Pour renforcer les liens au sein du système d’innovation en Tunisie, des politiques existent, mais l’écosystème de l’innovation commence tout juste à apparaître.
Financée par la Banque européenne de reconstruction et de développement (Berd), l’étude sur « Économie du savoir : évaluation de la Tunisie », vise à identifier et combler les écarts en matière de capacités et d’innovation de la région située au Sud et à l’Est du bassin méditerranéen (région Semed). D’après la Berd, au cours de la période qui s’étend de 2004 à 2014, l’économie tunisienne est devenue plus complexe et axée sur les exportations tout en enregistrant des performances supérieures à celles de pays comparables. Toutefois, il lui reste encore à réaliser son potentiel d’innovation.
Des politiques de soutien à l’innovation, mais…
Les responsables politiques ont élaboré plusieurs programmes en faveur de l’innovation et du développement de l’économie du savoir. Le système d’innovation du pays repose sur le modèle de la « triple hélice », c’est-à-dire de la collaboration entre universités, instituts de recherche et jeunes entreprises. L’innovation se concentre dans certaines villes comme Tunis et Sfax. La recherche et le développement (R-D) sont relativement importants par rapport aux pays comparables de la région et les dépenses de R-D s’étant élevées à 1,1% du PIB en 2010 (contre 0,21% en Egypte, 0,42% en Jordanie et 0,08% en Arabie saoudite). A cet égard, le travail scientifique a donné lieu à la publication de 17.068 articles entre 2006 et 2010. Ces travaux et la rédaction conjointe d’articles ayant eu lieu dans les domaines suivants : physique et astronomie (64%), neurosciences (58%), science des matériaux (53%) et immunologie (55%).
Toutefois, un certain nombre d’obstacles en matière d’élaboration des politiques continuent de freiner les performances du pays dans l’économie du savoir : rôle important de l’Etat, manque de coordination entre organismes publics, bureaucratie envahissante, baisse des entrées de capitaux et accès insuffisant aux financements et aux capitaux du secteur privé, en particulier après la création des entreprises.
Le manque de coordination entre organismes publics et les délais d’examen des demandes de financement —jusqu’à six mois pour obtenir une réponse, d’après une enquête auprès du secteur privé— incitent les entreprises innovantes interrogées à réduire progressivement leurs demandes officielles et à se tourner vers le secteur privé. Le nombre de sociétés de capital-risque reste limité, tandis que les sociétés d’investissement à capital-risque (Sicar) et les prêts bancaires sont relativement peu adaptés aux financements de démarrage. En termes d’entrées de capitaux, l’investissement direct étranger dans l’économie du savoir est plus faible qu’au Maroc ou que dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, puisque les entrées d’IDE ont diminué de 9% entre 2007 et 2010.
Le défi à relever : libérer le potentiel de la Tunisie
Depuis la révolution, le pays rencontre des difficultés économiques inhérentes à la phase de transition qu’il traverse. Des obstacles importants doivent encore être surmontés, notamment ceux liés à la rigidité du marché du travail, à un système fiscal inéquitable, à l’absence de politiques de la concurrence adaptées et à un déficit de compétences, des problèmes importants qui favorisent un chômage élevé.
Plus précisément, un certain nombre de difficultés doivent être traitées en vue d’élaborer une stratégie globale centrée sur le savoir : il faut identifier et cibler les lacunes dans les capacités et l’innovation et mettre en évidence des objectifs pertinents d’investissement. La question la plus importante est de définir un cadre approprié permettant à la fois d’analyser et de combler ces lacunes, en commençant par trouver une définition de l’économie de la connaissance, une notion qui n’est pas encore claire dans la littérature.
En outre, compte tenu de leurs limites, les démarches actuelles classiques, fondées sur une analyse horizontale ou verticale et qui portent uniquement sur la gouvernance, les variables institutionnelles, le cadre réglementaire ou politique, ne semblent pas prendre pleinement en compte le principal moteur de la croissance économique, c’est-à-dire le savoir.
