Il serait difficile d’affirmer que le secteur commercial se porte à merveille. La concurrence, hautement déloyale des circuits parallèles est là pour nous contredire. Mais, nous pensons que les commerçants patentés ont leur part de responsabilité dans l’incapacité de faire face à ces contre-performances. Car, le secteur du commerce, en Tunisie, n’est pas bien encadré. L’Utica ne remplit pas, pleinement, son rôle sur ce point. Se livrer à des activités commerciales (et, qui plus est, en lien avec le public) nécessite un minimum de professionnalisme et de savoir-faire. Malheureusement, on ne retrouve pas ces qualités chez la majorité de nos commerçants.
Il est vrai que, dans le passé, on pouvait rencontrer un taux respectable de ces gens qui savaient se comporter avec les clients et les fidéliser grâce à de bonnes pratiques et des réactions appropriées. Cette génération d’entrepreneurs a laissé place à une nouvelle race de «prédateurs» plutôt que des commerçants. Leur honnêteté, même, est sujette à caution. Ainsi, les rapports commerçants-clients sont-ils mis à rude épreuve.
Quel accueil !
Aujourd’hui, lorsqu’on pénètre dans une boutique de prêt-à-porter, par exemple, on risque de se sentir humilié. Dès qu’on franchit le seuil du local on a l’impression d’être un importun. En saluant les présents, l’éventuel acheteur ne reçoit aucun salut en retour. Les gens qui sont là ignorent, royalement, la présence de l’ «intrus». Il faut se faire remarquer en interpellant un des vendeurs pour qu’il daigne vous aider à trouver la marchandise que vous voulez acquérir. Il n’y a aucun empressement dans l’attitude des vendeur(se)s qui sont là. Aucun effort n’est fait pour vous montrer qu’ils sont «heureux» de votre visite. Si, par hasard, vous faites bon cœur contre mauvaise fortune et que vous acceptez, envers et contre tout, d’acheter un produit, on ne fera attention qu’à l’argent que vous allez remettre. La personne qui est à la caisse (généralement c’est le ou la patron(ne)) n’est pas très différente de la caisse qu’il manipule: froideur et passivité.
On peut éprouver la même atmosphère dans la plupart des espaces commerciaux où on a perdu cette habitude du «bien recevoir» propre à tous les vrais commerçants. C’est vrai que, souvent, c’est affecté; mais n’empêche que cela rassure et rapproche les gens tout en créant un climat de confiance.
Les mœurs ont bien changé. Depuis le début des années 90, les choses ont carrément changé. La libéralisation «sauvage» du secteur a ouvert la porte devant n’importe qui pour s’adonner à des activités, auparavant, réservées à de vrais professionnels. Pour l’heure, il suffit de signer un cahier des charges et disposer d’un certain capital pour exercer une de ces activités. Parfois, rien n’est respecté. On peut même s’adonner à des services sans autorisations. C’est ainsi que de nombreuses cafétérias, cafés, divers réparateurs de téléphones ou d’appareils électroniques ont poussé sans offrir les qualités de services exigées.
Aujourd’hui, on estime, à titre d’exemple, qu’il y aurait environ 300.000 commerces de détails parmi lesquels il y a, sûrement, des clandestins qui se livrent à des affaires sans donner des garanties ou sans respecter un quelconque cahier des charges. La détérioration des rapports entre eux et le consommateur est, certainement, due au fait qu’ils ne respectent pas les réglementations en vigueur concernant l’origine des marchandises et le recrutement des personnels. Sur ce point, on constate que l’accueil des clients ne bénéficie d’aucun intérêt. Que ce soit dans une boutique de «luxe», dans un café ou autre la règle est la même.
Un accueil froid est réservé aux clients. Cela pourrait s’expliquer par le mauvais salaire servi aux employés qui sont chargés des clients. De plus, personne ne bénéficie d’une formation appropriée. Ils sont recrutés sur le tas sans présenter le profil idéal. L’important pour le patron c’est que ce personnel ne soit pas exigeant et qu’il accepte le bas salaire qu’on lui offre. D’ailleurs le monsieur ou la dame qui est à la caisse n’est pas fait(e) pour exercer une activité commerciale et d’être en contact direct avec le public. En effet, n’est pas commerçant qui veut.
Aussi voit-on que les affaires ne marchent pas comme il faut. Et, du coup on assiste à une hécatombe de faillites bien méritées qui s’expliquent, le plus souvent, par l’amateurisme et l’inexpérience. Entre 12.000 et 15.000 de ces commerces ferment, chaque année. Leurs propriétaires n’admettraient pas que l’échec est dû, entre autres, à l’ignorance des rouages du métier et à l’art de s’y prendre.
C’est là que l’on sent l’absence flagrante d’encadrement de la part de l’Utica. Celle-ci, pourtant, ne doit pas se limiter à recenser ses adhérents mais, surtout, à les conseiller et à leur indiquer la meilleure voie à suivre pour réussir. Or, les milliers de commerçants que nous voyons chez nous végètent et se débrouillent chacun à sa manière lorsqu’il y a des difficultés. La corporation, selon de nombreuses personnes qui s’adonnent à des métiers, est éloignée des préoccupations des gens du secteur. Certains affirment, même, qu’ils n’ont jamais eu affaire à l’Utica et que personne ne les a jamais contactées pour leur donner une information ou un conseil.
Mise à niveau nécessaire
Ce n’est donc pas par hasard que le secteur dépérit sans aucun espoir pour lui trouver une issue. Une mise à jour est, pourtant, nécessaire. Au XXIe siècle on ne peut plus continuer avec des méthodes aussi primitives. Et ce qui est pire c’est qu’on regrette le bon vieux temps où il y avait encore cette proximité entre le commerçant et le consommateur. Un minimum de respect existait à l’époque. Ce n’est plus le cas, actuellement, puisque le client est déconsidéré et il n’est vu qu’en tant que personne à exploiter ou, voire, à plumer !
Bien sûr, le secteur en question est, depuis 2011 à la dérive. Certains créneaux ont été investis par le secteur parallèle à tel point que les gens qui sont en règle avec les services fiscaux rechignent à payer. Devant une concurrence illégale, ils voient qu’ils ont le droit de faire comme les autres qui sont à deux pas de leurs locaux.
La filière de l’habillement et des chaussures est parmi l’une des plus touchées. L’invasion du marché par les produits d’occasion importés est une véritable menace. Le dernier épisode de la fronde des marchands de fripe montre à quel point cette menace est réelle pour le secteur organisé. Le domaine de la fripe brasse des centaines de milliards de millimes aux dépens des professionnels qui payent les taxes et les impôts alors qu’on estime à, au moins, une centaine de milliards d’invasion fiscale pour les fripiers. Ceci sans considérer les pertes qu’ils occasionnent au circuit officiel.
Ce marasme entraîne, automatiquement, ce malaise perceptible dans les attitudes et comportements avec la clientèle, en général, et avec le personnel exerçant dans les divers métiers.
Toutefois, ces conflits multiformes ne peuvent s’expliquer, uniquement, par ces problèmes. L’absence d’une stratégie de restructuration et de mise à niveau y est, également, pour quelque chose.
Les experts en sont conscients eux qui en appellent à une réaction urgente en vue de mettre sur pied un véritable plan de sauvetage de ce qui reste. En premier lieu, il faudrait intégrer et, au plus vite, ce secteur marginal qui constitue une menace réelle pour toute l’économie du pays. Sa taille, aujourd’hui, est telle qu’elle a atteint un seuil intolérable. En second lieu, un travail en profondeur est demandé pour la formation et le recyclage des professionnels.