Bien avant que le Parlement ne soit sollicité pour lui accorder sa confiance, le gouvernement Jemli, dont la liste des ministres a été dévoilée hier, suscite des appréhensions différentes de la part des acteurs du paysage politique et civil tunisiens. La grande interrogation : «Où est la compétence que Jemli promettait quotidiennement aux Tunisiens ?»
Finalement, Habib Jemli, le chef de gouvernement désigné, a rendu, hier, sa copie en dévoilant la liste des ministres qui composeront son gouvernement qu’il qualifie de «gouvernement de compétences indépendants» au cas où l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) lui accorderait sa confiance lors de la prochaine plénière de l’ARP.
Et les commentaires et les réactions de se multiplier à propos des rectifications que Habib Jemli aurait été obligé d’introduire sur la liste soumise au président de la République, Kaïs Saïed, mercredi 1er janvier et dont les noms des ministres n’ont pas été dévoilés par le chef de gouvernement désigné lors de la conférence de presse qu’il a donnée le jour même au palais de Carthage.
Habib Jemli s’est contenté, en effet, de révéler aux journalistes qui attendaient des noms précis que la liste a été soumise au chef de l’Etat qui «aura à l’adresser au président de l’ARP afin que ce dernier fixe la date de la séance plénière au cours de laquelle les députés accorderont la confiance à l’équipe ministérielle ou refuseront de le faire».
Et comme le chef de gouvernement désigné a refusé de dévoiler la liste de son équipe gouvernementale, il n’a fait qu’ouvrir grande la porte aux réactions des partis politiques dont en premier lieu Ennahdha, le parti qui l’a désigné pour la formation du gouvernement en question.
Le parti nahdhaoui n’a pas trop attendu pour faire entendre sa voix et a publié dans la soirée du mercredi 1er janvier 2020, aussitôt Habib Jemli ayant achevé sa conférence de presse, un communiqué dans lequel il parle de la nécessité de «développer la liste soumise au chef de l’Etat». Le communiqué utilise le terme en arabe «tatwir» qui peut être traduit par «développement» ou insinuer l’introduction de quelques rectifications sur la même liste.
Et c’est dans cet esprit que l’on est appelé à saisir la petite phrase livrée, hier, par Samir Dilou, député d’Ennahdha, précisant que Habib Jemli «doit réviser légèrement sa copie». Il s’est trouvé également dans l’obligation d’ajouter : «Ce n’est pas un secret, la décision de Habib Jemli de former un gouvernement de compétences indépendantes n’a pas été approuvée par tous les dirigeants au sein du mouvement».
Quant aux autres partis, qu’ils soient considérés comme acquis à Ennahdha, comme la coalition Al Karama, ou proches du parti nahdhaoui, pouvant voter pour le gouvernement Jemli en contrepartie de certaines assurances à l’instar de Qalb Tounès donné pour être l’allié le plus sûr du parti de Montplaisir, ils n’ont pas hésité à crier haut et fort leur désapprobation de la liste proposée par Habib Jemli et leur décision de dire non à un gouvernement dont les noms des ministres sont fuités sur les réseaux sociaux ou même pour ceux dont l’identité a été dévoilée, hier, par Habib Jemli.
Ainsi, Seïfeddine Makhlouf et Abdellatif Aloui, les deux députés les plus médiatisés de la coalition Al Karama, annoncent-ils que leur bloc ne votera pas pour un gouvernement «qui ne comporte aucun avocat» et au sein duquel «figurera un chanteur ou un acteur» (allusion à Fethi Heddaoui, désigné ministre de la Culture). De son côté, Qalb Tounès affirme dans un communiqué signé par son président Nabil Karoui qu’il oppose «un refus catégorique à la liste fuitée de la composition gouvernementale qui a circulé sur les réseaux sociaux».
Le communiqué ajoute : «Si ce document s’avère authentique, le parti n’accordera pas son vote de confiance au gouvernement Jemli». Et il paraît que la majorité des noms fuités se sont avérés justes à l’instar de Tarak Dhiab, nommé ministre de la Jeunesse et des Sports, sans que Rached Ghannouchi ne donne son aval comme il l’a indiqué à Wadii Jari, président de la Fédération tunisienne de football (FTF), qui s’en plaignait auprès du président d’Ennahdha et du Parlement.
Idem pour l’actrice et activiste de la société civile Leïla Toubal qui s’interroge en commentant la liste fuitée mercredi soir et confirmée largement, hier, jeudi 2 janvier : «Ennahdha connaît-il réellement le sens de compétence ?».
Walid Jalled, député de Tahya Tounès et l’un des politiciens les plus actifs et médiatisés à l’époque de la création du parti de Youssef Chahed, revient au-devant de la scène politique et s’indigne : «A Tahya Tounès, nous sommes déçus et en examinant la liste de la formation gouvernementale, nous nous demandons où est le critère de la compétence. Tahya Tounès n’accordera pas sa confiance à ce gouvernement».
Habib Bouajila, Monsieur bons offices (avec Jawhar Ben Mbarek), qui s’est élevé contre ce qu’il a appelé «la trahison dont j’ai été l’objet de la part de Habib Jemli», s’invite au tollé général provoqué par la liste fuitée des ministres et affirme: «Le gouvernement Jemli est déjà tombé bien avant qu’il ne soit annoncé».