Des démarches nouvelles et novatrices, comme celle de la complexité économique, ont été avancées par Hausmann et Hidalgo (2011) en vue de libérer le potentiel des économies fondées sur le savoir, mais les implications concrètes de ces théories restent à développer. La méthode de la complexité économique est une mesure fondée sur les résultats qui part du principe que si la fabrication de deux produits nécessite des institutions, du capital, des infrastructures et des technologies similaires, ces produits sont susceptibles d’être fabriqués parallèlement.
Plus généralement, la complexité d’une économie est liée à la multiplicité du savoir utile qu’elle contient. Pour qu’une société complexe puisse exister et assurer sa pérennité, les gens qui connaissent le design, le marketing, la finance, la technique, la gestion des ressources humaines, l’exploitation des entreprises et le droit commercial doivent être capables d’échanger et d’associer leur savoir en vue de fabriquer des produits. Ces mêmes produits ne peuvent être fabriqués dans les sociétés où certaines parties de cet ensemble de capacités font défaut. Par conséquent, la complexité économique s’exprime dans la composition des produits fabriqués par un pays et reflète les structures qui se forment pour contenir et associer les connaissances nécessaires pour cela.
L’indice de complexité économique (ICE) permet de mesurer le savoir nécessaire. Il explique 15% des variations de la croissance économique entre tous les pays sur une période de 12 ans, contrairement à d’autres variables institutionnelles comme la gouvernance ou le cadre réglementaire, qui en expliquent de 1% à 2%. L’ICE présente aussi une corrélation de 0,75 avec la croissance du PIB dans le monde. Les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Mena) peuvent considérablement améliorer leurs performances économiques grâce au savoir et aux capacités dont ils disposent.
Le secteur du capital-risque pourrait aller beaucoup plus loin
L’étude indique que des politiques de base sont en place pour soutenir l’investissement dans l’innovation, mais les financements via le capital-risque et le capital-investissement restent insuffisamment développés.
En effet, l’investissement (ou le capital-investissement) et le capital-risque ont été introduits en Tunisie par le biais des réglementations régissant les «sociétés d’investissement à capital fixe» (Sicaf). Ce cadre a été renforcé en 1993 par la création des «sociétés d’investissement à capital-risque» (Sicar). Toutefois, la majeure partie de l’économie tunisienne repose principalement sur les services bancaires de crédit. Les capacités en termes de crédit posent un problème car les prêts sont principalement accordés pour financer des projets importants plutôt que pour soutenir l’entrepreneuriat — sans parler des services.
Les financements de capital-risque et de capital-investissement sont peu développés en l’absence d’un cadre réglementaire et d’un système fiscal solides pour les promouvoir. Les informations qui remontent d’un échantillon relativement important d’entreprises innovantes mettent en évidence les mécanismes de financement inappropriés des Sicar et une forte demande de fonds d’amorçage bénéficiant d’un soutien international.
Il convient de noter que les investisseurs étrangers peuvent détenir jusqu’à 100% du capital d’un projet et rapatrier librement les profits et les produits de la vente des capitaux investis en devises. Les procédures d’établissement peuvent être effectuées à un guichet unique à l’Agence pour la promotion de l’industrie et de l’innovation. Le système du guichet unique a été mis en place en 2006 pour servir d’interface aux promoteurs afin qu’ils effectuent les démarches nécessaires pour créer leur entreprise. Il n’existe cependant pas de guichet unique pour les entreprises innovantes.
Un écosystème d’innovation peu développé
L’étude conclut qu’en Tunisie, pour renforcer les liens au sein du système d’innovation, des politiques existent, mais l’écosystème de l’innovation commence tout juste à apparaître. Selon le Plan de développement stratégique économique et social du pays, «les réformes seront orientées vers la constitution d’un système national d’innovation, avec la création de pôles dans les secteurs prometteurs et l’établissement de partenariats entre les universités, les entreprises et les instituts de recherche. Elles viseront aussi à créer des zones technologiques afin d’attirer l’investissement dans des activités à forte valeur technologique». Ainsi, l’examen de l’écosystème de l’innovation en Tunisie met en évidence de solides capacités pour le développement des secteurs des TIC, mais aussi de nombreux obstacles existent, en particulier l’inefficacité de la mise en œuvre des plans politiques et le manque de coopération entre secteurs public et privé.