Pour Dr Mustapha Ben Jaâfar, ancien président de l’ANC (Assemblée nationale constituante), les forces contre-révolutionnaires qu’on croyait révolues continuent à sévir. Et les choses n’ont pas changé. «C’est une guerre antisystème, dont la bataille n’est pas encore gagnée…»
Entre espoir et déception, on fête, ces jours-ci, la révolution. L’on s’interroge sur ce qu’on a fait et sur ce qu’il faut, prochainement, faire. Y a-t-il, vraiment, des acquis à citer ? Dans ce cadre, le Centre d’études de l’Islam et de la démocratie (Csid) a tenu, hier matin à Tunis, une conférence pour dresser le bilan d’une révolution passée, il y a maintenant neuf ans. « Quels défis, quelles réalisations ? », ainsi s’intitule la manifestation à laquelle s’invitent politiques, députés et société civile.
D’emblée, M. Radhouane Masmoudi, président du Csid, a commencé par rendre hommage aux martyrs de la révolution qui, sans eux, dit-il, nous n’aurions jamais connu une telle liberté d’expression et d’opinion. Dieu merci ! Mais, il y a un hic : le rythme d’action semble assez lent. D’où, il importe d’accélérer le pas et de resserrer les rangs. L’ultime but étant toujours le même, basé sur l’emploi et la dignité. Comment faire pour gagner l’enjeu ? « Plus de temps et d’effort pour pouvoir y arriver », estime-t-il, optimiste. Pour Dr Mustapha Ben Jaâfar, ancien président de l’ANC (Assemblée nationale constituante) et une des figures de la troïka au pouvoir, les forces contre-révolutionnaires qu’on croyait révolues continuent à sévir. Et les choses n’ont pas changé. «C’est une guerre anti-système, dont la bataille n’est pas encore gagnée…», lance-t-il. Selon lui, il existe, aussi, des dérapages au niveau notamment du discours politique dus, en partie, à une crise d’ordre moral et intellectuel. «Au-delà des acquis politiques et démocratiques, on a, énormément, besoin d’une révolution dans nos mentalités », juge-t-il. Et d’ajouter que la démocratie c’est avant tout l’acceptation de l’Autre. L’essentiel, à en croire Dr Ben Jaâfar, réside dans la réponse à la question sociale et économique. Ce qui commande, évidemment, d’entreprendre des réformes radicales, soit un nouveau projet de développement intégral. Peu importe l’appellation, le gouvernement attendu devrait être cohérent avec un programme et une vision.
Ces réformes nécessaires
Quant à M. Abdelkrim Harouni, président du Conseil de la choura du parti Ennahdha, il s’est montré, lui, optimiste. Selon lui, il y a, quand même, des acquis à ne pas nier tels que la liberté, la Constitution de 2014, la répartition des pouvoirs et la décentralisation… Sauf que le dossier social et économique, avoue-t-il, demeure en stand-by. Que vaut, alors, une révolution sans développement ? Entre autres conditions non réunies, l’accomplissement de la justice transitionnelle. Ce fut un goût d’inachevé, fait-il remarquer. Et pour cause ! Pour réussir, il est temps de réaliser la réconciliation nationale et rompre avec les démons du passé. Aussi, est-il bon de renouer avec le dialogue pour résoudre nos différends. Et là, M. Harouni a évoqué la réactivation du conseil national du dialogue, instauré depuis 2013. Il a insisté sur la nécessité de former un gouvernement de consensus sur la base d’une vision et de programmes. Soit, un gouvernement de la dernière chance, qualifie-t-il.
Intervenant au nom de Seifeddine Makhlouf, porte-parole de la coalition d’Al Karama, le député Abdellatif Aloui s’est présenté comme le fils de la révolution, celui qui aime beaucoup sa patrie. De son avis, la révolution avance à pas lents, mais sûrs. Toutefois, a-t-il ajouté, placer haut la barre des revendications risque de l’achever. L’orateur estime que l’élite politique n’est pas aussi mature pour mener cette révolution à bon port. D’autant plus qu’elle a opté pour le choix idéologique comme une alternative de gouvernance. « La révision de la loi électorale est nécessaire dont le seuil minimum paraît comme prioritaire », conclut-il.
La femme, parent pauvre !
De son côté, la présidente de l’Union nationale de la femme tunisienne (Unft) a contredit ce qui a été dit. En tant que société civile, elle voit le verre, plutôt, à moitié vide. Pour elle, la révolution est en marche, elle n’a pas encore atteint ses objectifs. La femme n’y a pas, jusqu’ici, trouvé son compte. Elle est livrée à elle-même. Quitte à être sujette à tout danger, déplore-t-elle. « Emploi, liberté, dignité », ce n’est qu’un slogan creux », constate-t-elle, pessimiste.