui l’ont adoptée. Il faut dire aussi qu’elle a été fructueuse. En effet, à voir le profil de certains membres de l’ARP, on ne peut que conclure à l’efficacité de ce discours!
Le fait que notre Assemblée ait pu réunir des profils d’une extrême dangerosité n’est pas le fruit du hasard. Nous assistons donc à une assemblée qui réunit celui qui prône un discours des plus misogynes, un contrebandier qui se dit repenti et même un adepte de la violence verbale prônant l’absence des institutions de l’Etat dans les régions frontalières pour que fleurisse la contrebande.
Il s’agit de l’aboutissement, sur le plan institutionnel, d’un certain discours violent et anti-étatique présent chez certaines communautés idéologiques ou locales qui rêvent de voir l’État affaibli afin de mettre en œuvre leurs idéologies. Ne serait-ce que par l’utilisation des institutions étatiques. Nous risquons donc l’affaiblissement de l’Etat du fait de l’accaparement de ses institutions par ceux qui n’y croient pas. Nous sommes passés de l’ère du compromis à l’institutionnalisation du populisme.
Un autre risque guette l’institution parlementaire, à savoir celui de l’inefficacité chronique d’une assemblée effritée, composée d’un amas hétéroclite d’individus dépourvus de tout projet fédérateur clair. La singularité de ceux qui ont brigué le mandat législatif sous l’étiquette de l’indépendance pourrait priver l’appareil législatif de l’harmonie nécessaire à la mise en œuvre de son mandat. Ce qui ne pourrait qu’influencer la pérennité de la formation gouvernementale. L’instabilité gouvernementale aiguë nous guette!
Ce qui est à souligner c’est que cette situation chaotique est le résultat de l’absence des conditions substantielles de la démocratie. En effet, permettre à des individus qui ne partagent pas l’idéal démocratique, qui remettent en cause le rôle fondamental des partis politiques au sein d’un régime hybride comme le nôtre, de se porter candidats, serait fournir au système les outils de sa propre autodestruction.
Il demeure néanmoins une soupape de sécurité, représentée par le rôle d’arbitre que représente le Président de la République. Plébiscité par une majorité écrasante des électeurs, le Président jouit d’une grande légitimité populaire. Cette assise pourrait le placer à jouer un rôle d’équilibriste. De peur de voir leur assemblée dissoute, les différentes parties prenantes pourraient adopter, et on souhaite que la raison aura le dernier mot, une position raisonnable en faveur d’une stabilité gouvernementale. Ce qui nous ramène à la continuité de la logique du compromis aléatoire. Personne ne pourra gouverner sans les autres indépendamment de leurs assises idéologiques en partant des plus sombres aux plus éclairés. Ce système, qui a été voulu dès les origines comme un système de représentation poussée, ne peut se passer du compromis, au risque bien évidemment d’arriver à des situations antagoniques dépourvus de sens.
En espérant que l’exercice du pouvoir et la pratique de ses contraintes fera changer les idées de certains parlementaires détracteurs de la République et de ses valeurs. On espère également que le Président de la République profitera pleinement de sa légitimité populaire et de son indépendance, qui le place au-dessus de toutes les formations politiques et idéologiques, pour insuffler l’apaisement!