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Algérie | Décès du général Gaïd Salah: l’un des derniers Mohicans de la guerre d’indépendance n’est plus

 

Crédit photo: Ryad KRAMDI – © 2019 AFP


Moins d’une semaine après la prise de fonctions du nouveau chef de l’Etat, Abdelmajid Tabboune, le puissant chef d’État-major de l’armée nationale populaire de l’Algérie et vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaïd Salah — qui a dirigé de fait l’Algérie après la démission forcée en avril du président Bouteflika —  a succombé, hier, à l’âge de 79 ans, à « un arrêt cardiaque », a annoncé la télévision nationale Algérie 3, puis l’agence de presse officielle Algérie Presse Service (APS), citant un communiqué de la présidence de la République.

En effet, le général Gaïd Salah est décédé à 6 h (5 h GMT) «des suites d’un arrêt cardiaque à son domicile avant d’être transféré à l’Hôpital central de l’Armée d’Aïn Naadja», lit-on dans le communiqué publié par l’agence officielle APS.

Pilier du régime depuis 1962, le général Gaïd Salah était la figure de proue d’un pouvoir opaque et conspué par un mouvement de contestation depuis plus de huit mois.

L’homme fort du « système »

Après avoir poussé en avril dernier le président Bouteflika à la démission, suite à un mouvement populaire de contestation massive sans précédent, le général Gaïd Salah s’est imposé sur la scène politique comme étant l’homme fort de fait du pays: en monopolisant la parole politique et, surtout, en imposant ses diktats à un pouvoir civil intérimaire muet.

D’après sa biographie officielle, le général Gaïd Salah est né le 13 janvier 1940, à Aïn Yagout, dans l’actuelle wilaya de Batna. Dès l’âge de 17 ans, il s’engageait au sein de l’Armée de libération nationale (ALN) pour combattre le pouvoir colonial français. Il était l’un des derniers représentants au sein de l’armée nationale populaire (ANP) des anciens combattants de la guerre d’indépendance (1954-1962).

 

Dès l’âge de 17 ans, Ahmed Gaïd Salah s’engageait au sein de l’Armée de libération nationale (ALN) pour combattre le pouvoir colonial français (photo d’archives).

 

« Il gravissait les échelons (de l’ALN ) en tant que soldat, officier puis commandant moudjahid (combattant) », rappelle le quotidien gouvernemental « El Moudjahid ».

Nommé chef d’état-major de l’armée en 2004 par le président Bouteflika, le général Gaïd Salah détient le record de longévité à ce poste.

Pendant 15 ans, il fut un fidèle de l’ancien chef de l’Etat déchu et l’un des personnages les plus puissants du « système ».

À en croire ses détracteurs, il préférait « manœuvrer dans l’ombre, en s’abritant derrière un pouvoir civil de façade », précise Le Monde. « Jamais depuis Houari Boumediene, qui régna de 1965 à 1978, un seul homme n’avait concentré autant de pouvoirs », ajoute le quotidien français.

 

Le chef d’état-major de l’armée algérienne Ahmed Gaïd Salah lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président Abdelmadjid Tebboune, à Alger, le 19 décembre 2019 (Crédit photo: Ryad KRAMDI – © 2019 AFP)

 

Pour Moussaab Hammoudi, chercheur doctorant à l’Ecole des Hautes études en Sciences sociales (EHESS) de Paris, Gaïd Salah n’était « pas un grand stratège » et agissait « en militaire brutal ». À ses yeux, l’Algérie était comme « une grande caserne ». Pour lui, « faire une concession c’est une faiblesse », estime le chercheur. Il décrit un général qui agissait « par impulsion, sans réflexion, sans concertation ».

Sur les réseaux socio-numériques, certains analystes se sont demandé si ce décès ne serait pas un « assassinat » camouflé par une une annonce d’un décès « suite à un arrêt cardiaque ». «Lorsqu’une source algérienne m’a appelé pour m’annoncer la mort du général Ahmed Gaid Salah, elle a utilisé cette phrase : ‘Gaïd Salah a été assassiné ce matin d’une crise cardiaque par ses ennemis au sein de l’institution militaire », a ainsi tweeté, sur son compte, le journaliste franco-algérien Mohammed Sifaoui.

