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Caisse générale de compensation (CGC) : Un acquis ou une lacune ?


A l’origine, l’objectif de la création de la Caisse générale de compensation était de soutenir certaines catégories de la population, considérées comme des couches défavorisées. Le concept de base était clair. Mais dans sa forme actuelle, le système de compensation est devenu injuste et contreproductif. La classe la plus défavorisée, qui est censée être la première bénéficiaire de ce mécanisme, ne l’est pas en vérité, puisque seulement 12% des ressources de la caisse de compensation bénéficient effectivement à ceux qui en ont véritablement besoin. Pour rectifier le tir, il est indispensable de réformer le système de compensation. Mais de l’autre côté, il serait très difficile de procéder à une suppression brutale de toutes les subventions car, du point de vue social, c’est un sujet explosif.


La flambée des prix des produits compensés sur les marchés internationaux a entraîné une explosion des dépenses de compensation, résultant aussi bien de l’absence de réajustements des prix mais aussi de l’accélération des effets pervers liés à toute politique de compensation (affaiblissement de la gouvernance, gaspillage, détournement de destination, contrebande, pression pour la révision des coûts de production et de distribution des divers produits subventionnés…). Pendant ces dernières années, la situation s’est aggravée davantage en Tunisie et le déficit de la Caisse générale de compensation (CGC) a pris des proportions alarmantes. Cette situation a généré une crise aiguë des finances publiques et les dépenses de la Caisse de compensation ont explosé.

Selon les chiffres officiels, entre 2010 et 2017, le budget de la CGC a été multiplié par environ 2,3, passant de 730 M.D en 2010 à 1.605 M.D en 2017, donnant l’impression que les autorités publiques sont dans l’incapacité de contrôler les dépenses de la caisse. Ce montant représente, par ailleurs, environ 1,7% du P.I.B, 5% du budget de l’Etat et 26% du titre II (c’est-à-dire des dépenses d’investissement). A titre de comparaison, la caisse représentait en 2010, année pourtant considérée comme difficile en matière de compensation, 1,2% du produit intérieur brut du pays.

Même si ce dérapage, au niveau des charges, ne constitue point une exception tunisienne, il est primordial de prendre conscience que pour notre pays, la caisse constitue un véritable problème, car au-delà du fardeau qu’elle représente pour les finances publiques, l’absence et/ou la non mise en œuvre d’une stratégie nationale pour contenir la charge de compensation à un niveau susceptible de ne pas mettre en danger les équilibres globaux de l’économie nationale et de ne pas pénaliser la croissance économique du pays, constitue une grave anomalie. A cet égard, privilégier le statu quo ne peut nullement occulter les problèmes générés par les subventions.

Arme à double tranchant
Selon une étude réalisée par l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites) sur la Caisse générale de compensation, la création de cet organisme a, au fil des années, apporté des avantages et des inconvénients. Depuis sa création dans les années 1970, le système de compensation a permis notamment d’améliorer l’état nutritionnel des ménages défavorisés ; les subventions représentant 20,6% de la valeur totale de leur consommation alimentaire et participant à hauteur de 28,6% dans l’apport calorique total et à hauteur de 25,4% dans l’apport protéique total pour ces ménages.

Ce système a, également, contribué à réduire de plusieurs points le taux de pauvreté dans le pays (15,5% contre 19,1% sans l’intervention de la Caisse Générale de Compensation), réduire les inégalités grâce à ses effets redistributifs non négligeables au profit des plus démunis. Sans la caisse, l’inégalité mesurée selon l’indice de Gini aurait été de 38,5% en 2011 soit 1,1% de plus que ce qu’elle était en réalité. D’ailleurs, les analyses économiques effectuées ont démontré, qu’à part la baguette, tous les produits alimentaires subventionnés contribuent à la réduction des inégalités, mettre en place un système qui, malgré son caractère universel, est plus favorable aux couches défavorisées qu’aux couches aisées.

En effet, les effets redistributifs du système en vigueur sont plus favorables aux démunis (les subventions représentent 7,7% des dépenses des plus démunis) qu’aux aisés (1,5% de leurs dépenses) et plus importants pour les plus pauvres que ceux exercés par un système de subvention proportionnel (seulement 6,2% dans un système proportionnel pour les démunis). C’est donc, d’un point de vue relatif, un système à la fois généreux et progressif. Il agit favorablement sur le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population, lui permettant ainsi d’accéder à des biens non subventionnés auxquels elle n’aurait pu prétendre sans l’existence de cet instrument et implicitement de préserver la paix sociale dans le pays avec ce que cela implique de positif sur la croissance économique. Cet instrument permet en outre de contrôler l’inflation et renforcer la compétitivité-prix des produits nationaux sur les marchés internationaux.

