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Bilan de l’Islam politique en Tunisie

Par Maître Mohamed Aïd Ladeb (avocat à la Cour de cassation et ancien universitaire)

Du temps où je soutenais mon mémoire pour l’obtention du DES de Sciences politiques sous le haut patronage de M. François Yonidec en 1975 à l’Université de la Sorbonne-Paris I et dont le titre est «L’Islam et le développement politique en Tunisie, et ce, depuis les années 1956 jusqu’à la proclamation de l’unité tuniso-libyenne à Djerba morte-née», j’ai présenté l’Islam en tant que religion révélée avec ses cinq piliers qui sont les deux témoignages, (1) la prière, le jeûne du mois de Ramadan, la zaqat, ou aumône et le pèlerinage à la Mecque pour ceux et celles qui peuvent l’effectuer matériellement, visant en vue d’identifier ce en quoi consiste cette religion révélée.

Avec la naissance de l’islamisme ou Islam politique, son développement et surtout ses visées, il nous semble inutile doctrinalement parlant de parler ou de développer ce en quoi consiste cette religion dans la mesure où ses adeptes, ses fidèles et ses militants n’ont de souci, non pas de propager l’Islam en tant que religion révélée, mais de conquérir le maximum d’espaces en vue de «ré-instaurer» le califat et de «ré-islamiser» les pays islamiques, tels que la Tunisie, l’Egypte, l’Algérie, faisant fi de la «démocratie» et de l’Etat en tant qu’entités occidentales étrangères selon eux à l’Islam.

En ce sens, M. Burhan Ghalioun, dans son livre intitulé «Islam et Politique : la modernité trahie» (2), énonce que leur nouvelle interprétation théologique du texte coranique, l’islamisme est un mouvement politique et social qui vise malgré son discours d’inspiration religieuse à transformer un système politique et/ou social non à propager une nouvelle religion.
Ainsi, conclut-il, en affirmant que l’islamisme est un mouvement politique qui n’est pas lié à la croyance ou au dogme religieux et lui nie par conséquent toute approche avec l’Islam classique ou «Islam médiéval» selon l’heureuse expression de M. Louis Gardet. Ce qui explique que pour la plupart de ces partis d’obédiance islamique, la «démocratie» n’est qu’une échelle en vue de s’accaparer du pouvoir et de «restaurer» le Califat. L’ancien Premier ministre du parti d’Ennahdha, M. Hamadi Jebali, n’avait-il pas clamé haut et fort lors de la proclamation des résultats des élections législatives d’octobre 2012 : «Nous voilà le sixième Califat!». Il s’est repris après pour affirmer à qui veut l’entendre qu’il ne s’agit que d’un simple lapsus!! Il ne voulait pas savoir combien les lapsus sont révélateurs. Mais la guerre civile fomentée entre autres en Syrie de Bachar Al Assad) ou le coup d’Etat (au Soudan du général Nimeiry ou de Omar Al Béchir) demeurent les voies royales pour eux (ils le disent dans leurs écrits) en vue de s’accaparer du pouvoir et de soumettre tous les appareils de l’Etat à leurs sombres et tristes desseins.
En décembre 2019, la chaîne télévisée Al Arabyya a publié «les documents secrets des frères musulmans» où Omar Al Béchir a affirmé clairement qu’il a mis tous les rouages de l’Etat soudanais à la disposition des Frères.

Ennahdha au pouvoir : bilan
Avec l’arrivée d’Ennahdha au pouvoir en 2012, l’islamisme ou l’Islam politique a pensé trouver dans la Tunisie, révolutionnaire, sa «Mecque» tant recherchée.
Ce qui explique en grande partie les visites des centaines d’exégètes, des daïas et des fakihs, les conférences données par les Karadhaoui, et les Wejdi Ghuénim et les meetings «populaires» dans la coupole d’El Menzah et les tentes dressées partout en Tunisie en vue de chanter la «Victoire» de l’Islam dans un pays islamisé depuis voilà quinze siècles.

