Le Chef de l’Etat et les partis politiques échangent des lettres qui tentent de baliser les débats et de préparer la gestion des désaccords futurs. Mais leurs visions diverses sont désormais limpides sans que cela ne vienne trahir les intentions. L’intérêt national exige de converger vers un gouvernement de compétences militantes qui soit coaché par un stratège moderniste qui soit, à la fois, patriote et homme d’ouverture à la novation.
Le Président demande des noms et des explications aux différents partis. Personne ne peut interdire au président de la République d’appeler les partis à désigner leurs candidats, mais l’article 89 attend du Président qu’il identifie le meilleur candidat pouvant rassembler une majorité parlementaire autour d’une équipe et d’un programme.
Cela suggère plutôt qu’une majorité de députés adoube un gouvernement et son chef. C’est-à-dire qu’une alliance de groupes parlementaires s’entende sur une stratégie de gouvernement du pays pouvant rassembler autour d’elle une majorité absolue d’élus convaincus de l’ensemble du package proposé. Et l’on peut dire que la lettre adressée par Nabil Karoui au Président Saïed, sans appréhender les détails, se conforme, dans une large mesure, à cette démarche.
Le piège que pose le diable
Lorsque Habib Jemli a été mis en orbite, tout le monde était convaincu qu’il allait réussir. Non pas qu’il soit le meilleur ou qu’il ait les meilleurs à sa disposition, mais du fait qu’il avait été désigné par le plus puissant des plus forts et qu’il était, au même moment, programmé puis coaché pour que tout soit conforme aux normes nahdhaouies.
Nous ne sommes, à ce jour, pas vraiment breafés sur les raisons de l’échec (fortuit ou programmé) du chef de gouvernement choisi par Ennahdha, mais plusieurs bobards évoquent tantôt une possible «complicité» Jemli-Saïed, tantôt un ras-le-bol vis-à-vis des exigences, pas toujours conformes, d’Ennahdha et de Ghannouchi.
Allez savoir, les pièges que pose le diable sont tout simplement diaboliques.
Que compte faire Kaïs Saïed ?
Les politiciens et les observateurs avertis savent grosso modo ce que devrait faire le président de la République, mais ils ne sont pas sûrs que Kaïs Saïed, le candidat venu de nulle part et ayant raflé les mises, avec des idées du passé devenues futuristes, ne tentera pas sa chance : le «gouvernement du Président». Or, bien qu’il ait affirmé ne pas être séduit par cette offre, ce gouvernement ne cesse de lui être proposé par le mouvement Echaâb. Un parti qui, comme le chef de l’Etat, a des sympathies nationalistes arabes.
Le Président pourrait bien décider de «faire avancer le schmilblick» : choisir de proposer Maghzaoui qui figurerait déjà dans la liste des partis. A moins que les partis qu’évoque Nabil Karoui n’aient déjà pris leurs précautions.
S’il décide seul, il s’expose
« L’idéal, affirme Iyadh Elloumi, c’est que l’on présente une seule personnalité pour diminuer la marge de controverse au niveau de la présidence de la République», soulignant que «cet article de la Constitution va être appliqué pour la première fois et qu’il y a une polémique sur son interprétation : est-ce que ce sont les partis politiques qui proposent le prochain chef de gouvernement ou alors le président de la République peut-il proposer une autre personnalité qui n’a pas été soumise dans les discussions ?».
Iyadh Elloumi considère que la demande faite par Kaïs Saïed de fournir la vision des partis politiques ainsi que des noms de candidats et les raisons de ce choix est logique.
Cependant, estime-t-il, il crée ainsi un précédent en proposant un cadre de références bien qu’il n’y soit pas obligé. «Sa position en est plus confortable mais il aura une responsabilité politique dans la mise en place du gouvernement». S’il propose un nom «à lui», il risque de «placer tout le Parlement dans l’opposition».