En contrepartie, le système en vigueur comporte des inconvénients dont on peut citer certaines. En effet, les ménages aisés bénéficient plus en valeur absolue de la compensation que les ménages démunis (89 dinars par tête et par an contre 68 dinars par tête et par an pour les plus pauvres), et ce, à cause notamment du système universel de la compensation. En réalité, cette situation est tout à fait normale, les couches aisées dépensant beaucoup plus que les démunis dans l’achat de produits de consommation (5.890 dinars contre 815 dinars pour les plus pauvres), les ménages pauvres perçoivent 12% des subventions alors qu’ils représentent 15,5% de la population.

Il faut remarquer, néanmoins, que cet écart n’est pas très important et ne constitue nullement une distorsion grave. On note aussi l’existence des erreurs d’exclusion et d’inclusion qui sont relativement importantes dans les programmes d’aides directes aux plus pauvres (48,9% seulement parmi les bénéficiaires du PNAFN et/ou AMG2 sont pauvres). Ce qui met en exergue les difficultés que représente la mise en place d’un système efficient de ciblage de la compensation. En outre, la faiblesse de la gouvernance de la Caisse générale de compensation due, en particulier, à l’incapacité de l’unité de gestion en charge de cet instrument à réaliser les missions qui lui incombent notamment en matière de contrôle à cause des moyens limités dont elle dispose.

Autres inconvénients ; l’absence de coordination entre les intervenants publics de la chaîne de compensation (administration et offices publics) et le rôle timide des organismes publics en charge de l’approvisionnement du pays en produits de base compensés et qui se limite à assurer la disponibilité des produits sur l’ensemble du territoire national (pas d’action en matière de rationalisation de la consommation). Par ailleurs, le système est jugé coûteux, peu efficace et représente une charge difficilement supportable pour le budget de l’Etat. Finalement, c’est le détournement de destination d’une quantité importante des produits compensés au profit des industriels (satisfaction de leurs besoins en matières premières : farine, huile), des prestataires de services (hôteliers, restaurateurs) et des contrebandiers (la charge de compensation additionnelle due à la contrebande vers la Libye a été estimée à 120 M.D en 2011 et 92 MD en 2012).

Propositions de réformes
Dans son étude, l’Ites indique que la Caisse générale de compensation ne constitue pas une exception tunisienne, son coût élevé non plus. La plupart des pays, même les pays les plus riches tel que les Etats-Unis, recourent à des instruments similaires. Remettre en cause un instrument aussi ancré dans la réalité tunisienne ne semble pas constituer un bon choix car il est, essentiellement, perçu par les citoyens comme un acquis social. Toutes les études effectuées sur le système national de compensation ont conclu au rôle de filet social joué par la caisse notamment en faveur des plus démunis. C’est un système, certes, coûteux comme le confirment les rapports d’inspection, mais sa contribution à la paix sociale et au progrès économique est indéniable.

D’ailleurs, son coût élevé est le plus souvent lié à la frilosité de l’autorité politique, au ralentissement de la croissance économique du pays et/ou à l’emballement des prix des produits subventionnés sur les marchés internationaux. Si les rapports d’inspection obligent à apporter des correctifs aux lacunes constatées et à sanctionner les fautes commises, il est nécessaire de rappeler également qu’ils ne déterminent pas, obligatoirement, une politique. En tout état de cause, ce qui est vital actuellement, pour les responsables, est d’être attentif à la dépendance du pays pour sa nourriture envers l’étranger.

D’où la nécessité de réfléchir au meilleur moyen de diminuer cette dépendance pour la ramener à un niveau soutenable, à l’obligation de contenir les charges de la Caisse à un niveau supportable par le budget de l’Etat, ce qui implique des ajustements périodiques des prix des produits compensés, des contrôles renforcés et l’exclusion du champ de la compensation des produits les moins sensibles ou ceux pouvant faire l’objet d’une distribution directe (lait), à l’optimisation du rôle social de cet instrument.

A cet égard, il est indispensable d’initier une politique combinant différentes approches pour le ciblage de la compensation dont l’accélération du mouvement de spécialisation des boulangeries situées dans les zones urbaines, la maîtrise des quantités d’huile de graines subventionnées, la distribution directe du lait dans les écoles situées dans les zones urbaines et rurales défavorisées, et surtout la mise en place d’un système de distribution de bons alimentaires dans les zones rurales défavorisées pour l’achat de la semoule par les plus démunis.

Le ciblage, par le biais des bons alimentaires, comporte plusieurs avantages : il ne crée pas de distorsions additionnelles, il ne nécessite pas la mise en place de nouveaux circuits de commercialisation et n’est pas difficile à mettre en œuvre (on peut confier la distribution aux structures régionales du ministère de la Santé et/ou du ministère des Affaires sociales).

Le succès de cette approche dépend du rachat rapide de ces bons (sur simple présentation). Ce rachat pouvant se faire dans les bureaux de postes, les recettes des finances et les agences bancaires. Enfin pour minimiser les fraudes, les bons utilisés doivent être retirés définitivement de la circulation. Pour conclure, l’Ites estime qu’un succès en matière de ciblage nous débarrassera de la culture du bien public, liée au système de subventions universelles pour nous imprégner d’une autre culture en osmose avec les valeurs propres à une République Solidaire.

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