Alors que ceux qui étaient morts du temps du soulèvement du 17 décembre 2010-11 Janvier 2011 criaient trois grands slogans: liberté (Horrya), dignité (Karama) et emploi (choghl), la Tunisie sous la direction de la Troika d’Ennahdha n’a connu que misère, endettement atteignant les trois quarts du PIB et déliquescence de l’Etat avec les sit-in, les grèves sauvages, la fermeture des routes nationales et les routes secondaires occasionnant la paralysie du pays et de son économie, alors que la Tunisie était, du temps de l’ancien régime du président Ben Ali, le premier pays du monde arabo-islamique du point de vue sécuritaire, elle est désormais pointée du doigt comme pays du terrorisme et des attentats.
L’on ne peut oublier de sitôt les lâches et exécrables assassinats politiques de feu Chokri Belaïd, Haj Mohamed Brahmi, Mohamed Bel Mufti, Lotfi Naggueth, les vaillants soldats et agents de sécurité morts pour la patrie et assassinés lâchement par les terroristes dans les montagnes de Kasserine, de Gafsa, de Sidi Bouzid et autres.

Alors que tout le monde criait que notre pays est au bout de la faillite à cause d’un endettement effréné et d’une paralysie presque totale de notre économie, ni députés, ni ministres, ni ex-présidents de la République n’ont manifesté la moindre volonté de se dessaisir de leurs privilèges et de leurs rémunérations exorbitantes au profit des couches défavorisées ou laissées pour compte. Pis encore, les députés de la constituante ont trouvé le moyen de voter une loi vers le coup de deux heures de la nuit en vue du dédommagement de leurs prétendus «dommages» causés selon eux par l’ancien régime de l’ex-président de la République M.Zine Al Abidine Ben Ali. Cette loi n’a jamais été publiée au Jort, mais des milliards de dinars leur ont été versés, en plus de plus de 5.000 milliards de dollars versés par le Qatar et qui restent un secret et un point noir tant au niveau de la manière dont ils ont été dépensés que de celui de leurs éventuels usages et bénéficiaires.

L’on peut résumer sans exagération les années de l’islam politique en Tunisie depuis 2012 jusqu’à 2019 qu’elles tiennent en trois mots : terrorisme, corruption et contrebande.
A propos de corruption, le don effectué par la République populaire de Chine en 2012 et versé sur le compte personnel de M.Rafik Abdessalem Bouchlaka, gendre du chef du parti d’Ennahdha, M.Rached Ghannouchi, demeure encore un «secret» d’Etat malgré l’ouverture d’une information judiciaire. Les milliers de nos jeunes envoyés en Syrie et en Irak à travers le canal de la Turquie et d’une compagnie aérienne de vol dont le président est un grand magnat d’Ennahdha et leur sort demeure jusqu’à cette heure inconnu.
Malgré les efforts fort louables du Doyen Chawki Tebib et sa fameuse organisation de lutte contre la corruption ainsi que le travail continu des deux Pôles judiciaires contre le terrorisme et contre la corruption, les résultats enregistrés demeurent minces et le pays demeure sur le bord de la faillite.

Alors que du temps de l’ex-président Ben Ali, un véritable essor économique a été enregistré et le PIB a atteint et dépassé parfois le chiffre de 5%, celui-ci n’a guère dépassé depuis déjà huit ans le 1,1%.
Bien que les desseins du parti d’Ennahdha et de son chef M. Rached Gannouchi, en vue de «rétablir» le Califat, demeurent du domaine du «non-dit»(3), un point positif doit être quand même signalé et qui consiste dans la sauvegarde du processus démocratique et la protection de la liberté de presse et la liberté de pensée. Après la tentative avortée d’Ennahdha en vue d’instituer un fonds de la zaqat, un Observatoire national pour la protection et la sauvegarde du caractère civil de l’Etat tunisien a été institué. La société civile avec toutes ses composantes et les femmes restent les véritables courroies de sécurité du caractère «républicain» de l’Etat tunisien.

Notes
1) Mémoire disponible à la bibliothèque de la Faculté de droit et de l’ENA
«Le nouvel adepte de l’Islam doit déclarer ou «témoigner» que Dieu est unique et que Mohamed est Son prophète et Son Messager.
2) Burhan Ghalioun «Islam et politique», la modernité trahie P.77 ed. La découverte -Paris 1994
3) L’idée d’instituer un fonds pour la zaqat prévue par la loi de finances de 2020 et repoussée par une confortable majorité à l’ARP était un «jalon» révélateur de ses auteurs en vue d’une éventuelle application de la chariaâ

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