 

 

De son côté, Brahim Oumansour, chercheur franco-algérien associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), joue la carte du « sachons raison garder » et préfère inscrire l’hypothèse de l’ « assassinat » dans la case de la « théorie du complot » liée au contexte algérien de crise politique : «Il avait 79 ans, on savait qu’il était fragilisé par la maladie. Je doute que cela soit crédible».

Le général Chengriha reprend le flambeau momentanément

Pour ce qui est du successeur du général Gaïd Salah à la tête de l’armée algérienne, toujours selon le communiqué de presse diffusé par l’APS, « Chef suprême des forces armées et ministre de la Défense » en titre, le président Tebboune a chargé, immédiatement, le général Saïd Chengriha, commandant des Forces terrestres, d’assurer l’intérim, et décrété dans la foulée trois jours de deuil national.

74 ans au compteur, lors d’un vaste remaniement dans la haute hiérarchie militaire et sécuritaire en septembre 2018, le général Chengriha avait été nommé à la tête des Forces terrestres par le général Gaïd Salah.

 

Le général major Saïd Chengriha est devenu lundi 23 décembre le chef d’état-major de l’armée algérienne par intérim suite au décès de son prédécesseur le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah. (Crédit photo: Fateh GUIDOUM – © AP)

 

Le général Chengriha « était déjà pressenti pour remplacer le général Gaïd Salah », souligne Moussaab Hammoudi qui rappelle qu’en Algérie, c’est traditionnellement le chef des Forces terrestres qui succède au chef d’état-major.

«La tradition veut que le chef des forces terrestres soit le troisième chef de l’armée, après le président et le chef de l’état major», explique Brahim Oumansour sur les colonnes du journal Le Figaro.

Les généraux Gaïd Salah et Chengriha « ont des profils similaires » et sont tous deux issus des Aurès, région du nord-est de l’Algérie et terre de tribus chaouis (minorité berbérophone), ajoute le chercheur, en affirmant que le chef d’état-major par intérim « n’a pas les coups de sang de Gaïd Salah et est un peu plus posé ».

En outre, la mort du général Gaïd Salah «renforce les incertitudes sur la façon dont l’état major gérera la crise algérienne, sur ses relations avec le nouveau président et sur ses orientations vis-à-vis du «Hirak»», renchérit Brahim Oumansour chez nos confrères du «Le Figaro ». «Il est fort probable que le futur chef d’état major soit lui aussi proche de la ligne de Gaïd Salah, mais tout dépendra des rapports de force en interne, et s’il y aura un consensus sur une personne ou non», conclut le chercheur franco-algérien.

Enfin, il est à rappeler que le général Ahmed Gaïd Salah était rejeté et conspué par le mouvement de contestation. «Gaïd Salah dégage», « le peuple et l’armée sont frères mais Gaïd Salah est avec les traîtres », pouvait-on entendre et lire dans les pancartes lors des manifestations hebdomadaires chaque mardi et vendredi.

 

Des manifestants algériens affichant une pancarte où on peut lire le Hashtag « Gaïd Salag dégage » (Crédit photo: Ryad KRAMDI – © 2019 AFP)

 

Sa disparition survient onze jours après une présidentielle très contestée —  avec un taux d’abjection record de 60,07% (plus de six Algériens sur dix ont boudé cette élection) —  qu’il avait tenu à organiser le 12 décembre contre vents et marées, malgré l’opposition acharnée du « Hirak » qui voyait ce scrutin comme une énième tentative du pouvoir en place pour faire peau neuve.

Mais voilà, lors de sa dernière apparition publique, jeudi dernier, à l’occasion de la cérémonie d’investiture du nouveau président Abdelmadjid Tebboune, il fut élevé en compagnie du président par intérim Abdelkader Bensalh à la dignité de « Sadr » dans l’Ordre national du Mérite, honneur traditionnellement réservé aux chefs de l’État.


 

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